Les pièces exposées au Kunsthaus proviennent pour la plus grande partie de la collection zurichoise de Jakob et Philipp Keel, les fils de Daniel Keel qui fut ami et éditeur de Fellini, mais aussi de la Fondation Fellini pour le cinéma de Sion, du musée Fellini de Rimini et de la collection privée du compositeur et chef d’orchestre tessinois Graziano Mandozzi.
La première fois que le cinéaste a exposé ses dessins, ce fut à Zurich, en 1977, à l’initiative de l’éditeur Daniel Keel et de sa femme, la peintre Anna Keel. Quand Fellini vit cette exposition, il fut à la fois gêné et émotionné parce que pour lui ses dessins n'étaient pas des œuvres d'art, juste des esquisses. Il avait trop d'admiration pour les peintres pour prétendre être l’un d’entre eux.
Caricatures satiriques
Très tôt, Fellini commença à dessiner. Dès l’âge de 5 ans, solitaire et introverti, il faisait déjà de jolis croquis. Il avait même construit un petit théâtre de marionnettes dont il avait dessiné et créé les décors et les costumes des personnages qu’il faisait jouer selon des aventures qu’il inventait. Ses premières caricatures furent publiées en février 1937 à Rimini, dans la revue La Diana. Il avait 17 ans. Il s’embêtait à l'école et le fait de croquer ses professeurs ou ses compagnons de classe était pour lui une manière de s'évader, comme le fait d'aller voir des westerns américains ou des péplums italiens. Le directeur du cinéma Fulgor de Rimini, ayant repéré ses talents artistiques, lui proposa de brosser des portraits d’acteurs célèbres à mettre dans ses vitrines pour attirer les spectateurs. En échange, Fellini pouvait voir les films gratuitement.
Cette même année, pour se faire un peu d’argent de poche, Fellini ouvrit, avec le peintre Demos Bononi, une petite «boutique du portrait» qui proposait des caricatures aux vacanciers venus se prélasser sur les plages de Rimini.
Sa mère rêvait d'en faire un cardinal ou un évêque, son père un médecin ou un avocat. Son examen de maturité en poche, Federico Fellini descendit à Rome accompagné de sa mère et de sa sœur pour retrouver sa famille maternelle et commencer des études de droit. Il n’a cependant jamais mis les pieds à l’université. En réalité, il s’est tout de suite fait engager au Marc Aurelio, une célèbre revue satirique dans laquelle il proposa ses portraits accompagnés de petites histoires mordantes et burlesques. En quelque sorte, il commençait là son travail de journaliste. À l'époque il n'y avait pas de bulles à l’intérieur des dessins, mais un texte au-dessous leur donnait leur pleine signification. Un dessin avec un texte était mieux payé qu’un dessin seul. Il s’est vite rendu compte que les dessinateurs, qui écrivaient des textes pour la revue, écrivaient aussi des textes et des gags pour le cinéma. Et ils étaient encore mieux payés! Il s'est donc mis lui aussi à écrire pour le cinéma. C’est ainsi que l'écriture cinématographique est venue dans un second temps occuper sa carrière.
Du personnage au réel
Au départ, Fellini avait avant tout une vision, un regard de peintre comme Peter Greenaway, Eisenstein ou Hitchcock. Comme Daumier, il était un caricaturiste de la société. Pour lui dessiner était une manière de faire du théâtre et de construire des personnages.
Plus tard, quand il choisissait un acteur, il faisait entrer le personnage qu'il avait imaginé dans la personne physique qu'il avait sélectionnée pour ce rôle. Si cet acteur, comme ce fut le cas pour Donald Sutherland, voulait jouer à l’écran un Casanova qu’il pensait extrêmement intelligent et fort intéressant, c'était raté. Fellini le bloquait. Fellini avait choisi Sutherland parce que ce dernier représentait, par sa corpulence, par sa manière d'être, par ses défauts, ses tics, le personnage qu’il avait, lui, le peintre, le réalisateur, imaginé. Fellini demandait aux acteurs professionnels ou non-professionnels d'être ce qu'ils étaient dans la vie, et de rester et de rentrer ainsi dans le personnage qu'il avait imaginé en tant que réalisateur, sans des fioritures d’acteur studio. Le caractère du rôle était déjà complètement contenu dans les dessins préparatoires.
