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lundi, 25 septembre 2017 10:20

Accompagnement en fin de vie

La spiritualité est une source de force en temps de crise, de maladie, face à la mort. Dans le cadre des soins palliatifs en fin de vie, l’accompagnement spirituel peut être considéré comme la quatrième dimension d’une démarche globale, à côté de la prise en charge médicale, psychologique et sociale.

Zeitlupe

Sondages et études le montrent: dans les situations limites, les questions sur le sens de l’existence, l’origine et la destination de la vie, le mystère du commencement et de la fin se posent de manière particulièrement pressante. Et c’est aussi dans ces situations que des expériences spirituelles peuvent être vécues: le sentiment d’être accueilli et protégé dans un tout cohérent, le pressentiment d’une réalité ultime à laquelle on aspire, celle que les croyants nomment Dieu. «Dans de tels instants, déclare la pasteure Elisabeth Bürki-Huggler, responsable de l’aumônerie de l’hôpital de Thoune, la chambre du malade devient une cathédrale.»

Cet article est paru dans Zeitlupe le magazine mensuel de Pro Senectute suisse (n° 10, octobre 2017). Reproduction autorisée par Zeilupe, traduction en français par Claire Chimelli, pour choisir.

Elisabeth Bürki-Huggler s’arrête un instant à la porte d’une des chambres du secteur des soins palliatifs de l’hôpital de Thoune, entièrement concentrée sur la rencontre qu’elle va vivre. Avant d’ouvrir la porte, elle fait calmement le signe de la croix -un symbole qui compte beaucoup pour elle: «Le mouvement est en harmonie avec ma respiration et me relie au ciel et à mon prochain.» Puis elle entre dans la chambre où elle est attendue: les entretiens avec l’aumônier font partie de l’offre des soins palliatifs. Plus de la moitié des patients y ont recours. La pasteure de l’Église réformée évoque un homme d’âge moyen apparemment hanté par un souvenir d’enfance. Par bravade, il avait volontairement déchiré un gilet que sa mère avait tricoté et pendant longtemps, il n’avait pas osé le lui avouer. Finalement, celle-ci l’avait regardé longuement et l’avait serré dans ses brans en disant: «Viens, mon garçon.» Ce simple mot l’avait soulagé d’un poids infini. En poursuivant l’entretien, la théologienne apprit que lâcher du lest et enlever les pierres du chemin avaient été des thèmes récurrents de la vie de cet homme. Il pouvait maintenant trouver dans ce vécu un réconfort. Au moment de sa mort, les dernières pierres disparaîtraient.

Un parcours exigeant
Elisabeth Bürki-Huggler a pris conscience que le parcours est exigeant. Le deuil et la peur sont le plus souvent là, deuil à l’approche du départ, peur devant la souffrance et l’incertitude. «La mort est un hôte inconnu», comme le disait une mourante. «Les personnes en phase terminale se trouvent comme sur des montagnes russes, déclare Marianne Baumann, directrice du secteur des soins palliatifs de l’hôpital de Thoune. L’espérance et la confiance alternent avec le désespoir et la révolte.» Car «la mort, surtout dans son aspect corporel, peut être laide et amère», estime le médecin jésuite Eckhard Frick .
Lorsque ce n’est plus la guérison mais le soulagement des souffrances et la qualité de vie qui sont au centre de la prise en charge, les soins palliatifs, (le terme vient du latin pallium) visent à entourer, comme d’un manteau protecteur, ceux qui se trouvent sur ce difficile chemin. On ne traite pas seulement les symptômes physiques du patient, mais on cherche aussi à aborder ses tensions psychologiques et à trouver des solutions aux problèmes sociaux présents dans son environnement. Et avec l’accompagnement spirituel, on prend au sérieux sa dimension spirituelle. (Lire à ce sujet l’article de Stéfanie Monod-Zorzi, médecin gériatre au HUV, paru dans choisir en janvier 2013: Spiritualité des patients. La prendre en compte, oui, mais…). Cette approche correspond à une vision de l’être humain considéré dans sa totalité, corps, âme et esprit.
Pour de nombreuses personnes, la foi et la spiritualité sont une source de force au travers de toute leur vie, qui les portent quotidiennement, surtout lorsqu’elles traversent des temps difficiles, lorsque la vie devient trop exigeante et dure, en particulier quand l’âge et la maladie surviennent et que la mort approche. Il arrive que des convictions qui étaient fortes par le passé fassent place à une crise et que les questions qui se posent dans les situations limites exigent de nouvelles réponses. Selon le jésuite Eckhard Frick, qui a enseigné l’accompagnement pastoral à l’Université de Munich jusqu’en 2015, ce qu’on appelle Spiritual Care n’est pas un terme à la mode pour désigner l’aumônerie en milieu hospitalier. Il s’agit au contraire du souci commun à toutes les professions de la santé de répondre aux besoins, aux détresses et aux désirs spirituels des personnes malades.
Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définissait en 2002 déjà la spiritualité et l’accompagnement spirituel comme un élément fondamental du concept global des soins palliatifs. C’est sur ce même principe que se fonde la Stratégie nationale en matière de soins palliatifs lancée en 2010 par la Confédération suisse. Les directives publiées dans ce contexte précisent que l’accompagnement spirituel «soutient les personnes face à leurs besoins existentiels, spirituels et religieux, lorsqu’ils recherchent le sens de leur existence, des certitudes ou une solution à une situation de crise».

