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vendredi, 01 mars 2013 10:16

La liberté d’un chrétien

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Du pontificat de Benoît XVI, l’histoire retiendra surtout sa démission. Plus que les encycliques, les discours, les voyages, cet acte de courage et d’humilité marque d’un sceau original le ministère du pape allemand. D’abord parce qu’il s’agit d’une décision inhabituelle pour un souverain pontife, posée une seule fois dans l’histoire bimillénaire du christianisme.[1] Mais surtout parce que le geste de Benoît XVI est un acte de grande liberté, à laquelle l’histoire des papes ne nous a pas habitués : au plus haut niveau de responsabilité, la personne l’a emporté sur le personnage.

Plus une fonction implique une haute responsabilité, plus celui qui la porte s’identifie avec sa charge, au point de se confondre avec elle. Par honnêteté la plupart du temps, par ambition quelques fois. Le personnage, l’acteur, absorbe peu à peu la personne. Et lorsque la fonction est réputée d’origine divine, le lien est sacré, infrangible ; quitter sa charge devient aussi impossible que de quitter son propre être. Dépouillé de sa propre liberté, il ne lui reste plus qu’à jouer son rôle jusqu’à la fin, en acceptant stoïquement le lent vieillissement et la paralysie progressive de son service. En démissionnant, Benoît XVI a fait preuve d’une liberté que certains n’ont pas manqué de lui reprocher. A Cologne comme à Cracovie, des cardinaux bien intentionnés ont rappelé qu’on ne renonce pas à être père et que le Christ n’est pas descendu de la croix. Beaux propos à courte vue ! La sagesse est certes le privilège des ans, encore faut-il que l’âge lui offre une assise suffisante et ne se transforme pas en handicap.

Si la décision de Benoît XVI a surpris, des signes, qui trouvent aujourd’hui leur explication, pouvaient la laisser présager. En 2010 déjà, Benoît XVI expliquait à Peter Seewald, son biographe, qu’un pape a le droit et même le devoir de se retirer lorsqu’il constate que physiquement, psychiquement et spirituellement il ne peut plus assumer la charge de son ministère.[2] Par deux fois, en 2009 et 2010, à L’Aquila, il s’était recueilli sur la tombe de Célestin V, allant jusqu’à déposer son pallium sur le sarcophage du seul pape de l’histoire qui ait renoncé librement à sa charge. Dévotion prémonitoire, qui témoigne d’une décision lentement mûrie qui ne doit rien à la lassitude ou à la pusillanimité.

Le geste de Benoît XVI est exemplaire et porteur d’espérance. Il témoigne de la modestie d’un homme de foi qui ne s’estime pas indispensable, qui ose faire confiance au Christ pour l’avenir de l’Eglise. En quittant sa charge pastorale il n’emporte pas avec lui le charisme de l’infaillibilité, qui, du coup, apparaît comme la grâce d’un ministère plus que d’une personne. Il n’y aura pas un pape à la retraite, mais un cardinal qui fut pape. Unanime, l’opinion publique y a vu un acte de courage et d’humilité qui, le temps d’une émotion, a relégué à l’arrière-plan les critiques négatives d’un pontificat qui ne nous préparait pas à un tel coup d’audace. Ce pape réputé conservateur a pris une décision étonnamment moderne, premier pas - souhaitons-le - d’une réforme vainement attendue depuis de nombreuses années. En démystifiant le ministère de Pierre,[3] sa démission pourrait bien inaugurer une nouvelle culture de la responsabilité dans l’Eglise romaine, une culture de la modestie et du réalisme.

En déjouant les pires pronostics suscités par l’élection de l’ancien grand inquisiteur, Benoît XVI n’aura cessé de surprendre. En recentrant plus franchement le ministère papal sur la christologie, il l’a affranchi des traditionnelles mesquineries propres aux milieux ecclésiastiques. Ses gestes d’ouverture n’ont malheureusement guère retenu l’attention de l’opinion publique : sa lettre aux catholiques chinois, ses propos sur l’usage du préservatif, sa défense de la rationalité et de la liberté de conscience, son invitation aux athées et aux agnostiques à participer à la rencontre d’Assise, son indéfectible fidélité à l’enseignement du concile Vatican II. Quant aux jésuites, ils se souviennent que Benoît XVI les a confortés dans leurs audaces apostoliques en les envoyant aux frontières, là où la foi et la raison entrent en dialogue, où l’esprit évangélique lutte pour la justice et la paix, où le Christ apporte une réponse aux questionnements et aux nostalgies d’une humanité en quête de sens.

1 • En 1294, le pape Célestin V a renoncé à sa charge après cinq mois de pontificat. Les autres cas de démissions évoqués récemment concernent des anti-papes contraints d’abandonner leur fonction à l’époque du schisme d’Occident.

2 • Benoît XVI, Lumière du monde. Le pape, l’Eglise et les signes des temps. Un entretien avec Peter Seewald, Paris, Bayard 2010, 300 p.

3 • Le mot est du cardinal Woelki, archevêque de Berlin.

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