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vendredi, 07 mai 2021 19:00

Un essai de spiritualité chrétienne

ZumsteinCet essai vient à son heure. Il est d’une belle intensité théologique et spirituelle. Sa principale force, à mes yeux, consiste à offrir de précieux repères aux chrétiens comme à des personnes en recherche pour comprendre ce qui fait l’originalité d’une spiritualité chrétienne, sans pour autant dévaluer d’autres approches. L’étude et la méditation de l’évangile de Jean, auxquelles le théologien protestant Jean Zumstein s’est longuement consacré et qu’il a explicité et commenté dans d’autres ouvrages, trouvent ici un aboutissement concret dans cette proposition d’itinéraire spirituel.

Jean Zumstein, Sur les traces de Jésus. Un essai de spiritualité chrétienne, Labor et Fides 2021, 248 p

Le chapitre Qu’est-ce que la spiritualité? est remarquable. L’approche de la spiritualité comme conversation intérieure (avec soi-même, les autres et Dieu) est importante par l’accent mis sur la nécessité de construire sa vie intérieure. Cette conversation avec soi-même rejoint la notion de débat intérieur dont parlait Paul Ricoeur (cf. Soi-même comme un autre). Le chapitre sur la prière, et le Notre Père en particulier, est aussi très éclairant par la place qu’il donne à la prière dans un itinéraire spirituel. Dans ce sens, l’Église devrait plus aider nos contemporains à construire leur vie intérieure et à marquer la relation de celle-ci avec la vie extérieure, sociale. Le lien entre vie intérieure et engagement social est donc souligné à juste titre dans cet ouvrage.

Théologie existentielle et vie spirituelle 

L’ouvrage allie théologie existentielle et vie spirituelle: c’est sa deuxième force. L’auteur a compris l’attrait actuel pour la spiritualité et il part de cette recherche spirituelle, de ce désir de sens, pour déployer les caractéristiques propres d’une spiritualité chrétienne. Que de sujets traités dans ce livre que j’ai reçu comme une synthèse des découvertes théologiques et spirituelles de l’auteur au cours de sa vie!

Chaque chapitre aborde des questions essentielles, caractéristiques de cette proposition d’itinéraire spirituel chrétien: La relation, son absence et son objectivation; La crise de la connaissance dans ce chemin spirituel; Le Dieu proche dont témoigne Jésus de Nazareth; Les formes de bonheur, de reconnaissance et de justice possibles; La liberté et la responsabilité de la vie spirituelle.

Ensuite sont traitées les déclinaisons que peut prendre la foi; La manière de vivre et l’engagement appelés par une spiritualité chrétienne; La prière qu’ouvre le Notre Père sur ce chemin; Le rapport au monde et à la nature; La manière de vivre le temps; La mort et de la résurrection; La relation nécessaire entre la spiritualité et la mémoire.

L'importance du contexte culturel et religieux

Sa troisième force est son attention parallèle au contexte culturel et religieux, tant du Nouveau Testament que de celui de notre époque. L’auteur jongle entre les deux, il en montre les différences et les points communs. D’autre part, il fait place à des textes de la tradition chrétienne européenne, montrant combien celle-ci contient aussi un héritage chrétien et/ou spirituel précieux. Il cite nombre de chercheurs au début et à la fin de chaque chapitre. Cela va de Platon à Matthieu Ricard, avec des auteurs comme Maître Eckhart ou Castellion, Blaise Pascal (abondamment cité) ou Soeren Kierkegaard, jusqu’à des penseurs plus modernes comme Albert Schweizer ou Hannah Arendt, sans oublier des contemporains comme Edgar Morin ou Frédéric Lenoir.

