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mercredi, 19 octobre 2016 14:27

Luthériens – catholiques. Une crise en partie résolue

Livre SesboueParmi les innombrables dialogues engagés par l’Église catholique depuis le concile Vatican II avec les différentes communautés historiquement séparées d’elle, le dialogue luthéro-catholique est l’un des plus sérieux, des plus continus et des plus féconds. La rencontre œcuménique entre réformés et catholiques, prévue à Lund le 31 octobre 2016, est une occasion en or de rappeler que la séparation a été l’expression de la misère de toute l’Église, et de rendre un témoignage chrétien commun. Elle est un gage encourageant: à la fois du côté catholique par l’initiative du pape et du côté luthérien par l’acceptation de sa présence dans cet anniversaire inévitablement délicat. Il revient aux deux grands partenaires de prendre des initiatives en ce sens car les reproches mutuels se sont trop longtemps révélés sans fécondité.

La Commission internationale catholique-luthérienne créée en 1967 a permis des progrès substantiels dans le rapprochement entre catholiques et luthériens. Les Églises catholique et luthérienne se sont mises d’accord pour reconnaître qu’elles ne tombent plus sous les condamnations mutuelles promulguées au XVIe siècle. Depuis 1986, le dialogue s’est intensifié au plan international comme au plan national (par exemple aux États-Unis), en se centrant sur la question décisive de la justification par la foi.
Ainsi de nombreux documents ont préparé la publication de la déclaration commune entre la Fédération luthérienne mondiale et l’Église catholique romaine, sur la doctrine de la justification (1999). Et on peut même dire aujourd’hui que le point majeur qui a fait éclater la crise est résolu: la justification par la grâce moyennant la foi est l’objet d’une confession commune et sereine des catholiques et des luthériens, même si elle reste différenciée. Un communiqué officiel commun des deux signataires a dû être ajouté cependant en vue de quelques clarifications.

Ce résultat est considérable et ce document devrait désormais appartenir aux textes confessionnels des deux partenaires. Mais il n’a pas tout à fait les mêmes conséquences pour les uns et pour les autres: pour les luthériens, la justification est «le critère décisif» de l’authenticité de l’Église, tandis que pour les catholiques elle n’est qu’«un critère». Ce point a été longuement débattu. Il donne lieu aujourd’hui à une nouvelle étape du travail entre les deux confessions, qui porte exactement sur l’Église. Ces conversations sont toujours difficiles, car on ne recoud pas en quelques années un différend cinq fois centenaire.

Indulgence ou bénédiction ?
Si la Déclaration commune sur la justification a clarifié une bonne fois le conflit initial, une question connexe et liée de près à l’événement de la rupture reste pendante : celle de la doctrine des indulgences. Cette question est sans doute secondaire, mais elle a son importance. L’Église catholique continue à enseigner et à pratiquer la doctrine des indulgences. Elle le fait même de manière festive à l’occasion des années saintes ou, comme cette année encore, avec l’année de la miséricorde.
Sans doute, la pratique catholique des indulgences ne donne plus lieu à aucun abus de type financier et la théologie des indulgences a considérablement progressé. (En 1967, le pape Paul VI a refusé toute conception « bancaire » du trésor de l’Église, supprimant toute quantification et montrant que les indulgences sont efficaces per modum suffragii, c’est-à-dire qu’elles ont valeur de prière pour toute l’Église.) Reste que la question des indulgences n’a jamais été le motif d’un dialogue clarificateur.

Je sais, par nombre de confidences entendues, combien l’indiction périodique des indulgences du côté catholique irrite les consciences luthériennes, et plus largement protestantes. L’Église catholique n’a, à ma connaissance du moins, jamais exprimé de repentance sur ce scandaleux trafic qui s’est déroulé au XVIe siècle et elle n’a jamais cherché un accord doctrinal sur le sujet. Elle semble oublier que la Réforme a démarré à partir du scandale des indulgences, que l’Église en ce temps a refusé d’assainir. Or ce souvenir reste terriblement présent dans les mémoires luthériennes.
À mon sens nous devrions, nous catholiques, accepter de changer le nom du processus pénitentiel aboutissant à la pleine libération des conséquences du péché. Le terme d’indulgence est trop grevé par le poids des conflits historiques pour pouvoir être accepté aujourd’hui. Un autre nom, biblique et traditionnel, serait tout à fait possible, comme celui de bénédiction, de miséricorde ou de bienveillance divine gratuite, et maintiendrait ce qu’il y a de légitime dans une vraie théologie des indulgences. Car ce point n’est qu’un aspect de la théologie de la grâce.
Cela demanderait sans doute une révision des textes officiels règlementant les choses et l’abandon de bien des formules qui ont encore marqué l’enfance de ma génération. Ce serait une belle mise en œuvre de la Déclaration commune sur la justification et le dernier mot à donner au vieux conflit sur les indulgences.

Bernard Sesboüé sj
professeur émérite de théologie au Centre Sèvres, Paris

Pour en savoir plus : Bernard Sesboüe, Sauvés par la grâce : les débats sur la justification du XVIe siècle à nos jours, Paris, Editions des Facultés jésuites de Paris 2009, 320 p.

Pour se souvenir du contexte historique de l'affaire des indulgences, lire du même auteur : L’affaire Luther

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