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lundi, 08 mars 2010 12:00

Qui nommera les sans noms ?

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Il y a déjà deux mois, c'était le 12 janvier dernier, en Haïti? Il y a eu le séisme, des secousses à n'en plus finir. Il y a eu la peur, l'horreur, la mort. Et des photos en boucle sur nos écrans, montrant la désolation, l'impuissance, la panique, l'exode, le vide, puis progressivement l'abrutissement. Il y a eu aussi cette formidable mobilisation, d'abord un peu chaotique, avant qu'elle ne soit militairement organisée, où les pays riches, équipés et armés ont tenté de répondre aux besoins élémentaires d'une population mise à nu, et d'organiser l'inorganisable. Il y a eu, c'est vrai, les rescapés, ces miracles de survie quand on n'y croyait plus, comme pour nous rappeler que la vie est plus forte que la mort. Et il nous reste cette formidable interrogation : comment pourra-t-on jamais reconstruire, non pas seulement des abris, un réseau de communication, des routes, des écoles, une cathédrale, mais surtout redonner une chance d'exister, si possible meilleure qu'avant, dans ce pays miné par la corruption et l'égoïsme de quelques chefs de bande élus présidents !

Ce numéro était déjà en fabrication autour de différents thèmes touchant à l'Afrique quand le désastre est arrivé. Sommes-nous donc à choisir en retard sur l'actualité ? Mais comme le dit si justement le Père Général : « (...) ne jamais se fier aux premières impressions ». Ce qui se lira dans les articles du présent numéro ouvre une interrogation plus générale qu'un simple regard sur quelques réalités africaines. Et d'abord qu'est-ce l'Afrique ? « Tant que l'Afrique demeurera pour moi une Afrique, cela signifiera que je ne la comprends pas » ? il n'y a pas une Afrique, pas plus qu'il n'y a une Asie ! Il y a une multitude de réalités diverses au sein de ce gros village qu'est devenue notre planète, dans lequel les différences ne cessent de s'affronter mais où tout se tient. Peut-on se contenter de parler de la violence en République Centrafrique, sans ressentir combien celle-là nous ruine jusque dans nos sociétés occidentales ? Peut-on sourire en découvrant combien l'arbre à palabre joue encore un rôle majeur dans la société africaine, sans constater que nous y avons beaucoup perdu en le remplaçant dans nos sociétés technocratiques par un système de communications qui n'invite plus à la rencontre ni à l'échange ?

N'est-il pas bon de constater, par tant de voix qui se sont fait entendre au Synode des évêques d'Afrique, qu'il y a bel et bien un christianisme africain, avec ses traditions, ses pratiques, et ses guérisseurs - que l'on discrédite trop souvent en les nommant sorciers. Prenons le temps de les écouter, ces témoignages d'Africains qui critiquent avec doigté et prudence, comme ils savent le faire, le centralisme et surtout le romano-centrisme d'une Eglise qui peine à être réalistement catholique, c'est-à-dire universelle dans ses formes autant que dans sa manière de vivre l'Evangile. Ce danger se ressent jusque dans les cadres africains autochtones, évêques et prêtres compris, qui ont tendance à porter un regard de condescendance vis-à-vis des démarches de leurs anciens.[1] Sommes-nous si loin de nos propres réalités pastorales ? et n'aurions-nous pas profit à « palabrer » dans la foi avec nos frères africains, pour réapprendre ensuite à nous inculturer, à l'usage de nos régions ?

Une image me hante, depuis la catastrophe de Haïti, une image suivie de centaines d'autres plus insupportables les unes que les autres. La vision des cadavres empilés, des charniers au bord des rues, au bord du vide où les corps seront enterrés comme d'autres l'ont été dans d'autres lieux et en d'autres temps : sans nom ! Et au milieu de tous ces corps, hideux, déformés, ensanglantés, comme un dernier signe d'humanité, on a vu un homme, une femme, cherchant à retrouver un visage connu, pour ne pas sombrer dans la désespérance?

Que deviennent-ils tous ces sans noms ? Sont-ils condamnés à rejoindre ces autres sans noms que l'on côtoie au quotidien, sans pouvoir, sans vouloir les désigner, et par là leur donner un sens. Me suis-je jamais demandé comment s'appelait le facteur, la caissière du supermarché, l'employé de la voirie municipale ou l'infirmière du service de nuit ? Ont-ils des enfants qui ont mal dormi cette nuit?

Me revient alors cette espérance de vie, jaillie au fin fond du doute, un matin de Pâques, alors qu'une femme désespérée en quête d'impossible est retournée par Celui-là seul qui peut la remettre debout et lui donner sens en la nommant : Marie ! Pâques, n'est-ce pas espérer que quelque part il n'y a plus de sans noms ?

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