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mercredi, 21 janvier 2015 01:00

Une foi incarnée. Vers le plus haut Sommet

Le Père Gabioud a exercé son ministère d'abord comme aumônier au Collège de Champittet, puis à l'Hospice du Grand-St-Bernard. La profession de guide de montagne l'a aidé et accompagné dans sa façon d'être prêtre, témoigne-t-il. Elle lui a appris à demeurer bien incarné, à coller à la réalité humaine.

Si la montagne nous fascine et nous façonne, elle n'est pas pour autant un lieu sacré... Il n'y a de sacré que l'homme « créé à l'image de Dieu », l'homme appelé à vivre sa Plénitude dans une relation à l'Autre, appelé à se faire total espace pour cet Autre qui lui donne sa mesure d'éternité.
Il n'y a pas non plus de spiritualité dans la montagne. C'est notre vie humaine qui a une dimension spirituelle : dimension souvent oubliée malheureusement dans notre société trop matérialiste ! Pris au piège de cette société qui se structure presque uniquement autour de l'économie et qui définit l'homme par sa fonction et par sa capacité à produire, nous aboutissons à une dépersonnalisation qui risque de nous retirer jusqu'au goût d'être nous-mêmes et d'être nous-mêmes devant Dieu. Alors nous traînons la vie comme un boulet et nous perdons le sens de la gratuité : tout se paie... et d'abord la vie elle-même. La joie nous quitte et la dépression nous ravage. On étouffe, enfermé en nous-mêmes. On ne peut vivre que de calculs, de frigidaires et de technique (fut-elle électronique) ! C'est le perpétuel piège du « bitume », où nous risquons de nous engluer (cf. Gn 11,3 et 15,10). On a besoin de risquer sa vie pour grandir, et de la risquer dans le don de soi.

De mains à mains
Il existe des lieux tonifiants où nous pouvons entendre l'appel à la vie, au dépassement, où nous pouvons nous risquer dans une aventure qui libère le meilleur de nous-mêmes. La montagne est sur cette route, fascinante, exigeante, rappelant que nous sommes faits pour les sommets.
Cette montagne a longtemps fait peur et, dans sa frayeur, l'homme en a fait la demeure des dieux ; puis il a fallu la défier, par nécessité : franchir l'immense barrière des Alpes pour communiquer entre nations et races ; lutter pour en tirer quelques maigres fruits... Or voilà qu'aujourd'hui, tandis que la technique essaye par tous les moyens de nous éviter l'affrontement avec la montagne (nouveaux moyens de communication, tunnels, avions...), l'homme y revient, mû par une nouvelle nécessité, pour l'empoigner à mains nues.
Au cœur de cette montagne, et avec sa complicité, nous avons tenté d'ouvrir une voie : prendre occasion de ses richesses insoupçonnées pour fonder une vie spirituelle authentique et incarnée, pour y vivre et jouer une merveilleuse parabole, celle de la vie.
Cette aventure, nous avons voulu la tenter avec ceux qui sont en quête d'un sens, d'un Absolu motivant le risque de la vie. Nous l'avons fait pour être fidèle à l'intuition de saint Bernard de Menthon et à la tradition millénaire de l'Hospice du Grand-St-Bernard : nous rendre présents au cœur de la caravane humaine, pour faire un bout de chemin avec nos frères et sœurs, spécialement les jeunes, et leur signifier le seul Sommet capable de motiver l'engagement de toute une vie.
La marche en montagne et l'expérience de l'alpinisme deviennent ainsi les symboles et les supports d'un cheminement intérieur, que nous prenons plaisir à fêter dans la célébration de l'Eucharistie. Reste qu'il est important, en premier lieu, de privilégier dans ce cadre un vécu humain authentique. Car la foi s'enracine dans l'expérience humaine et l'expérience chrétienne s'épanouit dans une vie vraiment incarnée.
La montagne va permettre à celui qui la fréquente de se retrouver face à lui-même, en faisant l'expérience d'une vie sobre et dépouillée. Dans ces « terres incultes qui semblent sortir à peine des mains du Créateur » (Ernest Psychari), le randonneur (lui-même façonné avec tant de tendresse par ces mêmes mains) se réconcilie avec lui-même et retrouve confiance. Au terme d'une ascension particulièrement difficile, un jeune me faisait cette réflexion : « Je ne me croyais pas capable de réaliser cette ascension. Merci de m'avoir fait confiance ! » Il y avait dans ce merci, l'élan d'une personne naissant à une vie nouvelle et qui avait soudain compris que s'il faisait confiance à Celui qui appelle et qui aime, il pouvait réaliser l'impossible. La foi d'un montagnard ne s'exprime pas de la même manière que la foi d'un citadin. La montagne, cependant, ne tergiverse pas : lorsqu'une difficulté se présente au randonneur, il ne peut la fuir ; il lui faut l'affronter, la dépasser, en ouvrant une voie au cœur même de l'obstacle, et même en prenant appui sur cet obstacle. Encore faut-il, pour qu'il puisse se risquer en toute liberté dans ce passage délicat, se savoir bien assuré par son compagnon de cordée.
La montagne peut paraître là impitoyable. Elle appelle, mais elle révèle souvent du même coup nos limites. Cette conscience ouvre à l'immensité du mystère qui enveloppe de toutes parts nos existences. Elle devient possibilité d'accueil et de rencontre de l'autre. La confiance renaît entre les personnes et débouche tout naturellement sur le dialogue. C'est l'expérience de la vie fraternelle : nous sommes confiés les uns aux autres pour nous tenir vivants et nous stimuler à aller au bout des appels qui résonnent en chacun.
Parmi les nombreux témoignages de jeunes recueillis après une semaine d'initiation à l'alpinisme, celui de Matthieu, un garçon de 12 ans, les yeux pétillant de bonheur : « En assurant mon copain dans les rochers, j'ai tout à coup compris que j'avais entre mes mains la vie d'un autre. » N'est-ce pas là l'expérience chrétienne essentielle ? « Il s'est livré entre nos mains. » La vie chrétienne n'est-elle pas cet accueil de l'Autre ?

