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vendredi, 06 avril 2007 02:00

Israël, sans confusions

Écrit par

Dubois 40807Marcel-Jacques Dubois, Nostalgie d'Israël. Entretiens avec Olivier-Thomas Venard, Cerf, Paris 2006, 418 p.

Une génération sépare l’intervieweur de l’interviewé : la génération d’avant et d’après la création de l’Etat d’Israël. Marcel Dubois est né dans l’entre-deux-guerres. Après sa formation et ses vœux chez les dominicains de France, il demande à s’installer à Jérusalem, mais pas dans la prestigieuse Ecole biblique de ses Frères. Il décide de rejoindre Bruno Hussard, autre dominicain (d’origine égyptienne et juive), pour fonder la Maison Saint-Isaïe dans la Nouvelle Ville de Jérusalem, comme lieu d’ouverture à la pensée, à la langue et à la culture juives.

C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois à son arrivée à Jérusalem, en 1962. Il fut et reste pour moi la référence en matière d’inculturation. Nos échanges passionnants et souvent passionnés m’obligeaient à chaque fois à approfondir ma lecture des textes bibliques, à ouvrir ma sensibilité au mystère d’Israël.

Marcel était dévoré par sa passion pour Jérusalem. En 1973, il obtenait la nationalité israélienne, bien qu’il ne fut pas juif d’origine. Ses liens exigeants et cordiaux avec les milieux intellectuels israéliens lui valurent d’être appelé à enseigner en hébreu à l’Université hébraïque de Jérusalem, où son cours sur les Concepts de base du christianisme rassemblait une foule d’étudiants. Il y devint professeur, puis doyen de la Faculté de philosophie. En même temps, en tant que l’un des pionniers du dialogue entre Israël et l’Eglise catholique, il était consulté comme expert à Vatican II.

Olivier-Thomas Venard n’était pas encore né. Il est de la génération qui vit le jour alors que la Guerre des Six Jours faisait rage, et que la France tremblait pour le petit David devant les armées puissantes d’un monde arabe exceptionnellement réuni.

Après sa théologie et un passage par Toulouse, il a rejoint, il y a cinq ans, ses frères dominicains comme chercheur à l’Ecole biblique de Jérusalem. La frontière entre secteurs arabe et juif de la ville étant tombée l’année de sa naissance, il semble que plus rien n’empêche les hommes de se rencontrer de part et d’autre de l’ancienne ligne de démarcation. Avec un regard neuf, Venard a ainsi découvert ses frères de l’autre côté et rencontré Marcel Dubois. Ses questions ouvertes, généreuses, souvent critiques, jamais blessantes, ont permis un dialogue, à l’origine de ce livre, sur le thème de (je simplifie) : Comment peut-on ne pas être d’accord sur l’essentiel quand on est de la même famille religieuse ?

Un dialogue ? Il s’agit plutôt d’un long monologue, relancé de temps à autre par l’intervieweur pour mieux cerner la pensée qui se développe. Marcel Dubois se dit dans d’émouvantes Confessions à la saint Augustin. Venard le reconnaît : « Au soir de sa vie, d’une voix parfois tenue, parfois pleine de vigueur, sans chercher à masquer ses paradoxes ni ses contradictions, le Père Dubois ne livre ici ni un traité systématique des relations judéo-chrétiennes, ni un enseignement magistral sur le conflit au Proche-Orient, ni le dernier mot sur des sujets aujourd’hui aussi épineux que le sionisme, mais une parole de témoin, intelligente et pathétique comme une suite pour violoncelle de Bach. »

 

Conversion

Marcel Dubois avoue une vraie conversion : il parle même de radicale incompréhension pour toutes ces années à la Maison Saint-Isaïe : « Nous avons été entraînés par la joie de voir le Peuple de la Bible rejoindre la terre d’Israël, la terre de la Bible. Et cela nous a fait négliger l’aspect ambigu du sionisme… Nous avons complètement négligé la détresse palestinienne… Si j’ai changé d’avis, si j’ai complètement changé, c’est sur ce point-là. Je crois que mon amour pour Israël est encore plus grand parce que je vois toutes les inconséquences, toutes les erreurs qui peuvent se glisser dans le soutien au nationalisme israélien… S’il y a un changement, c’est du côté de l’aspect terrestre, engagé, égoïste d’un peuple qui cherche à se reconstituer… Nous avons été naïvement sionistes, en confondant l’aventure juive et l’aventure israélienne, en ne voyant pas que le sionisme est la laïcisation de l’espérance d’Israël… Je découvre de plus en plus clairement qu’il s’agissait moins d’une rencontre entre foi juive et foi chrétienne, qu’entre un nationalisme juif et un enthousiasme chrétien terrestre pour l’Etat d’Israël. L’erreur a été là. »

Le ton est donné. L’interview se déroulera au rythme des rencontres, des affirmations et des hésitations dans la vie du dominicain. A l’heure où tout un chacun cherche à trouver des solutions au conflit qui déchire non seulement le Proche-Orient, mais une planète entière qui ne sait plus comment distinguer convictions nationales et fidélité religieuse, le témoignage de Marcel Dubois est éclairant et impressionnant. Lumineux par ses découvertes des obscurités qui souvent se cachent dans la propagande nationaliste d’un Etat toujours et encore en quête d’identité ; impressionnant par l’étalage et le décodage de tous les arguments qui furent les siens dans son amour d’Israël. En nous faisant profiter au passage de ses rencontres avec tant de personnalités marquantes de Jérusalem : David Flusser, son collège et ami à l’Université, Teddy Kollek, le politicien, Yeshayahou Leibovitz, le biologiste, Yossi Banaï, le Brassens israélien, parmi beaucoup d’autres…

La deuxième partie de l’ouvrage et ses annexes sont autant de documents incontournables pour une saine mise à jour et une claire compréhension de la problématique : qu’est-ce qu’Israël ?

Un livre partial, certes, mais qui a force d’universel. Je voudrais le recommander vivement, spécialement à tous ceux qui, juifs, musulmans ou chrétiens, désirent se libérer du piège dans lesquels nos religions nous enferment lorsqu’elles deviennent idéologies. Un livre sain, pour tout amoureux de Jérusalem.

 

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