En parler
C’est à cela qu’est destinée l’unité spécialisée en soins palliatifs de l’hôpital de Thoune. Treize grandes chambres sont disponibles pour des malades qui ne guériront plus. Le patient peut apporter des objets familiers de chez lui et aménager l’espace comme il le désire. Des membres de sa famille peuvent passer la nuit à ses côtés, manger avec lui ou même apporter le repas de chez eux. «Nous voulons faire en sorte que nos patients puissent jouir de plaisirs matériels, et leur offrir des conditions aussi normales que possible», dit Marianne Baumann. (À Genève, la Maison de Tara offre une alternative à l’hospitalisation des personnes en fin de vie qui souhaitent vivre ce moment-clé dans une ambiance non médicalisée, chaleureuse et entourées d’attention et de tendresse, comme à la maison.)
Une équipe pluri-professionnelle dont les membres sont spécialisés dans divers domaines (médecine, soins infirmiers, accompagnement pastoral, psycho-oncologie, assistance sociale, diététique, musicothérapie, physiothérapie) prend soin des malades et de leurs proches. Une fois par semaine, au cours du colloque interdisciplinaire, on discute des traitements et des mesures à prendre, et il n’est pas uniquement question des symptômes corporels, mais aussi des conditions psychologiques, morales et sociales de la personne. Chaque spécialiste est impliqué, et en cas de besoin, on recherche en commun les améliorations possibles. «On ne peut pas tout faire, et il n’est pas toujours possible d’exaucer les derniers souhaits», dit encore Marianne Baumann. Mais chacun fait preuve de conscience professionnelle, d’empathie et d’ouverture.
L’idéal serait que les patients et patientes, ainsi que leurs proches, fassent preuve d’ouverture dès le premier entretien, lorsqu’ils formulent leurs attentes et leurs objectifs pour le temps à venir. «Il faut parler ouvertement de la fin de vie et de la mort pour pouvoir planifier au mieux le temps qui reste à vivre», assure la directrice. Après quelques jours, un autre entretien, auquel participent toutes les personnes concernées, permet de s’orienter et de trouver comment continuer.
Le taux de mortalité est élevé dans la station de soins palliatifs. Mais pour la moitié environ des personnes qui arrivent, la question se pose de savoir s’ils mourront à la maison, soutenus par les équipes mobiles de soins palliatifs, ou dans un autre établissement. Beaucoup d’entre eux cependant reviendront une deuxième ou même une troisième fois à l’unité avant de mourir.
Lorsque les malades et leurs proches abordent le document qui leur est remis sur des «questions importantes lors de maladies graves», il est souhaité qu’ils soient ouverts et prêts au dialogue. Ce document contient des pistes de réflexion sur les domaines les plus divers et permet de sonder les ressources personnelles, les soucis, les peurs, les souhaits et les besoins. La personne qui s’implique dans cette démarche peut ainsi prendre conscience de ses points forts et de ses faiblesses, et garder un certain contrôle sur les évènements, en toute connaissance de son état. Dans ce contexte, la question des ressources spirituelles accompagne comme un fil rouge ce repérage de la situation.

Des moments sacrés
Depuis longtemps, l’accompagnement spirituel dans le cadre des soins palliatifs n’est plus limité à une confession ou une religion. Les questions sur le sens de la vie préoccupent autant les personnes éloignées des Églises que les fidèles, les croyants d’autres religions que les antireligieux. Les aumôniers des trois Églises nationales ont pour mission d’être ouverts à tous les courants spirituels lorsque des personnes malades et en crise, en détresse et proches de la mort, font appel à eux. Ils soutiennent aussi leurs proches et ont parfois la possibilité d’être à l’écoute des soignants.
Telle est la conception de l’aumônerie que défend Elisabeth Bürki-Huggler. Parfois la pasteure ne peut que porter avec le ou la patient(e) son désespoir et sa douleur. Elle reçoit et prend au sérieux ce que les gens lui disent, ce qui exige de l’humilité. Minuscule îlot au milieu des gigantesques remous des sentiments… Elle recueille dans la prière, en silence ou à haute voix, si le malade le souhaite, ses angoisses et ses soucis, ses espoirs et ses attentes. «Je les mets en perspective et les présente à Dieu.» Cette possibilité de les transcender est pour la théologienne la valeur spécifique de l’accompagnement pastoral, à côté des autres disciplines.
Elisabeth Bürki-Huggler éprouve un profond respect face à ces instants où la vie se concentre sur l’essentiel, qu’elle appelle «des moments sacrés». Elle considère ces rencontres comme des cadeaux. L’un de ses trésors les plus chers est un foulard de soie qu’une patiente a peint et lui a offert. Le foulard est partagé par la diagonale en deux moitiés, l’une noire, l’autre blanche, qui contiennent chacune une rose dans les tons rouge. «Dans laquelle des parties la fleur ressort-elle mieux de l’arrière-plan?» lui a demandé la patiente. Elisabeth Bürki-Huggler est restée saisie devant le message de la mourante: la rose se détachait, lumineuse, sur l’arrière-fond obscur.

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