Lorsque, au cours de castings, il rencontrait des comédiens, professionnels ou non, il les dessinait plusieurs fois pour sentir et voir comment ceux-ci pouvaient rentrer dans le personnage à qui il voulait donner vie. Il les transformait encore par la suite pour leur insuffler une dimension universelle. Le dessin lui servait avant tout à cela. Dans un second temps, ces ébauches, ces croquis devenaient une indication visuelle essentielle et relativement précise pour le travail des maquilleurs, des costumiers et des décorateurs.
Fellini dessinait tout le temps. Dès le matin, tôt, il se réveillait et écrivait et dessinait ses rêves dans les deux fameux volumes du Livre des rêves qu’il a illustrés de 1960 à 1990. Au téléphone, tout en parlant, il n’arrêtait pas de promener son crayon ou ses feutres de couleur sur une feuille de papier. Ces dessins étaient alors souvent accompagnés des numéros de téléphone de ses interlocuteurs. Il dessinait aussi pour passer le temps quand il s'ennuyait pendant un repas. Il griffonnait alors sur la nappe, sur la carte du menu, sur n'importe quel support avec un simple stylo noir, bleu ou rouge. Il croquait souvent les convives et parfois donnait ce dessin en cadeau à la personne concernée.
Il signait rarement ses dessins. Pour lui, ceux-ci n'étaient pas des œuvres d'art. Il s'est mis à les signer plus régulièrement très tard, surtout après l’exposition de Zurich de 1977.
Cinéma mon amour
Ce qui comptait avant tout pour Fellini, c’était ses films projetés sur grand écran; les dessins n’étaient qu’un point de départ, une esquisse de travail pour arriver au cinéma. C’est comparable avec la fonction des dessins préparatoires de Picasso qui faisait parfois 50 esquisses avant d'aborder le tableau, objet final de sa démarche. Pour Fellini, comme pour Picasso, les esquisses n’étaient que des ébauches imparfaites.
Fellini a laissé beaucoup de croquis de travail sur les acteurs, sur les costumes et sur les décors. Tous ses collaborateurs, acteurs et actrices ont été croqués un jour ou l’autre par le Maestro de manière joviale, satyrique, humoristique, érotique. Ce dernier genre de dessins se mesure allégrement aux grands dessins cachés d’Eisenstein, de Picasso et de bien d’autres grands peintres du XXe siècle.
Si vous voulez vous plonger dans l’univers pictural et onirique du réalisateur et dessinateur italien, faites un saut à l’expo Fellini du Kunsthaus de Zurich pour le plaisir et noyez-vous dans Le livre de mes rêves de Fellini (Flammarion 2020, 584 p.), un ouvrage essentiel pour comprendre l’œuvre du cinéaste et son processus de création à travers trente années de dessins et de textes relatant, jour après jour, ses visions nocturnes. Un matériel de base de l’ensemble de son cinéma qui vous révèle aussi le grand peintre qu’il fut.
Federico Fellini
De l’esquisse au film
Au Kunsthaus de Zurich
Du 1er juillet au 4 septembre 2022
Bon à savoir
Cinéaste et journaliste, Gérald Morin a été l’assistant de Federico Fellini de 1971 à 1977. En 2001, il a cofondé à Sion la Fondation Fellini pour le cinéma. Sa collection, élaborée et conservée pendant plus de trente ans, est devenue alors la propriété de la fondation. En 2013, Gérald Morin a réalisé Sur les Traces de Fellini, un documentaire produit par Artémis film production. Ce film sera projeté dans l'amphithéâtre du Kunsthaus de Zurich, le 1er juillet 2022, à 18h.
Lire également sur ce site son portrait du Maestro et de ses années de collaboration: Six années d’or auprès de Fellini.