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mercredi, 24 juin 2020 08:32

Sur la "Via Jacobi", le chemin de Compostelle helvétique

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Home1 Via Jacobi«La foi exige un cheminement, une sortie, elle fait des miracles si nous sortons de nos certitudes commodes, si nous quittons nos ports rassurants, nos nids confortables.» Cette invitation du pape François à sortir des sentiers battus ouvre le guide du journaliste Emmanuel Tagnard sur la Via Jacobi. Un guide sous forme de carnet de route, qui invite son lecteur à la découverte des trésors naturels, culturels et des lieux spirituels qui jalonnent la Suisse d’Est en Ouest, du lac de Constance au bords du Léman.

Cette invitation à cheminer à pied sur le chemin suisse de Saint-Jacques-de-Compostelle, pour goûter à la paix intérieur à laquelle il appelle, est plus que bienvenu après les tourments socio-sanitaires de ce printemps. L’objet «guide» est aussi compacte et léger -entrant ainsi facilement dans une poche de sac à dos- qu’aéré dans sa mise en page sobre et parsemée des dessins du bédéiste suisse Alex Baladi. Un bien joli objet, aux phrases légères mais au contenu nourrit et nourrissant. On n’en attendait pas moins du journaliste-swisstrotteur de la RTS, coproducteur de l’émission télévisée religieuse et éthique «Faut pas croire», auteur de Très Saint-Père, lettres ouvertes au pape François (Salvator, 2018).

Après Einsiedeln © Emmanuel Tagnard

Des rencontres inspirantes

Au fil des pages, Emmanuel Tagnard relate ses rencontres avec des lieux, mais aussi des personnes inspirantes, des fortes personnalités comme Petr, un pèlerin rentrant à Prague après avoir fait l’aller jusqu’à Compostelle. «Je lui serre la main comme si elle appartenait à un ramoneur: le premier pèlerin croisé porte toujours bonheur», rappelle le journaliste, non sans souligner la forte odeur de reblochon qu’il dégage. Pas toujours facile de trouver un endroit pour se laver quand on a pas un sou.

Sur sa route, le journaliste croise aussi quelques religieux bien connus de choisir. À commencer par l'abbé Claude Ducarroz, ami de longue date des jésuites, ancien membre du comité de rédaction de la revue. «Le prévôt émérite de la cathédrale de Fribourg est une personnalité au tutoiement facile et direct. (…) Il n’a jamais entrepris ce pèlerinage, mais il est attaché au chemin en souvenir de sa sœur décédée: elle en avait fait plusieurs tronçons.» Quand on lui demande quelles sont les motivations des pèlerins qu’il rencontre quand il est hospitalier au gîte de Belorado, en Espagne, il répond: «Chacun est en quête mais ce n’est pas forcément religieux. De nombreux incroyants se rendent aussi à Santiago. Difficile de généraliser. Sur le chemin, un mot est souvent prononcé, Ultréïa! (qui signifie «En avant!», «Au-delà!»). Je pense que l’au-delà de Compostelle est la parabole des au-delà de la vie. L’au-delà est à la fois quelque chose qui nous arrête et qui nous appelle. Pour être à la hauteur de ce qu’il est, un être humain doit être plus que ce qu’il croit être.»

Labyrinthe «magique»

LabyrintheNDR vuduciel NDLRLabyrinthe de pierres levées du domaine de Notre-Dame de la Route @ domaine de Notre-Dame de la Route

«En quittant Fribourg, une brise se fait sentir. Un panneau indique Notre-Dame de la Route», note le journaliste. Attiré non par le titre mais par quelques dizaines de pierres dressées sur la pelouse du domaine, Emmanuel Tagnard s’en va à Villars-sur-Glâne. Il veut y découvrir le labyrinthe créé par les jésuites de Fribourg, connu loin à la ronde et au dessin similaire à celui des cathédrales de Chartres et d’Amiens. Il y rencontre l’archéologue et bibliste Jean-Bernard Livio sj, lui aussi membre du conseil de rédaction de choisir pendant plus de 45 ans. «Par chance, le jésuite n’est pas en Terre sainte où il accompagne régulièrement des groupes de pèlerins sur les pas du Christ.» (Cf. Jean-Bernard Livio, Voyage en terres saintes, in choisir n°607-608 et son dossier consacré au voyage responsable.) «Il me scrute d’un regard pétillant et rieur.» Une longue conversation (lire en entier sur le site des jésuites de Suisse) s’ensuit, dans laquelle le jésuite explique l’intention et la finalité de ce labyrinthe, avant d’évoquer le plaisir et les bienfaits de ses marches dans le désert du Sinaï: «Marcher, c’est comme laisser entrer la spiritualité par la plante des pieds. J’ai une lecture très physique de la Bible. Marcher m’oblige à un autre rythme. Marcher ouvre en moi un espace d’émerveillement et d’énervements, de fatigue, de Y arriverai-je? et de Je suis complètement fou de m’être lancé dans cette aventure. Marcher me permet de relire mon quotidien. Je ne marchais pas pour réaliser un exploit mais simplement pour découvrir ce que je sentais intuitivement et pour le laisser apparaître comme une évidence. Au début, la question était: Je cherche quoi? Jusqu’au moment où j’ai compris que la bonne question était Je cherche qui? Je me cherche et je Le cherche. Chercher Dieu et Le trouver partout, en toutes choses.»

 

CouvLivre sodisEmmanuel Tagnard
Via Jacobi
Sur le chemin suisse de Compostelle
Dessins de Baladi
Éditons Saint-Augustin
Saint-Maurice 2020
145 p.

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