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jeudi, 16 septembre 2021 11:09

Quand un chat est un lion

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Lors du premier confinement de mars 2020, les associations œuvrant dans le domaine des addictions ont été mises en état d’alerte. Leur crainte? Assister à une augmentation de la consommation de substances psychotropes et d’alcool, principalement parmi les personnes atteintes dans leur santé mentale, chez qui les dépendances se révèlent particulièrement mortifères. Si la situation n’a pas été aussi catastrophique qu’annoncé, elle a incité les professionnels à travailler encore plus sur la prévention.

La pandémie a mis à mal les techniques habituelles adoptées pour évacuer les tensions et oublier les difficultés (rencontres entre amis, hobbies, voyages…), accroissant d’autant chez certains l’isolement social, le stress, l’ennui et les frustrations, l’anxiété et les ruminations constantes, ainsi que les dérèglements des cycles du sommeil. Ces difficultés supplémentaires de gestion du quotidien ont généré chez les plus fragiles de la détresse mentale (les appels à la Main Tendue -numéro de téléphone 143- ont augmenté de 12 à 15 % en 2020 et de 30 % au premier trimestre 2021 par rapport à 2019, a témoigné Yaël Liebkind, directrice de l’antenne genevoise de l’association). Submergés par des montagnes russes émotionnelles, épuisés par une lutte incessante pour contrôler leur environnement et rester debout, certains ont replongé dans leur addiction, tandis que d’autres l’enclenchaient pour la première fois.

Le retour de manivelle

La consommation d’alcool en guise d’automédication peut donner l’impression au départ que l’on contrôle mieux la situation. Les barrières sociales tombent, facilitant d’autant les relations, et l’on retrouve momentanément un meilleur sommeil. Mais le soulagement espéré est de courte durée. Non seulement les symptômes reviennent au galop, mais ils s’accentuent. Le Groupement romand d’études des addictions (GREA) a voulu faire passer le message, tant auprès du public que des personnes concernées. Il a organisé en mai une Semaine alcool, avec des discussions en ligne avec des spécialistes. L’une d’elles portait sur L’alcool et la santé mentale.

Christian, alcoolique anonyme qui ne boit plus depuis 7 ans, a témoigné de cet engrenage lors de la rencontre. «J’ai débuté ma consommation d’alcool vers 17 ans, sans qu’aucune maladie mentale ne soit diagnostiquée. J’ai commencé à tordre mon cerveau de plus en plus et une certaine folie a été déclenchée.» Troubles anxieux, dépenses excessives, insomnies... Et de l’alcool, toujours plus, comme «un bouclier pour ne plus vivre ces émotions. Mais c’est le chat qui se mordait la queue. Les émotions devenaient plus intenses, plus lourdes à porter. Un chien était un loup.»

De l’avis de tous les professionnels et personnes concernées réunis ce jour-là, les patients qui cumulent problèmes de santé mentale et alcoolisme doivent, pour casser ce cercle vicieux et aller mieux, d’abord soigner leur addiction par un sevrage. «La majorité des études démontre que les troubles de l’humeur sont secondaires par rapport à la surconsommation d’alcool», a ainsi déclaré Amine Askafi, psychiatre addictologue à la Fondation de Nant (est vaudois). Ne serait-ce que parce que l’alcool casse les molécules chimiques des médicaments prescrits aux patients et affaiblit donc leur efficacité.

Recréer du lien

Physiquement, un patient sevré peut récupérer en trois semaines, mais sur le plan intérieur, c’est une autre affaire. Le sevrage peut laisser un vide immense, a témoigné Christian. «Les tensions infligées au cerveau ne se remettent pas aussi vite. Il faut alors visiter son intériorité pour trouver une certaine paix», un chemin qu’il qualifie de spirituel.

Chef de clinique au service d’addictologie des HUG, Daniel Pires Martin a abondé dans son sens. Avec «l’automédication» par l’alcool, la relation à soi, à l’autre et à la société dans son ensemble se trouble. Le processus de retour à soi est essentiel pour ne pas replonger. En tant que thérapeute, cela signifie que «la rencontre avec l’autre, cette personne unique qui se dissimule derrière son syndrome alcoolique», est un préalable indispensable à un accompagnement thérapeutique axé sur la motivation. Ce n’est que dans une deuxième étape que le patient peut être invité à revisiter son histoire personnelle pour réfléchir à ce qui l’a amené là, et pour chercher, avec l’aide du thérapeute, un équilibre et une certaine satisfaction sans «automédication».

Les groupes d’entraide se révèlent particulièrement précieux pour sortir ces personnes de l’enfermement social dans lequel leurs troubles psychiques associés à l’alcool les enlisent. Certains vont apprendre à aller à la rencontre de leur propre ressenti et à mettre des mots sur leurs émotions, d’autres à mieux lire celles de leurs vis-à-vis, à moins projeter. Avec ce désir chez tous: maintenir ou créer du lien et retrouver une plus grande liberté. 


Un portail précieux

En Suisse, les personnes et les institutions ressources sont nombreuses. Depuis des années, les cantons romands travaillent à les faire connaître. Ainsi de la mise en ligne en 2013 du très riche portail santépsy.ch, enrichi depuis la pandémie par une page «Santé mentale & Covid-19».

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