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mardi, 05 avril 2011 12:00

L'entre temps

Simonnet 42703Anne Simonnet, Pierre Emmanuel, poète du Samedi saint, Parole et Silence, Paris 2010, 174 p.

Noël Jean Mathieu, connu sous son nom de plume Pierre Emmanuel, est né en 1916. A sa mort, en 1984, on saluait en lui un grand poète, témoin d'un siècle. L'auteur qui nous le présente ici, Dr ès lettres, est spécialiste du poète. Elle nous fait découvrir les profondeurs d'un être qui voyait l'histoire du monde au stade du Samedi saint, entre crucifixion et résurrection, un entre temps qu'il appelait « attente ».

Si Pierre Emmanuel est souvent qualifié de poète mystique, il n'en reste pas moins qu'il a été rebelle à la rigueur doctrinale, tel un cheval fougueux. Dans ses poèmes, il évoque la difficulté de l'homme d'aujourd'hui « télévisionnaire, vivant souvent dans la promiscuité des moyens de transports, des horaires communs, qui ne favorisent guère la réflexion ou la prière ». On dirait, dit-il, que l'éphémère réduit le champ de la conscience humaine et qu'un artiste révèle le monde et dit ce que ce monde vit, sans toujours le voir. Très ancré dans une perspective biblique, il pense que l'histoire est celle que l'on reçoit de ses pères, que l'on prépare pour ses fils et dont on est responsable au présent.

L'histoire qu'il vit, en pleine guerre, va peser sur lui et autour de lui. Il découvre des puissances démoniaques qui peuvent transformer un être en tortionnaire. Lui aussi se sent soudain capable des pires atrocités, comme n'importe quel sbire d'un tyran. Car, dit-il, il y a une séduction du mal, plus puissante peut-être encore que celle du bien. Il y a dans les armes du mal un désir de puissance et de violence qui semble se transmettre, se diffuser, presque à l'insu de ceux qui le portent. L'analyse que le poète fait de ce mal est terrifiante. Il y aura toujours, dit-il, une nouvelle Babel, un nouveau tyran, car l'homme n'est jamais guéri de son désir d'asservir son prochain.

Pour sortir de ces visions si sombres, il faudra attendre d'autres poèmes, ceux sur la Passion qui nous invitent à nous tourner vers l'avenir de ces temps qui ne sont pas encore, mais qu'il devine dans « l'envers de la miséricorde ». Choisir de gravir cette face nord de la miséricorde équivaut à étreindre la croix et à se laisser sauver.

Quelques lignes d'un poème me semblent dessiner la trajectoire du poète : « Celui qui jamais ne vient / Il est en nous à demeure. / Nul ne sait le jour ni l'heure. / Où se montre le Vivant. / Ce peut-être cet instant. » La question est de savoir si l'homme est capable de reconnaître le Vivant.

Dieu, s'exclame-t-il, est en chacun, tel un germe qui doit croître, comme le Verbe dans le sein de la Vierge et le Christ dans son tombeau. L'homme doit laisser germer ce grain, plus encore : creuser assez profond pour que rien de lui n'échappe à Dieu. Voilà un parcours très exigeant qui nous est proposé mais combien enrichissant !

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