A la mesure de notre écoute
Ecole de vie, lieu de révélation et de rendez-vous avec Celui qui nous désire et nous attire comme un Sommet, la montagne n'est qu'un chemin ou mieux, peut-être, un tremplin... Par sa beauté, par sa grandeur, par ses horizons qui élèvent le regard, elle dilate les cœurs et les ouvre à Celui qui se tient, toujours mendiant, à la porte. Elle est alors, comme une splendide cathédrale, le cadre grandiose de notre rencontre intime et secrète avec Celui qui mérite seul l'engagement de tout notre être dans la réponse à son Appel. Appel que la montagne aura permis d'entendre ou de réentendre, et qui résonne au cœur de notre cœur à la mesure de notre écoute.
Cette épopée d'amour et d'alliance se retrouve dans cette petite histoire hassidique, celle du jeune rabbi Yaakou-Vitzhak. Agé alors de 4 ans, l'enfant s'échappait continuellement. Lassé de le punir, son maître un jour le suivit. Il s'aperçut que le petit disparaissait dans la forêt et qu'au milieu d'une clairière, il criait : « Ecoute, écoute, Israël, Dieu est ton Dieu ! » Depuis ce jour, ses fugues ne furent plus punies. Mais son père, qui cherchait à comprendre le pourquoi de ces escapades, lui de - man da : « Pourquoi t'échappes-tu sans cesse dans la forêt ? »
- Je cherche Dieu, dit l'enfant.
- Mais, dit le père, Dieu est partout.
- Oui, dit l'enfant, Dieu est partout.
- Dieu n'est-il pas partout le même ?
- Oui, dit l'enfant, Dieu est partout le même. Mais moi, je ne suis pas partout le même.

Prêtre et guide
Le prêtre est celui qui - comme le guide dans la cordée - fait l'unité, invite chacun à être responsable et à se dépasser pour répondre à l'appel du Sommet ; il est celui qui communique son enthousiasme, a con - fiance et fait confiance ; il apporte le réconfort de la Présence de Dieu au cœur des situations humaines. La montagne a été pour moi le lieu où j'ai célébré mon sacerdoce, où j'ai puisé dynamisme et symboles pour vivre mon ministère. Ce ministère, je l'ai vécu intensément, en communion avec des amis guides qui ont partagé mon souci pastoral. B. G.

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