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jeudi, 03 juin 2021 10:15

Politique d'asile et foi, le pourquoi d'une engagée

Nicole Andreetta, AGORAJeune, elle rêvait de devenir archéologue ou de faire de la médecine. En lieu et place, elle a été engagée par l’Église catholique romaine à Genève et depuis 2004 elle est un des visages de l’Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile et des réfugiés (AGORA). Fin mai, Nicole Andreetta, aumônière de l’AGORA, est partie à la retraite. Dans cet entretien paru dans le Courrier pastoral (mai 2021), elle raconte son parcours et les défis de l’asile.

Quelle était la profession dont vous rêviez quand vous étiez enfant?

À l’époque du collège, je m’intéressais à l’archéologie, à l’histoire, également à la recherche médicale. Par la suite, j’ai suivi une formation de laborantine en biologie dans le souci d’être rapidement indépendante. J’ai exercé dans ce domaine durant dix ans, jusqu’à la naissance du deuxième de nos trois enfants. Je n’avais alors jamais pensé travailler en Église ou dans le domaine de l’asile. Vers 40 ans, j’ai commencé à réfléchir à la question de la migration. Je suis issue d’une famille d’origine italienne. Mes grands-parents maternels sont arrivés à Genève avant la Première Guerre mondiale et du côté paternel, durant l’entre-deux-guerres. Contrairement à mes beaux-parents qui ont vécu comme émigrés les initiatives Schwarzenbach, ma famille avait été plutôt bien reçue. J’ai réalisé que j’avais quelque chose à transmettre de la «Suisse qui sait accueillir».

Quelle était votre rapport à la foi, la religion et l’Église?

Ma grand-mère possédait un livre d’Histoire sainte avec des images. Elle m’expliquait ce que signifiait ces illustrations en me racontant les histoires de l’Ancien testament. De là est née ma passion pour la Bible, cet immense ouvrage constitué de rencontres et d’expériences de vie. Dès l’adolescence, j’ai ainsi participé à diverses activités dans ma paroisse. Plus tard, j’ai été catéchiste. J’ai fait la connaissance de mon futur mari à Lourdes où nous étions tous deux brancardiers.

Aviez-vous d’autres engagements?

J’ai donné bénévolement des cours de français aux personnes venues d’ailleurs à l’Université populaire du canton de Genève. J’ai pu prendre conscience des problèmes que rencontraient les personnes sans statut légal. À la même période, j’ai suivi l’AOT (Atelier œcuménique de théologie). Je suis devenue animatrice, puis membre du comité. Cette formation m’a permis de mettre en lien les différents aspects de mon parcours de vie et a éveillé en moi le besoin de faire quelque chose de concret pour la société. Le pasteur Jean-Pierre Zurn était à l’époque à la fois le directeur protestant de l’AOT et le théologien-coordinateur de l’AGORA. Il m’a demandé si j’étais intéressée par un travail à l’aumônerie. Cette demande m’a surprise et prise au dépourvu. Puis je l'ai entendu affirmer lors d’un cours: «Une parole de foi, c’est aussi une parole politique». J’ai alors décidé d’accepter. En 2004 l’Église m’a engagée.

L’AGORA offre une présence afin d’aider les personnes qui ont fui leur pays. Que retenez-vous de votre engagement?

Je connaissais déjà la situation des migrants sans statut légal, mais peu les problèmes des réfugiés. Avec le temps et les durcissements des lois de l’asile et des étrangers, j’observe que les deux réalités se rejoignent souvent. La Bible ne marque d’ailleurs pas de différence entre les étrangers qui fuient la guerre, les persécutions ou les difficultés économiques. À l’AGORA, j’ai pris conscience de cette complexité. Rien n’est tout blanc ou tout noir. Les versets de Matthieu 25 (j’étais un étranger et vous m’avez accueilli…mais aussi j’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli) m’accompagnent en permanence. En tant que lieu d’Église, nous devons témoigner d’un accueil inconditionnel, alors que la politique approuvée par le peuple suisse se positionne régulièrement contre. La tension entre accueil et non accueil est inévitable. Nous travaillons sans cesse à bouger le curseur, cherchant des arguments solides et cohérents qui appuient nos actions pour davantage d’ouverture. Je reste convaincue qu’il est impératif de défendre la dignité humaine et le respect de la personne, sans cela c’est toute la société qui est blessée. C’est aussi le rôle de l’AGORA d’interpeller les autorités ecclésiales sur ces questions. Sur ce plan j’ai appris à faire preuve de constance et de persévérance: ne jamais baisser les bras!

