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mercredi, 22 mars 2017 16:23

Ghost Hunting

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Ghost HuntingIl est des aptitudes que l’on retrouve chez nombre de protagonistes de documentaires ayant vécu des drames liés à la violence humaine. Tel le respect de l’autre souffrant, qui s’exprime par une capacité d’écoute profonde et un silence de qualité qui permet à la parole de surgir. Ou encore celle de savoir s’emparer des instants de légèreté et de poésie qui se présentent, et d’affronter avec humour le quotidien.
Ces capacités transparaissent dans Ghost Hunting, présenté au Festival du film sur les droits humains de Genève en première suisse, en présence de son réalisateur palestinien Read Andoni et de son assistant de direction Wadee Hanani.

Ghost Hunting
De Read Andoni
France/Palestine/Suisse/Qatar, 2017
prix du meilleur documentaire à la Berlinale 2017

Ghost Hunting2

Read Andoni a connu un temps les geôles israéliennes, comme 700 000 autres de ses compatriotes depuis l’occupation israélienne. Pour lui, ce fut celles du terrible centre de détention Moskobiya, à Jérusalem, sur lequel porte ce documentaire de création, construit et vécu comme une tentative d’exorciser des fantômes. Pour le réaliser, le réalisateur et scénariste palestinien embauche sur le chantier du film d’autres anciens prisonniers: plombier, charpentier, comédien, architecte... Ensemble, ils reconstituent les murs de leur prison (salle d’interrogatoires, cellules) et leur vie là-bas. Ghost Hunting, c’est l’histoire de cette reconstitution, qui prend forme petit à petit au fil des souvenirs, des difficultés à dire, des colères, des larmes, des rires et des chants, mais aussi de la vie d’aujourd’hui. «Je construit mon propre bonheur», dit l’un des participants en parlant de sa fiancée qui attend de le retrouver à la fin du tournage.

Ce voyage de sept semaines dans les mémoires se révèle éprouvant pour les protagonistes, qui endossent tour à tour plusieurs rôles, celui de prisonnier et de tortionnaire par exemple. Et les émotions que ces «doubles jeux» déclenchent, filmées et mise en scènes, sont troublantes et bien plus parlantes que nombre d’analyses ou de statistiques. La fiction croise la réalité, dans un jeu de miroir où l’on se perd. Quelle part est spontanée, quelle part construite? Ce n’est finalement pas important de le savoir. Fiction et témoignage dénoncent les mêmes faits: les interrogatoires musclés, c'est-à-dire la torture, que vivent les prisonniers politiques palestiniens en Israël et les détentions massives. Et la difficulté de tourner la page à la sortie, la rage, la peur, l'humiliation qui habitent encore les coeurs, même si le désir d'aller de l'avant est fort. «Au début, je pensais à un scénario de fiction. Mais la fiction est insuffisante pour traduire la profondeur des émotions... Parfois certains acteurs refusaient de jouer des scènes, et le film se transformait avec eux. Dès la deuxième semaine, ils ont vraiment été parti prenante du projet, ils se le sont approprié», explique Read Andoni après la projection au FIFDH.

Read Andoni est un adepte des films à vertu thérapeutique. Dans Fix Me, son précédent documentaire, il a filmé ses propres séances d’analyse, non sans ironie.

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