Dès les premiers plans, le film nous plonge dans l’univers reclus de Fried Adelphi (Martin Huber) chargé par ses frères d'une mission extraordinaire: retrouver en Indonésie la vulcanologue propriétaire de leur couvent, dont la signature, pour en prolonger le bail, est essentielle à la survie de la communauté. Il doit dès lors briser le vœu de silence qu’il respecte depuis 25 ans et s’embarquer malgré lui dans un road movie philosophique haletant. Atteint de claustrophobie aiguë, il quitte son avion à l’escale de New Delhi pour continuer son voyage par la voie terrestre. Il rencontre alors la fougueuse Ashaela (Ameenah Kaplan), une jeune «black» entraînée dans une quête existentielle. Ces deux êtres, que tout oppose, vont faire route ensemble. Incarnation d’une certaine forme de replis helvétique, le moine s'ouvre progressivement au monde, au doute et à l’amour.
Et pour ceux qui n’auront pas accès à la salle de cinéma du Grütli, nous vous invitons à le visionner en léger différé, ainsi que les 10 autres films faisant l’objet d’un débat, sur www.filmingo.ch/ilestunefoi. Les films y seront mis en ligne le lendemain de leur diffusion en salle, accompagné du podcast du débat, ainsi que d’une présentation de l’œuvre. Tout le programme ici.
Petit budget, grand film
Le réalisateur Wolfgang Panzer n'avait jamais mis les pieds en Inde avant le tournage du film. Né à Munich en 1947, il suit une école supérieure de cinéma et de télévision, avant de devenir successivement journaliste, caméraman, réalisateur et producteur. Il réalise son long-métrage à 49 ans, avec un minuscule budget de CHF 400'000.- Cette somme dérisoire a même couvert l'engagement du comédien Michael Moriarty qui tient le rôle du prêtre new-yorkais auprès duquel le moine se confesse.
Héroïne du film, la musicienne new-yorkaise Ameenah Kaplan a déposé ses baguettes de percussionniste pour suivre Wolfgang Panzer dans son projet. Le réalisateur, qui cherchait son personnage féminin depuis plusieurs semaines, l'a découverte en assistant par hasard à une représentation du groupe percussionniste Stomp. La spontanéité et le caractère bien trempé de la jeune femme correspondaient au personnage qui s’interroge sur la foi et l'existence, poussant le chartreux dans ses retranchements et faisant exploser les frontières de ses certitudes.
La réalisation du film est une aventure en soi: réduite à sa plus simple expression, l’équipe technique est formée du réalisateur, de sa productrice, d’un preneur de son et des deux acteurs. Qualifié au départ de «kamikaze» par son auteur, le projet s’élabore au fur et à mesure du voyage. Le script s’écrit en se faisant, au gré des péripéties du tournage. Une panne de taxi à la sortie de l'aéroport inspire une séquence. Au fil des rencontres et des anecdotes, le réalisateur étoffe sa trame. De nombreuses scènes improvisées, comme celle du concert nocturne au bord de la route, ont été intégrées progressivement au scénario, lui conférant une beauté spontanée et un peu magique. Cette part du hasard ajoute une grâce irréelle et troublante au film. Par ailleurs, certaines scènes sont filmées à plusieurs caméras, épargnant à la bande-son des problèmes de raccord au montage.
Si le film est tourné principalement en caméscope touristique Hi-8 (à l'exception des scènes du confessionnal, filmées en 35 mm), le regard des spectateurs s'adapte vite à ces images brutes transférées en 35 mm pour grand écran. L’économie des moyens va à l’essentiel. Broken silence dégage une puissance visuelle unique qui ajoute de l’authenticité au propos, lui conférant un réalisme universel. Le public est conquis: sans aucune publicité, le film de Wolfgang Panzer est resté un an à l'affiche en Suisse romande et deux ans à Zurich. Récompensé dans de nombreux festivals, le long-métrage est jugé meilleur film suisse de l'année 1996, raflant deux prix à Soleure.
Le plan final du film est un rappel du plan d’entrée. Il permet au spectateur de prendre conscience de la puissance et la densité de l’histoire dont il a été le témoin. Il faut parfois que tout change pour que rien ne change. Vive le souffle épique du cinéma!
Les nombreuses récompenses de Broken silence (Suisse, 1995. 106 min.)
Grand Prix du Festival International de Shanghai, 1995
Prix du Public Cinéma-Cinéma, GIFF, Genève, 1996
Prix du public Cinéprix Télécom, 1996
«Silver Hugo Award» au Chicago International Film Festival, 1996
«Sonderpreis» du Cinéma Bavarois, 1996
«Berliner Kunstpreis» (Académie des Arts de Berlin), 1997