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vendredi, 07 février 2014 11:07

JRS à Alep

Témoignage du Père jésuite Mourad Abou-Seif, responsable du Centre St-Vartan

A Alep, importante cité industrielle et commerçante du nord-ouest de la Syrie, en proie à de violents combats depuis juillet 2012, chrétiens et musulmans travaillent ensemble pour soulager les souffrances de la population civile. «Les gens veulent à tout prix que la violence s'arrête. Le pays a reculé d'au moins deux générations!», confie à l'Apic le Père Mourad Abou-Seif, lors de son passage en Suisse en janvier dernier.

SYR2012 Aleppo Home

Directeur du Centre St-Vartan dans cette ville de 2,5 millions d'habitants, le jeune jésuite décrit le travail du Service Jésuite des Réfugiés (JRS) à Alep, dont il est le responsable. «Plus de 200 jeunes volontaires appartenant à toutes les confessions et à toutes les ethnies - Arabes, Kurdes et Arméniens - collaborent dans notre centre pour aider la Syrie à dépasser cette crise, en collaboration avec plusieurs autres organisations humanitaires», souligne d'emblée le Père Mourad sj.

Accueil des déplacés
Alors que les combats se déroulaient ailleurs en Syrie, la ville d'Alep connaissait encore une situation assez calme jusqu'au début 2012, mais les rebelles s'installaient déjà dans les villages alentours. Des déplacés intérieurs arrivaient de Homs, de Hama, d'Idleb et des villages proches. La situation s'est dégradée en ville à la mi-juillet 2012.
Le Centre St-Vartan - fondé il y a près de 100 ans pour aider les réfugiés arméniens - est situé dans le quartier populaire du «Midan» à Alep, actuellement sur la ligne de front entre troupes gouvernementales et rebelles. Touché par les bombardements en septembre 2012, le centre a été évacué et est maintenant en ruines. Ses activités ont été déplacées au Cercle catholique du quartier d'al-Aziziyeh, connu pour sa fameuse église arménienne des Quarante Martyrs et celles des communautés maronite, catholique romaine et grecque orthodoxe.
Les rebelles occupent une partie importante d'Alep, et il n'y a qu'un point de passage pour les échanges entre la zone gouvernementale et la zone rebelle, par Boustane el-Kasr. Quand ce passage, qui est très fréquenté, est bloqué, la ville est privée de tout ravitaillement. «On a été encerclés pendant un mois et demi, rien ne passait. Le passage est très dangereux, plusieurs personnes ont été tuées, d'autres enlevées. Mais la route est désormais sécurisée par l'armée gouvernementale».

« Dans ce conflit, dès le départ, affirme le religieux syrien, la position des jésuites a été claire: contre la violence, contre la partition du pays, contre la division ethnique et confessionnelle, contre la corruption, pour la démocratisation, les réformes, la légitimité de la demande de liberté... » Quand la crise a commencé en 2012 à Alep, les jésuites ont commencé à travailler avec la population locale. Sur le terrain, la société civile s'organise.
Au commencement de la crise à Alep, en juillet 2012, le JRS s'occupait de 11 écoles publiques qui ont accueillent des déplacés intérieur. Il s'agissait d'assurer toute sorte de service, nourriture, vêtements, médicaments, etc., ainsi que des activités psychosociales surtout pour les femmes et les enfants. Ces écoles ont été vidées début cette année scolaire 2013-2014 pour accueillir les élèves.

18'000 repas par jours
« Au début, nous avons mis en place une cuisine primitive dans une de nos écoles. Rapidement, nous avons réalisé que cette cuisine aurait un rôle important puisque tout montrait que les événements allaient durer. Donc, en septembre 2012, les Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie à Alep nous accueillent dans le jardin de leur couvent pour installer notre cuisine. Il y a trois mois encore, nous fournissions 18'000 repas quotidiens, 5,8 tonnes de nourriture chaque jour, pour les écoles et les mosquées. Actuellement, nous distribuons plus de 4 tonnes de nourriture pour les détenus dans cinq centre de détention et prisons du gouvernement, pour des maisons de retraite comme celle du Centre Saint-Vincent-de-Paul qui s'occupe de personnes âgées, ainsi que pour les maisons de retraite des sœurs de Mère Térésa et d'Al Mabara al-Islamya, une association musulmane qui aide les personnes âgées et les handicapés».
Cette dernière s'occupe de 86 vieillards et enfants handicapés qui ont été forcés d'abandonner leur centre à cause des combats, et ont été accueillis au Centre Jésus Ouvrier, appartenant au diocèse latin d'Alep.
Les distributions vont aussi à des associations ecclésiastiques qui viennent en aide aux déplacés: l'église grecque-orthodoxe Al Nabi Elias, l'église arménienne orthodoxe du St-Esprit et les Frère Maristes d'Alep.

