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mardi, 01 mars 2016 15:00

Se réapproprier le sabbat

« Tu travailleras six jours faisant tout ton ouvrage, mais le septième jour, c’est le sabbat du Seigneur ton Dieu » (Dt 5, 12). Ce commandement a-t-il encore un sens aujourd’hui ?

L’obligation de chômer le jour du sabbat est répétée dans deux livres bibliques, l’Exode et le Deutéronome. Elle fait partie des termes de l’alliance que Dieu passe avec son peuple. Face aux populations alentour, Israël confirme ainsi l’exclusivité du lien avec son Seigneur, créateur du ciel et de la terre.

Achèvement
« Que du jour du sabbat on fasse un mémorial en le tenant pour sacré » (Ex 20,8). Il s’agit d’un achèvement renvoyant au récit de la Création : « Dieu bénit le septième jour et le consacra car il avait alors arrêté toute l’œuvre que lui-même avait créée par son action » (Gn 2,3).
On peut parler d’un vernissage, comme le fait Pierre Farron,[1] ou d’un silence, comme celui qui suit la dernière note d’un concert. Ce moment de suspension permet l’achèvement de l’œuvre., qui peut ensuite être autonome, appréciée, vécue, interprétée, cultivée... Ainsi le septième jour donne sa pleine signification à la Création et, par extension, à l’ouvrage humain réalisé pendant les six jours précédents. Une belle invitation à s’arrêter pour célébrer le travail accompli.

Libération
Dans le Deutéronome, l’obligation de chômer le jour du sabbat est liée à la libération d’Egypte. « Tu te souviendras qu’au pays d’Egypte tu étais esclave, et que le Seigneur ton Dieu t’a fait sortir de là d’une main forte et le bras étendu ; c’est pourquoi le Seigneur ton Dieu t’a ordonné de pratiquer le jour du sabbat » (Dt 5,15). Le sabbat est donc un signe de liberté du Peuple de Dieu. Souverain, il peut accorder des jours de bénédiction à son Dieu, ce qu’il ne pouvait pas faire quand il était soumis à un monarque étranger. Un regard de foi sur cette parole invite à s’interroger sur la souveraineté dont dispose aujourd’hui le travailleur sur le temps, y compris sur ses jours de con gé.

Repos
La prescription du sabbat s’étend à toutes et tous. « Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l’émigré que tu as dans tes villes... » (Dt 5,14). L’exode (23,12) souligne le besoin de reprendre son souffle. Sans arrêt, sans récréation, aucune création n’est possible, aucune production n’est durable. Au-delà de ce souci de renouvellement, il y a la volonté de protéger les plus faibles - représentés ici par l’émigré - de tout abus, de toute exploitation sans limites.
On retrouve ce souci de l’humain dans les propos de Jésus sur le sabbat. A ceux qui lui reprochent de rester actif (guérir un malade) ou de ne pas faire respecter l’interdit, il répond abruptement : « Le sabbat est fait pour l’homme, non l’homme pour le sabbat » (Mc 2,27). La vie et sa dynamique d’amour est première, non la règle. Tel est l’accomplissement qu’il annonce.

Rédemption
Or le sabbat - qui plus est le jour de la Pâque - obligea les femmes à attendre le premier jour de la semaine pour embaumer le corps de Jésus. Le jour de la résurrection, ce huitième jour selon certains théologiens, élargit le sens du sabbat. Il est devenu préfiguration, présence déjà accomplie du royaume de Dieu annoncé. La rédemption, la libération affirmée dans le lien entre la sortie d’Egypte et le sabbat, trouve, aux yeux des chrétiens, son plein accomplissement le jour suivant, celui de la résurrection qu’ils célèbrent chaque dimanche.

Effacement
Le dimanche, jadis halte imposée, se réduit aujourd’hui à un ralentissement, « un peu comme une frontière vide, toujours là mais qui ne signifie plus grand-chose ».[2] Il s’efface progressivement, cède la place à l’accélération du temps et à la connexion perpétuelle. « Il y a dans notre société énormément de sur activité, d’hyperactivité, et on a l’impression qu’exister, c’est agir et con - sommer. Or on s’aperçoit que la construction de sa propre identité requiert au contraire une capacité de recul, d’allègement des pressions temporelles et spatiales. »[3]
De fait, construire cette identité, trouver un sens à sa vie devient de plus en plus urgent. Moins la consommation est possible en raison des crises financières et environnementales, plus la recherche de sens prend de l’importance. Dès lors le temps sabbatique, comme achèvement, libération ou repos, devient une nécessité vitale.

Offre sabbatique
Certaines entreprises proposent de la méditation, des cadres demandent à s’ex traire de l’urgence, des salariés cherchent une issue face à la pression de la productivité. Nos communautés paroissiales ont-elles la capacité de créer des espaces de ressourcement, comme l’a souhaité Mgr Charles Morerod dans ses directives pastorales en décembre 2014 ? Peut-être conviendrait-il de proposer d’autres temps sabbatiques, hors normes et lieux habituels, qui permettraient à la question du sens de devenir centrale pour les personnes qui ont le désir et le courage de l’affronter.

[1] • Pour cet article, je m’inspire librement de mon collègue de la Pastorale œcuménique dans le monde du travail des Eglises dans le canton de Vaud : Pierre Farron, Dis, pourquoi tu travailles ?, Mont-sur-Lausanne, Ouvertures 2013. Ici p. 182.
[2] • Image du sociologue Jean Viard, in Témoignage chrétien, supplément au n° 3593 du 26 juin 2014, dossier « Prendre le temps », p. 35.
[3] • Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental de la République française, dans Témoignage chrétien, op. cit., p. 49. Voir aussi l’article d’Yvan Mudry aux pp. 20-23 de ce numéro.

A lire encore
Jean Halperin, « Les enseignements du shabbat », in choisir n° 547-548, juillet-août 2005, pp. 28-31.
Jean-Claude Huot, « Travailler le dimanche. Est-ce normal ? », in choisir n° 645, septembre 2013, pp. 24-28. Des articles à découvrir sur www.choisir.ch

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