Récompensé par le Goncourt de la poésie en 2003, Philippe Jaccottet était entré dans la collection de «La Pléiade» en 2014. C'était le quatrième auteur suisse à être publié dans cette prestigieuse édition, après Rousseau, Cendrars et Ramuz.
Éduqué dans le protestantisme, l’homme de lettres avait avec la religion une relation compliquée et avait plusieurs fois affirmé ne pas croire en Dieu, ce qui ne l'empêchait pas d'apprécier certains grands auteurs mystiques, catholiques et musulmans, souligne Raphaël Zbinden pour cath.ch. Dans une interview donnée au journal Le Monde en 1994, Philippe Jaccottet déclarait: «J’ai relu beaucoup les poèmes de saint Jean de la Croix, une des cimes de la poésie à mes yeux, ou ceux de Rûmî, le grand mystique soufi (...) Sans doute est-ce l’intuition de l’insaisissable comme source de la parole qui rapproche poésie et mystique.»
Si le poète était sensible à l'expression de l'invisible, ce qui lui importait le plus toutefois, c'était la confrontation au réel, notait Mathilde Vischer auteur d’une thèse de doctorat intitulée La traduction, du style vers la poétique. Philippe Jaccottet et Fabio Pusterla en dialogue (Kimé, 2009): «Creuser le réel à la recherche des richesses que renferme le monde visible, par une attention aiguë à ce qui l’entoure, est le seul moyen pour Jaccottet de poursuivre sa quête. Le travail poétique que cette tâche exige est la recherche d’une parole, d’un ton à même d’être au plus près de l’émotion suscitée par les éléments du monde. (...) Le parcours poétique de Jaccottet ne permet pas qu’on le rattache à une quête de transcendance. Cependant sa recherche de la justesse dans l’écriture et la traduction révèle le vœu d’atteindre un espace qui dépasse le langage. C’est aussi ce qu’il exprime lorsqu’il évoque le haïku, la forme poétique qu’il considère comme la plus pure. Son caractère sacré lui semble venir d’une sphère plus haute, touchant à l’essence même de la poésie: "Et ce peu de lumière, ce peu d’air avaient sur moi tant de pouvoir qu’il m’est arrivé de les dire presque divins, c’est-à-dire venus du plus loin, du plus haut" ("A la source, une incertitude"..., 1972, in Une transaction secrète, Gallimard, 1987).»
Parution récente
Après 95 ans d’une vie discrète et qui se confond avec son œuvre immense d’écrivain, de traducteur et de critique, la figure de Philippe Jaccottet reste auréolée d’une sorte de légende. Mais qui se cache derrière «l’ermite de Grignan»? Fabien Vasseur, spécialiste de la poésie moderne et de Philippe Jaccottet, dissipe la fable de l’effacement et retrace les linéaments d’une aventure poétique ambitieuse et complexe, riche en détours, faite de conflits souterrains et de conquêtes lumineuses. Loin de fuir le fracas de l’histoire, mais au plus près des choses, à l’affût des signes du mystère, sans jamais occulter le poids de la mort ni des plus terribles menaces, le poète parle aux hommes de leur salut. C’est, avec l’arme la plus pure, celle des mots, un combat exaltant, incessant, invisible, qu’il mène, depuis toujours, pour la vérité et la beauté du monde.
Fabien Vasseur, Philippe Jaccottet, le combat invisible, Lausanne, Savoir suisse 2020, 160 p.