« Soyons gardiens de la création, du dessein de Dieu inscrit dans la nature, gardiens de l’autre, de l’environnement. (…) Rappelons-nous que la haine, l’envie, l’orgueil souillent la vie. » Le discours est jésuite, mais l’inspiration est franciscaine. Le pape François ne s’inspire pas de la ferveur du petit pauvre d’Assise par une sorte de mimétisme, mais sous le poids de sa responsabilité actuelle et de son expérience de prêtre et d’évêque en Argentine. L’Eglise romaine, malgré de très louables efforts, est « fatiguée », écrivait déjà, avant de mourir, le cardinal Carlo Maria Martini dans une interview posthume devenue célèbre : « Nous nous trouvons dans la situation du jeune homme riche qui s’éloigne tristement quand Jésus l’appelle à devenir son disciple. » L’Eglise romaine vit actuellement cette situation. Nos gens désertent les églises tristement. Ils ont faim et soif, mais certains prélats, certains discours leur sont totalement étrangers. « Je vois tellement de cendres cacher les braises que je suis souvent pris d’un sentiment d’impuissance. Comment peut-on libérer ces braises enfouies sous la cendre afin de raviver la flamme d’amour ? » L’option préférentielle du cardinal Jorge Mario Bergoglio rejoint l’intuition de son confrère milanais, lui aussi jésuite.
« Nous commençons un chemin. » C’est l’un des termes sur lesquels le pape François a insisté au cours de sa première homélie en tant que pape : « Cheminer, édifier, confesser. » Et, a-t-il insisté lors de la même occasion : « Sans la croix, nous ne sommes pas les disciples du Seigneur. Nous sommes des mondains. Nous sommes des évêques, des prêtres, des cardinaux, des papes… mais nous ne sommes pas des disciples du Seigneur. » Lourd verdict. La volonté d’en débattre est claire. L’avenir de l’Eglise repose sur sa détermination à communier avec l’esprit de l’Evangile et des conciles, dont Vatican II. Elle a du travail sur la planche. Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, confiait récemment au journal Le Pèlerin[1] comment il avait rencontré le futur pape à un arrêt de bus à Rome en octobre 2011 : « Je suis monté avec lui. Il est allé se mettre à l’arrière du bus. Nous avons parlé de notre rôle de pasteurs au service de l’espérance du monde… C’était quelqu’un qui demeurait timide et très réservé, mais on sentait en lui une grande profondeur. C’est un homme libre. »
Nous avons tous été surpris, je crois, par l’élection du 13 mars. A commencer par les jésuites qui ont repoussé farouchement, depuis Ignace de Loyola, l’hypothèse de voir l’un des leurs monter sur le siège de Pierre. La raison en était simple : les ordres religieux, les prélats et autres fils de grandes familles avaient assez trahi l’esprit de l’Evangile, assez causé de tort à la communion chrétienne, au profit de la tyrannie de la richesse et du pouvoir mondain, pour qu’une nouvelle communauté ne vienne s’adjoindre à la meute. Pas de pape donc parmi les jésuites, mais le vœu d’obéir lorsque le Saint-Père les appelle à des missions spécifiques. Le choix du Conclave de 2013 est une première et un symbole pour le temps de la Nouvelle évangélisation mise sur pied par le Synode des évêques, en accord avec Benoît XVI, lors d’une assemblée tenue à Rome en octobre 2012. Avec un pape du style de François, nous ne sommes pas sous la tutelle de l’histoire : nous la construisons. Tous ensemble.
Autour des années 1970-1980, des tensions internes sont intervenues au sein de la Compagnie de Jésus entre le Père général Pedro Arrupe et le supérieur provincial d’Argentine Jorge Mario Bergoglio autour du dossier tragique des personnes « disparues » ou torturées sous la dictature du gouvernement de Videla. Pour que ces questions n’empoisonnent pas l’avenir, le Père Provincial s'est réconcilié avec des confrères blessés par ses choix ou ses décisions, notamment à propos de la théologie de la Libération, un courant qu’il n'a jamais suivi. La rencontre du 17 mars 2013, à la Maison Sainte-Marthe, entre le pape jésuite et le général actuel des jésuites, le Père Adolfo Nicolás, s'est voulue elle aussi définitivement constructive. Les deux hommes se sont donné l’accolade d’usage entre jésuites. Le pape a même insisté pour être littéralement à tu et à toi avec son confrère. « L’ambiance, écrit le Père Nicolás, a été marquée de paix, d’humour et de compréhension mutuelle, quant au passé, au présent et à l’avenir. »
De l’humour dans un entretien entre le pape et le général ? On croit rêver. Il faut vraiment la bénédiction du Poverello pour avoir permis autant de liberté et pour voir s'ouvrir un avenir digne de cette belle consigne de Maurice Zundel : « La sainteté, c’est d’être la joie des autres. La sainteté, c’est de rendre la vie plus belle. »
Albert Longchamp s.j.
1 • N° 6799, samedi 16 mars 2013, p. 12.