Ce faisant, Jean Zumstein a choisi de ne présenter qu’un seul type de spiritualité chrétienne, tout en acceptant qu’il puisse y avoir d’autres modèles spirituels tirés du Nouveau Testament (NT). Cette intéressante démarche pourrait inspirer d’autres auteurs à présenter d’autres types de spiritualités, par exemple à partir des lettres aux Éphésiens et aux Colossiens qui manifestent à une spiritualité plus ouverte sur le cosmos et moins centrée sur l’être humain. Personnellement, je serais intéressé par une présentation d’un itinéraire spirituel à partir des motifs lumière/ténèbres, très présents dans le NT, ou des motifs chemin/maison.

Quelques limites ou faiblesses

Je soulignerai pour finir toutefois quelques limites ou faiblesses de ce livre. La différence de contexte entre l’époque du NT et la nôtre est-elle assez relevée par l’auteur? La durée de vie d’une personne au temps du NT était nettement plus courte qu’aujourd’hui. Cela n’entraîne-t-il pas nécessairement d’autres préoccupations pour celui qui entreprend un chemin spirituel aujourd’hui? La question de tenir dans la durée, celle du renouvellement du langage religieux ou de la foi comme attente se posent à mon sens autrement. L’individualisme religieux, la faiblesse institutionnelle, la difficulté d’intégration sociale -aussi dans les communautés chrétiennes- influent fortement sur la manière de vivre concrètement sa spiritualité aujourd’hui. Je vois beaucoup d’amis en recherche, mais hors Église ou communauté, ou en recherche de communauté d’échange. Comment ces nouvelles situations contemporaines (la question des doubles appartenances confessionnelles ou interreligieuses par ex.) influencent-elles nos vies spirituelles?

L’absence d’un chapitre sur les déclinaisons de l’espérance

Concernant le témoignage de l’Apocalypse de Jean, le théologien écrit: «Cette vision apocalyptique de l’avenir est marquée par le pessimisme.» Il est possible, à mon sens, d’avoir un autre regard sur ce message, qui n’est pas seulement pessimiste mais aussi plein de confiance et d’espérance en l’œuvre cachée de Dieu. Apocalypse signifie aussi révélation, révélation de l’histoire cachée de Dieu dans notre histoire (ndlr: voir notre dossier Heureuse apocalypse, in choisir n° 687, avril-juin 2018). La perspective de l’auteur valorisant le présent de la foi met-elle assez en valeur l’histoire, la valeur du chemin du chrétien, certes fait de réussites et d’échecs mais dans lequel une progression/maturation est possible?

Dans notre contexte marqué par la crise climatique, l’espérance de l’apocalyptique judéochrétienne (Daniel et Apocalypse de Jean) devrait être redéployée. Elle permettrait de vivre la foi non seulement comme un accueil d’un don dans le présent, mais aussi comme un accueil et une attente d’un avenir autre qui vient transformer notre présent.

L’auteur laisse aussi de côté certaines questions gênantes. Ainsi que devient le jugement dernier de Dieu dans la perspective johannique une fois acceptée la vie donnée dans le Christ Jésus? Ne demeure-t-il pas comme l’instance dernière de dévoilement, de vérité? Ne faut-il pas le réinterpréter sans l’annuler?

La nécessité d’une méditation chrétienne

Jean Zumstein écrit: «La spiritualité chrétienne se distingue de la méditation par le fait que le travail intérieur auquel elle appelle est un faire-mémoire, un acte d’anamnèse.» Ne réduit-il pas trop la méditation à un travail sur soi-même? Il y a une tradition chrétienne très ancienne qui demanderait à être davantage valorisée: la méditation des Écritures. Il ne faudrait pas laisser à d’autres formes de spiritualité l’exclusive de la méditation…

Pour moi, et probablement pour l’auteur, il est possible de croire que Jésus n’est pas venu dans le monde seulement pour nous donner de mieux nous comprendre et pour donner du sens à notre vie, mais aussi en vue de changements personnels et sociaux. Mais la conscience de l’urgence et de l’importance de ces changements personnels et sociaux peut varier selon les types de spiritualité.

Pour finir, je ne peux que vous inviter à lire cet essai qui, très certainement, stimulera votre propre cheminement spirituel!

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