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mardi, 27 avril 2021 13:32

Des porte-drapeaux de la Genève internationale

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ZahiCe livre se veut un hommage à tous les étrangers qui contribuent à faire rayonner Genève sur la scène internationale. Il consiste en 126 portraits sur deux pages, accompagnés d’une photo, d’hommes et de femmes d’origine étrangère établis dans notre canton (un par pays représenté). Parmi eux, se comptent très peu de fonctionnaires internationaux, alors même que l’ouvrage a été conçu en vue du centième anniversaire de la Société des nations (l’ancêtre de l’ONU), célébré le 15 novembre 2020. Un choix délibéré que l'auteur, le journaliste Zahi Haddad, explique.

Zahi Haddad, 126 battements de cœur pour la Genève internationale, Genève, Slatkine 2020, 276 p. Photos de Aurélien Bergot

L’intérêt de l’auteur pour la Genève internationale remonte à son enfance. Arrivé du Liban en Suisse à l’âge de 3 ans, le jeune Zahi Haddad a baigné dans l’atmosphère des expatriés, son père travaillant pour une compagnie aérienne étrangère et recevant régulièrement à la maison amis et clients. C’est ainsi que, tout naturellement, Zahi Haddad s’est dirigé vers des études de relations internationales et a travaillé un temps à la Banque mondiale.

Depuis 100 ans, note-t-il, le visage international de la ville s’est beaucoup transformé sous l’œuvre de deux de ses caractéristiques: être une terre d’accueil pour nombre d’étrangers en exil, et être le lieu de naissance de la SDN et donc du multilatéralisme. Tous les pays du monde sont représentés à Genève, et c’est depuis cette petite ville du centre de l’Europe que les instances onusiennes impactent la vie de millions de personnes. Or, si pendant longtemps les étrangers présents dans la ville ont été principalement des expatriés confinés au milieu international, les choses ont évolué depuis les années 90, avec notamment les changements majeurs de l’Europe et le développement des migrations.

L’idée du journaliste était donc de valoriser l’influence internationale de Genève, mais à travers les destinées d’entrepreneurs, de créatifs de la société civile d’origine étrangère. Les gens qu'il a choisis ont tout mis en œuvre pour réaliser un projet qui leur tenait à cœur et ils lui ont donné une projection internationale, que ce soit dans le domaine économique, culturel, sportif ou spirituel.

Abdul Carrupt, Guinée Bissau, devant la place des Nations, Genève. @ Aurélien Bergot

«Ils viennent de sphères très diverses. Certains ont fait des études poussées, ont évolué dans le milieu des expatriés et travaillé pour des compagnies multinationales. D’autres ont des origines plus simples, deux d’entre eux viennent même de villages sans eau ni électricité!» C’est ainsi que Vladimir Ippolitov, danseur étoile russe de la troupe Mariinsky, qui s’est installé à Genève pour y promouvoir le ballet classique et contemporain, côtoie dans l’ouvrage Alix Muanza Miguel, né en Angola en 1985, réfugié politique en Suisse et aujourd’hui champion d’Europe de Krump, une danse urbaine inspirée des traditions tribales africaines. «Des environnements différents les ont constitués, mais cela ne les empêche pas d’évoluer les deux aujourd'hui dans la danse, avec une projection internationale», note leur portraitiste.

126 pays, une même humanité

En dehors de leur aspect «politique», ces 126 battements de cœur mettent en valeur à la fois la diversité individuelle des destins humains et leur universalité. Toutes ces rencontres, nous dit l’auteur, lui ont appris quelque chose sur lui-même et apporté sur le plan émotionnel. «J’ai réalisé que nous étions unis par une essence commune, remués par les mêmes questions. Il y a, dans tous ces parcours, des similitudes qui permettent à chacun d’entre nous de nous connecter facilement à l’autre, de nous souvenir que l’autre, c’est aussi nous. Je savais déjà que le portrait fait office d’effet miroir, mais je l’ai expérimenté de manière encore plus sensible lors de ces entretiens approfondis. Quand quelqu’un d’autre exprime des choses qui résonnent en nous, cela permet parfois de mieux comprendre notre propre chemin. Les étrangers qui vivent à Genève sont forcément des gens qui ont quitté leur pays, eux ou leurs parents. Et ça rejoint mon histoire.»

Tout ce qu’on vie nous façonne, finit par faire un puzzle, par converger. C’est ainsi qu’une destinée se crée. Mais pour mieux se déchiffrer soi-même, une rencontre avec son propre passé est nécessaire. «J’ai perdu mon père très jeune. Comme il me manquait une pièce du puzzle de mes origines, je suis retourné au Liban à l’âge de 27 ans, après mes études. Je voulais comprendre de quoi j’étais fait. En sciences politiques, ont dit qu’on étudie le passé, pour comprendre le présent et fabriquer l’avenir. Sur le plan individuel, je crois que chaque chose a sa raison.»

Les suites du projet

Aujourd’hui, alors que l’ouvrage est édité depuis plusieurs mois déjà, le processus intérieur se poursuit pour Zahi Haddad. «J’ai pu écrire ce livre tranquillement. Je n’ai pas eu besoin de courir. Cela m’a confirmé dans mon désir de ralentir, de prendre le temps de réfléchir. J’ai beaucoup retiré de ces rencontres car les personne interviewées étaient elles-mêmes très disponibles. Certaines d’entre elles ont questionné mes propres choix, notamment professionnels, mais aussi, plus largement, ceux de notre société, en particulier en matière d’éducation. Pendant la rédaction du livre, une évidence s’est mise à surgir. Je me suis dit que je pouvais peut-être mettre en relation certaines de ces personnes, pour qu’elles travaillent ensemble. J’ai voulu coordonner une rencontre-événement entre toutes les personnes retenues dans ce livre, avec des événements culturels, mais du fait de la covid elle n'a pas pu avoir lieu. Mon idée, à présent, est d’organiser des tables rondes thématiques pour creuser la réflexion; c’est ce que j'ai commencé à faire au travers d'une émission sur Radio Cité intitulée Cœurs de la Cité


Des portraits photographiques parlants

Saluons  au passage le travail du photographe Aurélien Bergot, qui a su mettre en scène tant Genève que la vie de chacun des protagonistes de l'ouvrage, tout en attisant la curiosité des lecteurs. Ainsi de Nhat Vuong, que l’on voit, les pieds dans l’eau, comme émerger du lac Léman. Né en 1980, dans un camp de réfugiés en Malaisie, de parents qui ont quitté le Vietnam en tant que boat people, accueilli ensuite à Nyon, il est le fondateur de Water Inception, une société qui met à disposition de camps de réfugiés une machine qui transforme en eau potable l’humidité contenue dans l’atmosphère.

Ou encore d’Abdul Carrupt, dont on voit ici la photo et qui ouvre la série des portraits. Originaire de Guinée-Bissau, ce footballeur professionnel en Suisse est devenu un avocat au barreau genevois. Il s’investit aujourd’hui dans les commissions internationales de l’Ordre des avocats, pour mettre en relation des ONG ou des particuliers désireux de monter un projet en lien avec les droits humains et des avocats genevois susceptibles de les aider.

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