Pour quiconque habite à Genève, l'oecuménisme n'est pas à construire mais à vivre. C'est une réalité quotidienne qui s'impose autant par l'histoire, par la politique que par la sociologie. Ce n'est pas un hasard si, dans les années ?70 déjà, poussés par le souffle de Vatican II, des théologiens protestants et catholiques cherchèrent à s'unir dans une réflexion commune. Ce furent successivement l'Atelier oecuménique de théologie (AOT), pour la formation, les célébrations eucharistiques avec invitation réciproque, pour le témoignage sacramentel, Chrétiens pour l'an 2000, pour la fête, etc.
Restaient des points de divergence, dont l'un qui semblait insurmontable puisque lié à la structure même des Eglises : leur relation avec l'Etat. N'a-t-on pas des décennies durant parlé de l'Eglise nationale évangélique de tel ou tel canton, alors que les catholiques affirment, jusque dans leur confession de foi, que « catholique » signifie universel ! Il y avait aussi la question de la reconnaissance des ministères de chaque Eglise par les autres, liée à celle du fondement ecclésiologique de sa propre confession. Il n'était pas facile pour un pasteur de changer de canton, alors qu'un prêtre pouvait officier dans le monde entier. Il suffisait qu'il en fasse la demande à l'évêque du lieu.
C'est précisément là que les difficultés pratiques commencèrent. A qui adresser la demande de reconnaissance de l'AOT ? Et lorsque le gouvernement d'un de nos cantons souhaitait obtenir l'avis des Eglises officielles de son territoire, quelle démarche lui fallait-il entreprendre ? Côté protestant, une demande pour que la question soit débattue en synode ou consistoire, le résultat inscrit dans les Mémoires et transmis par écrit à l'autorité demanderesse ; côté catholique, un coup de fil passé à l'évêché. Combien de nos amis pasteurs se sont-ils énervés de cette lenteur administrative, alors que de mon côté je trouvais le procédé fort peu démocratique.
Henry Mottu a traversé toutes ces années en tant que pasteur, théologien, professeur de théologie, puis paroissien à la retraite. Profondément engagé dès les premières heures dans l'oecuménisme pratique, il livre dans ce petit opuscule ravigotant les fruits d'années d'interrogations : peut-on associer des réalités aussi antagonistes que l'autorité dans l'Eglise, l'universalité du message évangélique et l'inspiration personnelle de chacun par l'Esprit ? le manque d'autorité au sein des Eglises protestantes n'a-t-il pas de sérieuses incidences sur leur rôle social et politique ? Et d'en appeler à une autorité créatrice, seule capable d'encourager une théologie engagée et citoyenne, apte à se positionner face aux crises identitaires et morales de notre temps.
L'auteur propose une philosophie politique, inspirée de la pensée de Hannah Arendt, qui permet de saisir les rapports conflictuels entre les notions de pouvoir et d'autorité, entre l'individu et le collectif. Il nous offre, ce faisant, le portrait d'un vrai « réformateur » du XXIe s., cherchant à réinventer son Eglise.