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mardi, 03 mai 2011 14:00

Vivre avec l'islam ?

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La question ne concerne plus un cercle d'initiés. Elle est politique, universelle, d'importance stratégique majeure. La paix mondiale, si fragile, dépend de la réponse, qui ne peut plus tarder. Vivre avec l'islam n'est pas une question d'école mais de survie. Car de sa réponse - qui ne saurait tarder - dépendra notamment l'attitude politique de l'Europe et de l'Amérique du Nord, sans oublier l'Asie où l'Indonésie, la plus grande nation musulmane au monde, joue un rôle « tampon » non négligeable, malgré sa relative discrétion.

Les cas problématiques concrets existent déjà. La Turquie, candidate à l'Union européenne, n'a pratiquement aucune chance d'être admise sans des garanties sûres et certaines en matière confessionnelle, une condition qu'elle est encore incapable de présenter aujourd'hui, malgré son statut d'Etat laïque. Et on pourrait penser que la Suisse, avec son épisode des minarets en 2009, a fait sourire les poids lourds de la coexistence mondiale. Qu'on ne s'y trompe pas. Un long séjour Outre-Atlantique m'a prouvé que le refus helvétique est considéré là-bas comme le premier acte politique moderne qui ose dire « non » aux attentes, voire aux « prétentions » de la communauté musulmane.

Les signaux d'une coexistence pacifique sont donc loin d'être au vert. Les paris sont ouverts. La tradition de l'islam fait peur à l'homme de la rue. Inutile de se voiler la face. L'histoire douloureuse des conquêtes arabes, des Croisades, de l'expansion coloniale et des guerres d'indépendance, même culminant dans le « Printemps arabe », ne fait rien pour simplifier le problème et modifier la sensibilité de l'opinion publique occidentale. L'« Arabe », donc le musulman, inspire la crainte. Pourquoi feindre de l'ignorer ? Les démons de l'incompréhension réciproque sont parmi nous. La défiance de l'Eglise catholique s'appuie sur l'adage bien connu Hors de l'Eglise point de salut, tandis que l'affirmation musulmane reste le plus souvent radicale - en tout cas aux yeux du public - en excluant les « infidèles » des joies éternelles du Paradis. On va me rétorquer que des théologiens italiens et espagnols tentèrent de jeter, dès la fin du XIIe siècle, des jalons du dialogue islamo-chrétien. Bien d'autres tentatives furent initiées, en s'appuyant sur le profond respect des musulmans à l'égard notamment de Jésus et de Myriam (Marie). Reste, comme l'écrit Odon Vallet, que « les chrétiens ont mené la diplomatie des missionnaires et de la canonnière, les musulmans la politique de la razzia et du djihad ».[1] Graves péchés, lourd passé.

Malgré des hommes aussi respectables que Louis Massignon (1883-1962) et d'autres chrétiens, en grand nombre, ouverts au dialogue, il a fallu attendre une époque récente pour surmonter la controverse permanente et découvrir un langage plus serein, plus respectueux et parfois même fraternel. Le concile Vatican II a brisé le tabou dans son décret Nostra Aetate sur les religions dites « non chrétiennes ». L'Eglise y affirme qu'elle regarde « avec estime les musulmans » qui cherchent « à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s'ils sont cachés, comme s'est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers ». Deux papes, Jean Paul II et Benoît XVI, sont allés en se déchaussant prier respectivement dans la mosquée des Omeyyades (Damas) et la Mosquée bleue d'Istanbul, un geste de grande humilité - compte tenu de l'immense susceptibilité romaine - mais qui n'a pas donné tous les fruits attendus.

Dans ce contexte, nous ne saurions passer sous silence le martyre de Shahbaz Bhatti, ministre des Minorités religieuses au Pakistan, abattu par des hommes armés le 2 mars dernier.[2] Les talibans pakistanais ont revendiqué le meurtre au nom des « propos blasphématoires » du ministre, partisan de l'abrogation de la loi sur le blasphème, qui prévoit la peine de mort pour quiconque dit du mal de l'islam ! Relevons que le propre frère du défunt, Paul, a pris la relève et occupe aujourd'hui les mêmes fonctions. Ce témoignage devrait redonner confiance aux femmes et aux hommes qui, dans les deux « camps », refusent la politique du pire pour oser imaginer un avenir respectueux des consciences et des traditions spirituelles. Un avenir qui pose tout simplement une grave question de survie à nos sociétés.

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