L'accueil de ces enfants a laissé des traces durables dans les familles dont certaines ont gardé jusqu'à aujourd'hui des liens avec leurs protégés, parfois même au-delà des générations comme en ont témoigné plusieurs personnes dans la salle. De même, la vente de mimosa en faveur de la Croix-Rouge, qui a lieu chaque année en janvier, commémore l'amitié franco-suisse née lors de l'accueil des enfants.
Pour Serge Nessi, les critiques parfois sévères envers la Suisse pour son attitude face aux réfugiés, notamment juifs, durant le deuxième conflit mondial ont trop vite fait l'impasse sur l'élan indéniable de générosité dont a fait preuve la population. Si les autorités se sont montrées d'une prudence excessive à partir d'une conception extrêmement étroite de la neutralité, la population s'est engagée de nombreuses manières pour soulager les victimes du conflit.
Des millions d'enfants sur les routes
Au moment de la débâcle de 1940, des millions de personnes sont jetées sur les routes. Des dizaines de milliers d'enfants sont perdus. Et presque aucune organisation, hormis la Croix-Rouge française, n'est là pour leur venir en aide. La Suisse dispose à ce moment-là uniquement du 'Cartel suisse en faveur des enfants victimes de la guerre' une coalition d'une quinzaine d'organisations de gauche, née lors de la guerre d'Espagne autour du Service civil international et de l'Oeuvre suisse d'entraide ouvrière (OSEO). Entre octobre 1940 et septembre 1941, le Cartel accueille 7'000 enfants français et belges pour un séjour de trois mois en Suisse.
Mais l'ampleur des besoins dépasse largement les capacités du cartel, d'où l'idée de confier cette tâche à une organisation nationale, en l'occurrence la Croix-Rouge. Sous l'impulsion notamment du pasteur et médecin genevois Hugo Oltramare, la 'Croix-Rouge Secours aux enfants' est créée au début 1942 comme une entité semi-autonome. Cela se concrétise par un bon spectaculaire des arrivés, puisque 18'600 enfants de 5 à 13 ans sont accueillis en Suisse en 1942.
Les enfants arrivaient par trains spéciaux. Chaque convoi qui comprenait 700 à 1'000 enfants provoquait des manifestations de sympathie de la population alertée par la presse. Les enfants étaient ensuite répartis dans des familles qui les hébergeaient gratuitement pour trois mois pour un séjour de "récupération sanitaire".
Vers la fin 1942, après le débarquement des alliés en Afrique du Nord et l'occupation de la zone libre, les Allemands suspendent les convois qui ne purent reprendre qu'en 1944. Se développe alors l'action de parrainage d'enfants qui permet notamment de leur fournir des colis alimentaires.
A fin 1944, 15'000 enfants de la région de Belfort, suivis au début 1945 de 10'000 de la région de Mulhouse arrivent en Suisse. Le secours aux enfants poursuivra son action jusqu'en 1949 au moment où ses activités sont réintégrées dans les structures ordinaires de la Croix Rouge suisse.
Financé exclusivement par la population
Fait remarquable aux yeux de Serge Nessi, toute cette action a été financée par la seule population, sans aucune contribution de la Confédération. Le moyen mis en œuvre fut celui du 'sou hebdomadaire'. Les familles étaient invitées à mettre chaque semaine une pièce de 10 centimes dans une tirelire en terre cuite. Cette action rapporte 1,3 million de francs en 1942. En 1944, 200'000 francs tombent chaque mois dans les caisses. Entre 1942 et 1949 la 'Croix-Rouge secours aux enfants' aura engagé 123 millions de francs. "On parlerait aujourd'hui en milliards", relève l'historien.
Aux reproches de trop d'allégeance de la Croix-Rouge envers l'Etat, voire de collaboration avec l'occupant, Serge Nessi oppose le statut des sociétés de Croix-Rouge nationales et les circonstances de l'époque. Les Croix-Rouge sont considérées, à l'époque et aujourd'hui encore, comme des auxiliaires du pouvoir public et des services de santé de l'armée. Il était donc pour elles impossible d'agir en dehors du cadre légal fixé par les autorités en place, ni de critiquer la politique de l'Etat, a fortiori en période de guerre. Le principe de neutralité absolue fait que toute action à l'étranger et que toute action en faveur des étrangers en Suisse est soumise à l'autorisation du Conseil Fédéral. C'est ainsi que le Conseiller fédéral Marcel Pilet-Golaz mit un maximum de conditions à l'accueil d'enfants en Suisse. Les directives touchent aussi bien la santé, que les habits, le courrier, les journaux, la quantité autorisée de fromage ou de chocolat. Les autorités reprochent même à la presse de faire trop de publicité risquant ainsi de nuire à l'action à l'étranger qui dépend du bon vouloir de l'occupant.
Au-delà des querelles d'historiens et des débats politiques, il ne faut ni occulter ni oublier l'engagement généreux de la population suisse envers les enfants, conclut Serge Nessi.
Maurice Page, apic
La Croix-Rouge suisse au secours des enfants - 1942-1945, Serge Nessi, Slatkine 2011, Genève, 264 p.