Jacques de Guillebon, Falk van Gaver
AnarChrist ! Une histoire de l’anarchisme chrétien
Paris, Desclée de Brouwer 2015, 398 p.
Deux auteurs pour une histoire, mais une histoire où se mêlent les noms les plus divers. Parmi ceux-ci, de nombreuses figures auxquelles ni vous ni moi n’aurions spontanément accolé le qualificatif d’anarchiste. Il faut en effet se défaire totalement, avant d’aborder cet ouvrage, de toutes les images négatives que véhicule le concept ordinaire d’anarchiste. Les auteurs nous avertissent d’emblée : « Entendons-nous bien, l’anarchie [dont il s’agit ici] ce n’est pas le désordre, ni la guerre civile, ni la lutte de tous contre tous [...] L’anarchie, c’est une modification intime de la relation des hommes, une modification interne du pouvoir, une conversion du pouvoir qui se fait service - et humble service. [...] Anarchie égale liberté, et la liberté est exigeante. Autonomie, autogestion, autodiscipline, maîtrise de soi, chasteté, ascèse, simplicité volontaire, vertu, morale. L’anarchie est éminemment morale et tend au développement de la vertu personnelle - et commune. »
[1] Thomas Kaufmann
Histoire de la Réformation. Mentalités, religion, société
Genève, Labor et Fides 2014, 704 p.
[2] Heinz Schilling
Martin Luther. Rebelle dans un temps de rupture
Paris, Salvator 2014, 704 p.
François Gachoud, Comment penser la résurrection
Essai philosophique, Paris, Cerf 2014, 208 p.
François Gachoud fait œuvre de philosophe autour d’une question qui, finalement, relève de la foi, en convoquant pour l’essentiel le philosophe Michel Henry (1922-2002) pour discuter de deux choses : de la nature du corps vivant et de la visibilité du corps ressuscité. C’est dire qu’il s’appuie sur une « phénoménologie non intentionnelle » (une théorie qui identifie l’être d’une chose et son apparaître), pour dépasser le dualisme platonicien corps-matière/âme-esprit dans une dualité corps/chair. Il confère ainsi à la « chair » la dignité d’un espace de « manifestation » de la vie plénière du Sujet.
Christof Betschart o.c.d., Unwiederholbares Gottessiegel Personale Individualität nach Edith Stein, Studia œcumenica friburgensia 58, Bâle, Friedrich Reinhardt Verlag 2013, 370 p.
Il n'est pas dans les habitudes de choisir de publier des recensions d'ouvrages en allemand. Faisons une exception pour cette thèse de doctorat d'un Suisse issu de l'Université de Fribourg, actuellement rattaché à une province française du Carmel. Le sous-titre en explicite le contenu : le problème de la personne humaine dans sa stricte individualité, selon Edith Stein (philosophe allemande d'origine juive, convertie, carmélite, gazée à Auschwitz en août 1941).
La thèse de Christof Betschart n'est pas un travail de pionnier, mais une recherche qui s'appuie sur de nombreux travaux antérieurs, ce qui rend d'autant plus méritoire toute innovation d'interprétation.
L'ouvrage comprend une manière de résumé (pp. 333-351) qui ne dispense pas de lire les autres chapitres mais peut servir de conclusion et, à la rigueur, d'introduction. A la rigueur, car il convient d'avoir à l'esprit une information de base : Edith Stein, phénoménologue, disciple de Husserl, s'est intéressée nécessairement au problème de la conscience, à ce que l'on pourrait appeler l'aspect « psychologique » d'une théorie de la connaissance. Elle s'est donc penchée sur le sujet humain non plus seulement dans la perspective de la conscience qu'il prend de son monde, mais dans le souci de savoir comment un individu se personnalise, devient responsable de lui-même et capable d'assumer des valeurs qui l'orientent.
Au cœur de cette recherche, vient se dessiner le motif d'une problématique particulière : celle d'un état de personnalisation qui, à l'opposé de tout blocage sur une conception égoïste de l'individu, apparaîtra bientôt comme une excellence d'individuation. Que répondre lorsque la question n'est plus : comment une progression vers des valeurs spirituelles contribue-t-elle à un processus de personnalisation ? mais : quelles sont les dimensions initialement spirituelles qui façonnent l'individu personnel ?
C'est en cherchant à répondre à cette question relative à l'anthropologie de Stein que l'auteur innove. On pourrait croire que l'idée de la personne porteuse de qualités proprement individuelles soit chez Stein une conquête théorique tardive, liée à son évolution vers le Carmel. Or il semble que « les principaux développements dans la compréhension de Stein ont lieu dans les premiers stades de sa recherche ». Autrement dit : s'il faut admettre que l'individualité est une qualité constitutive radicale de la personne, elle est ce que Betschart appelle « le sceau irrépétable de Dieu » sur l'âme humaine. Et c'est de cela que Stein aurait eu l'intuition, bien avant sa découverte explicite des valeurs de la religion positive et de la vie mystique.
Cette superbe thèse est donc que, dans la personne, avant toute prise de conscience explicite, une source est active et un noyau fécond. Elle se termine sur de riches considérations, proprement théologiques, portant sur l'analogie entre la conscience humaine et la conscience divine, trinitaire ou christologique.
La question est directe et simple : dans ces deux expressions, « juger autrui » et « se juger soi-même », le terme « juger » a-t-il le même sens, les mêmes résonances ?