Abdul Aziz Muhamat figurait parmi les trois finalistes sélectionnés en octobre dernier par un jury composé de dix grandes organisations de défense des droits de l’homme, aux côtés de Marino Cordoba Berrio (Colombie) et Eren Keskin (Turquie). C’est ainsi que pour la première fois depuis six ans, ce requérant d’asile soudanais a pu quitter le camp où il est parqué, pour se rendre à Genève avec un visa de deux semaines.
«Ce prix met en lumière la politique très cruelle du gouvernement australien en matière de réfugiés. Il attire également l’attention internationale sur les dangers et les mauvais traitements auxquels font face les réfugiés du monde entier, y compris dans les pays qui affirment respecter la Convention sur les réfugiés», a déclaré le lauréat.
Un périple de six ans
Âgé de 20 ans, Abdul Aziz Muhamat fuit la guerre au Darfour et gagne la capitale du Soudan, Khartoum. En danger du fait de son militantisme politique, il se rend en Indonésie où il demande à l’ONU le statut de réfugié. La réponse tarde tant que le jeune homme se retrouve avec un visa périmé, dans l’illégalité donc. En octobre 2013, il monte à bord d’un bateau en direction de l’Australie. Le bateau est alors intercepté par les autorités.
Abdul Aziz Muhamat se croit sauvé, mais il est transféré de force sur l’île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) dans le cadre de la politique australienne relative aux réfugiés «en mer». Six ans plus tard, il est toujours bloqué sur l’île, parqué plutôt, comme des centaines d’autres réfugiés et demandeurs d’asile, quotidiennement soumis à des privations, au harcèlement, à l’humiliation et à la violence.
Malgré les punitions, les autorités n’ont pas réussi à casser sa combativité. Le jeune homme n’a eu de cesse de réclamer les droits les plus élémentaires pour lui et ses camarades, comme l’a expliqué Dick Oosting, président de la Fondation Martin Ennals, lors de la remise du Prix. «Il a fait preuve d’une ténacité et d’un courage extraordinaires et a toujours résisté pacifiquement, même après qu’un policier lui ait tiré une balle dans la jambe (…) Le gouvernement australien doit respecter ses obligations internationales et mettre un terme à ces pratiques inhumaines.»
Les conditions de vie sur l’île de Manus ont été dénoncées par des organisations de défense des droits de l’homme. «Les hommes meurent, notamment par manque de soins médicaux appropriés. Certains d’entre eux, y compris des enfants, se sont suicidés. Nous avons besoin de sécurité, nous avons besoin de liberté, nous avons besoin d’espoir. S’opposer à ce système cruel contribue à préserver mon estime de moi et ma dignité humaine, a expliqué le jeune homme. Je continuerai à me battre jusqu’à ce que nous soyons tous en sécurité et libres.»
Réponse du berger à la bergère
En Australie, la politique migratoire est un enjeu majeur des élections législatives de mai. La décision de rouvrir le terrible camp de l’île de Christmas a été prise par le gouvernement comme réponse à la décision du Parlement d’assouplir la loi sur l’asile. Le 13 février, à 75 voix contre 74, l’opposition travailliste et les indépendants l’ont en effet emporté contre le parti libéral au pouvoir. Désormais les milliers de migrants détenus dans des camps offshores pourront être envoyés pour traitement en Australie si deux médecins le demandent. Le Premier ministre a de suite brandi la menace d’un afflux ingérable de demandes… et décidé de rouvrir le camp de détention controversé de l’île de Christmas, au sud de l'archipel indonésien, à 2300 kilomètres au nord-ouest de Perth, pour accueillir le nouveau «flux».
Autre requérant d'asile en Australie, autre prix!
Un autre requérant d'asile, lui aussi détenu depuis 2013 sur l'île de Manus, défraie la chronique ce mois. il s'agit de Behrouz Boochani, un Kurde iranien. Il vient de recevoir le Prix victorien de littérature 2019, le prix littéraire le plus important d'Australie en termes de récompense financière, pour son livre Pas d’ami, mais la montagne, écrit à l'origine en farsi. Craignant les perquisitions des gardes et la destruction de ses écrits, Behrouz Boochani a choisi d'envoyer des messages via WhatsApp à un traducteur, Omid Tofighian, qui se chargeait ensuite de mettre sur dossier ses écrits. Les juges du prix littéraire ont décrit son livre comme «une œuvre d’art époustouflante et une théorie critique qui échappe à toute description. Des formations narratives distinctives sont utilisées, de l’analyse critique à la description détaillée en passant par la poésie et le surréalisme dystopique».
Parmi les actions menées pour dénoncer la politique australienne en matière d’asile, signalons celle, accessible pour chacun, des lettres contre l’oubli pour Abdul Aziz Muhamat au gouvernement australien d’Amnesty International, accessible à tout un chacun.