L’AGORA a-t-elle changé ces 15 dernières années?

L’AGORA a dû constamment s’adapter aux durcissements successifs de la loi sur l’asile. Créée tout d’abord pour accueillir des nouveaux arrivants, l’aumônerie accompagne également les requérants d’asile dans l’attente, souvent très longue, de la décision concernant leur besoin de protection. Elle offre aussi un soutien pour les personnes en détention administrative qui doivent quitter la Suisse. Ainsi qu’une présence auprès de celles dont le renvoi n’est pas exécutable et qui n’ont pas le droit de travailler, mais doivent vivre avec une aide d’urgence dans des conditions de vie difficiles et sans perspectives d’avenir.

Outre l’équipe expérimentée de nos fidèles bénévoles, de plus en plus de jeunes nous proposent leurs services comme civilistes, stagiaires ou dans le cadre d’un travail de maturité, bachelor ou master. Au fil des rencontres, les liens se sont multipliés. Le réseau autour de l’AGORA s’est considérablement agrandi. Nous collaborons avec de nombreuses associations, les services publics du canton et certaines communes. Notre accompagnement est bien reconnu. Toutefois, si, au niveau cantonal, de nombreux groupes d’accueil issus de la société civile se sont constitués pour rencontrer et soutenir les exilés, ce n’est pas l’objectif de la Confédération. La nouvelle restructuration de l’asile tente d’éloigner toujours plus la population des demandeurs d’asile hébergés dans les nouveaux centres fédéraux.

Aide individuelle prodiguée par l'Agora, mars 2021 © AGORA

Dans ces situations complexes et difficiles comment garder l’élan?

La force nous vient des personnes que l’on rencontre et qui, malgré ce qu’elles traversent témoignent d’une grande confiance en la vie. Cela rejoint et consolide notre foi en la Résurrection. Je pense souvent à un jeune guinéen, Abdi. Arrivé en Suisse encore mineur, il avait fréquenté les classes d’accueil. Au moment de sa majorité, il a reçu une réponse négative à sa demande d’asile alors qu’il venait juste de décrocher une place de stage. Parce qu’il était débouté et malgré moult efforts pour plaider sa cause, il a dû interrompre sa formation. Après un an d’inactivité forcée, il a choisi la clandestinité. En partant, il m’a dit: «La Suisse ne m’a pas donné de papiers, mais elle m’a donné l’instruction J’ai appris à lire et écrire, c’est quand même quelque chose.» Il m’a laissé son bulletin scolaire en souvenir. Je l’ai toujours conservé.

Depuis une année, un groupe de travail de la coordination-asile.ge cherche à sensibiliser les autorités du canton sur la situation des jeunes déboutés en rupture de formation dont le renvoi n’est pas forcément exécutable. On en compte, à ce jour, plus d’une soixantaine à Genève. Peut-être les choses vont-elles changer? Pour Abdi, cela n’a pas été possible. Il nous a transmis, cependant, la force et l’énergie de continuer à nous battre pour d’autres.

Quelle sera la suite de votre parcours?

Je vais rejoindre, en tant que tutrice bénévole, l’association Reliance, qui accompagne dans leur scolarité des jeunes et des enfants issus pour la plupart de la migration. Pour la suite? On verra! Je me réjouis de partager ailleurs et avec d’autres ce que j’ai reçu pendant toutes ces années.

Je suis reconnaissante à l’Église d’avoir renforcé l’AGORA en engageant, il y a sept ans, une deuxième aumônière, Ghada Haodiche-Kariakos. Et de la soutenir, aujourd’hui, dans sa formation d’assistante pastorale. En partageant avec nous son expérience de vie, Ghada a enrichi toute l’équipe de l’aumônerie. Je remercie également le Vicariat d’avoir favorisé un passage de témoin tout en douceur avec Virginie Hours qui va me succéder.

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