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vendredi, 30 décembre 2016 16:17

Papillons de nuit

Écrit par

« Fog Square », installation de l’artiste japonais Fujiko Nakaya, Paris, 5 octobre 2013, pour la « Nuit blanche » © P. Razzo / CIRICDifficile de ne pas se laisser affecter par l’actualité. L’année écoulée a égrené son chapelet aux perles amères: attentats, flots de migrants, candidats présidentiels prônant la construction de murs... Plus d’un d’entre nous se sent assommé, voire angoissé, face à ces événements. Les temps sont sombres, répétons-nous à l’envi, nous stimulant mutuellement dans un pessimisme bien appuyé. L’obscurité étendrait son linceul...

En mars 2016, une éclipse totale de Soleil a obscurci le ciel en Indonésie. Le phénomène a été célébré dans l’archipel par des rituels tribaux et des prières. Aussi archaïques que ces manifestations puissent paraître, elles disent quelque chose d’essentiel de notre réalité humaine : nous sommes des êtres marqués par l’alternance du jour et de la nuit, effrayés par les ténèbres -du monde extérieur et en nous–, et nous aspirons de tous nos vœux à la lumière.

Mais aucune beauté n’émergera de l’homme qui ne peut soutenir la vision de sa propre ombre, disait Carl G. Jung (cf. pp 18-21). En d’autres temps terriblement sombres, une frêle personne, Etty Hillesum, en a fait l’expérience. Pour être capable de voir au-delà des limites humaines, au-delà de la nuit, elle a dû travailler son intériorité, se mettre au service des autres et se remettre à Dieu (cf. pp. 13-16). Le scénariste et essayiste français Jean-Claude Carrière, qui lui aussi a vécu la Deuxième Guerre mondiale, témoigne dans le même sens. Traumatisé à vie (sic), il vient de publier un livre intitulé La paix. Invité le 3 décembre sur RTS la 1ère, il soulignait : «Si on n’a pas une paix intérieure, il est absolument inutile de chercher une paix hors de soi. Quand vous regardez, dans les documents filmés du XXe siècle, un discours de Hitler, proche de l’hystérie mais parlant de paix, il est impossible de croire un instant que cet homme est en paix avec lui-même. Tandis que quand on passe du temps avec le dalaï lama, on en sort dans un état d’apaisement indiscutable.»

Aussi angoissante qu’elle puisse être, la nuit physique, symbolique et spirituelle n’est qu’un passage vers l’aube, un temps qui nous dit un ailleurs insaisissable, si nous l’écoutons. N’est-ce pas là le fil conducteur de la Bible ? Une histoire de quête de sens, entre ténèbres et lumières, avec cette promesse : le Jour du Seigneur viendra (cf. pp. 6-8).

Entre temps, l’homme est appelé à garder ses lampes allumées, ici et maintenant. Un documentaire au titre édifiant est sorti en octobre passé, en avant-première au Festival de Locarno: Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté. Ce marxiste révolutionnaire suisse, lui aussi octogénaire, le dit sereinement: sa force de combat, il la tient de l’espérance folle que l’humanité va vers la Lumière, sinon il n’y aurait pas de sens à son Histoire. Et cette croyance exige d’être accompagnée par une volonté d’agir pour le bien commun. Charles Péguy ne le contredirait pas, lui qui écrivait : «L’Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et dans l’éternité. (...). La Charité aime ce qui est. Dans le Temps et dans l’Éternité. Dieu et le prochain.»

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