Aide médicale et sociale
Le projet de JRS a installé un Centre médical à la rue Faysal. Ce centre reçoit les malades civils, entre 120 et 140 visites par jour. Dans leur foyer étudiant, les Sœurs de St-Joseph de l'Apparition ont aussi accueilli le JRS pour installer leur centre psychosocial qui s'adresse à presque 750 enfants, pour un programme de trois mois.
Le JRS a mis sur pied des cours d'alphabétisation ou de ré-alphabétisation pour des jeunes qui ont quitté l'école très tôt et des adultes. Il organise aussi des activités pour les femmes, comprenant notamment des travaux manuels et des travaux de couture, qui leur permettent de gagner un peu d'argent. Un programme de soutien scolaire aide les enfants dans leurs études, jusqu'au brevet et au bac. Toutes ces actions bénéficient du soutien financier d'œuvres d'entraide et de l'Eglise au plan international.

Le Père Mourad précise qu'à Alep des associations humanitaires chrétiennes et musulmanes travaillent main dans la main. La plupart des gens qui reçoivent de l'aide sont des musulmans qui ont pris la fuite de leurs villages à cause des combats. Quant aux chrétiens qui bénéficient de cet aide, ce sont dans leur majorité des familles affectées économiquement par le conflit. Le JRS s'occupe actuellement de 8'000 familles qui reçoivent une aide humanitaire sous forme de «paniers», qui contiennent de la nourriture, des vêtements, des ustensiles de ménage et de cuisine, voir des matelas. «Durant cette année, on compte aider 14'000 familles. «C'est un grand espoir si on laisse à ces associations de la place pour agir. Il n'y a pas deux blocs qui seraient opposés, musulmans contre chrétiens. Dès le début, on a travaillé ensemble. Bien des fois, on ne sait pas qui est chrétien et qui est musulman!»

JB Jacques Berset, agence Apic


 

Prêtres et évêques enlevés : pas de nouvelles

Interrogé sur le sort des prêtres et des évêques enlevés au début de l'année dernière par des miliciens islamistes, le Père Mourad ne dispose d'aucune information sûre. Près d'Alep, deux évêques et deux prêtres - Mgr GeorgesYohanna Ibrahim, évêque syro-orthodoxe, et Mgr Boulos al-Yazigi, évêque grec-orthodoxe, enlevés près de la frontière turque le 22 avril dernier, ainsi que les Pères Michel Kayyal (arménien-catholique), et Maher Mahfouz (grec-orthodoxe), séquestrés en février 2013 -, sont aux mains d'un groupe fanatique.
Aucun signe de vie non plus du Père jésuite italien Paolo Dall'Oglio, dont on est sans nouvelles depuis son kidnapping par un groupe islamiste le 30 juillet dernier.
S'il n'y a pas de statistiques claires, on pense que sur les quelque 120'000 chrétiens de la ville, 70'000 sont restés à Alep...pour le moment. Les plus riches, ceux qui ont peur d'être enlevés pour obtenir des rançons – des médecins, hommes d'affaires, commerçants – sont déjà partis. Beaucoup d'enlèvements sont de simples crimes de droit commun, vu l'absence de forces de police dans beaucoup d'endroits.


 

Bio Express

Après son noviciat en Egypte, le jeune Mourad Abou-Seif, originaire du sud de la Syrie, a fait son cycle intégré philosophie-théologie au Centre Sèvres, les Facultés jésuites de Paris, jusqu'en 2004, avant de passer une maîtrise en «counselling et spiritualité» à la Faculté des sciences humaines de l'Université Saint-Paul, à Ottawa. Ordonné prêtre le 21 août 2009 à Damas, il est basé à Alep depuis 5 ans. Il s'est d'abord occupé des réfugiés irakiens fuyant les troubles dans le pays voisin. Le JRS, qu'il dirige à Alep, leur venait en aide en collaboration notamment avec le Croissant rouge arabe syrien (SARC) et le HCR. Le nombre de ceux-ci à Alep avait dépassé les 30'000. En raison des événements en Syrie, ces réfugiés sont, pour la plupart, partis au début 2012. Certains sont retournés en Irak, d'autres ont cherché refuge à Damas ou dans d'autres pays.

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