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vendredi, 30 janvier 2015 01:00

Centre suisse islam et société (CIS) : un dossier "Apic"

coranL'inauguration du Centre Suisse Islam et Société (CIS), à l'Université de Fribourg, crée un débat publique autour de la question de l'intégration des musulmans en Suisse et des moyens à mettre en œuvre dans cette optique.

Le CIS a officiellement débuté son travail le 1er janvier 2015 sous la direction de Hansjörg Schmid, éthicien social, et de son assistante, Esma Isis-Arnautovic, spécialiste suisse de l'Islam. Le Centre développera trois domaines de travail : la recherche, l'enseignement et la formation continue. La recherche s'intéressera prioritairement à l'analyse interreligieuse de questions d'éthique sociale. Au niveau de l'enseignement, un programme doctoral « Etudes islamo-théologiques » dans le contexte suisse est en préparation. Enfin, dans le domaine de la formation continue, un bilan et une évaluation des besoins seront menés, au niveau suisse, avec le soutien du Secrétariat d'Etat aux migrations.


L'offre de formation continue du nouveau Centre s'adressera, d'une part, aux personnes de confessions musulmanes, œuvrant dans des cercles islamiques (moniteurs, employés de bureau ou enseignants dans une mosquée, par exemple), et, de l'autre, à des non-musulmans en contact avec des musulmans dans le cadre de leur travail (par exemple, dans le domaine du travail social, de l'enseignement, d'entreprises, d'administrations ou d'organisations caritatives).
Le Centre prend en charge un mandat du Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI). Administrativement, le Centre est rattaché à la Faculté de théologie de l'Université de Fribourg, mais collabore de manière interdisciplinaire avec les autres Facultés.

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Initiative de l'UDC contre le CIS

Le comité central de l'UDC a accepté - par 51 voix contre 0 (5 abstentions) - de lancer une initiative populaire demandant une modification de la Constitution cantonale, a rapporté le quotidien romand La Liberté. L'enjeu est, selon le texte de l'initiative, « d'introduire une base légale n'autorisant pas la création d'un centre islam et société tel que projeté et empêchant ainsi qu'une quelconque formation étatique d'imams soit instaurée ».

Les membres du comité ont notamment justifié leur démarche par « l'opacité » qui a entouré la genèse du projet. « On nous a menés en bateau en nous disant qu'il s'agissait d'un centre de formation pour imams, puis en nous affirmant ensuite qu'il s'adressait à des personnes en contact avec des musulmans », a affirmé le député Nicolas Kolly. La préservation de l'héritage catholique de l'Université de Fribourg a également été invoquée.
Enfin, l'UDC a critiqué le fait que de l'argent public soit consacré à un tel projet, à l'heure où l'Etat de Fribourg prend des mesures d'économies. Le président cantonal du parti Roland Mesot a admis que c'était une bonne idée de transmettre aux imams des connaissances pour qu'ils puissent s'intégrer à la société suisse. « Mais ces connaissances du christianisme, de l'histoire suisse ou de la pédagogie, ils peuvent déjà les acquérir à l'Université. Pas besoin de créer un centre spécifique ! », a-t-il lancé.
L'UDC avait dénoncé l'attitude du Conseil d'Etat et de l'Université au lendemain du 10 septembre 2014, après que le Grand Conseil ait accepté - par 52 voix contre 38 et deux abstentions - un mandat demandant au gouvernement d'intervenir auprès du rectorat de l'Université, afin qu'il renonce à la création du CIS. Le mandat n'avait pas été validé, car il manquait quatre voix pour atteindre la majorité qualifiée. En rapport à cela, l'UDC avait considéré que la volonté politique s'orientait très clairement vers un refus du CIS. Les démocrates du centre avaient ainsi invité le gouvernement fribourgeois et l'Université à « tirer les conséquences du vote des députés et à renoncer à la réalisation de ce centre ». Sans quoi, avertissaient-ils déjà, le lancement d'une initiative populaire serait envisagé. « J'ai l'impression qu'il y a une volonté d'imposer ce CIS sans tenir compte de la volonté exprimée par les députés », a résumé Roland Mesot. L'UDC va s'attacher maintenant à constituer un comité d'initiative.
On ne sait pas encore si l'UDC ouvrira le comité à d'autres partis. Le mandat présenté au Grand Conseil a été signé par six démocrates du centre, mais aussi par trois démocrates-chrétiens et un libéral-radical. Roland Mesot a indiqué que quoi qu'il arrive, son parti prendrait le commandement des opérations.
Il a indiqué ne pas être freiné par le fait que le CIS avait déjà commencé ses activités. « Au lieu de mettre le projet en stand-by, le Conseil d'Etat et l'Université ont pris le risque de continuer... Si notre initiative aboutit, ce sera à eux de trouver une solution ! », a relevé Roland Mesot.

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L'Uni de Fribourg riposte à l'UDC

Suite à la décision de l'UDC fribourgeoise, prise le 28 janvier 2015, de lancer une initiative contre le l'Université de Fribourg appelle à poursuivre le dialogue.

« Le dialogue scientifique est, plus que jamais, nécessaire », assure le rectorat de l'Université. Il regrette que les opposants ne soient, jusqu'ici, pas convaincus de l'utilité du CIS, destiné à mettre en place une formation continue pour les imams déjà actifs en Suisse et pour les professionnels en contact avec la communauté musulmane. Dans un communiqué publié le 29 janvier sur son site internet, l'Université souligne son autonomie dans les domaines de l'enseignement et de la recherche. Elle considère également que l'échange avec les musulmans représente une contribution aujourd'hui indispensable à une compréhension mutuelle et une intégration réussie.

Une plateforme d'intégration
« Inclure les musulmans dans un dialogue scientifique, soumis à des critères qualitatifs de rationalité, accroît leurs chances d'intégration dans l'espace culturel suisse », assure le communiqué. L'Université de Fribourg comprend sa volonté d'assumer la responsabilité de ce Centre, désiré et financé par la Confédération, comme une prestation au service de la société suisse et une marque de sa capacité à traiter de questions publiques d'une grande pertinence.
« Comme le montre la décision prise hier par l'UDC fribourgeoise, le rôle de l'islam dans la société est une thématique aussi émotionnelle qu'actuelle, étroitement liée au phénomène de la migration », affirme l'Université. Pour l'institution, le débat public houleux qui a suivi les attentats de Paris souligne la nécessité d'étudier en profondeur la manière dont la communauté religieuse musulmane se perçoit dans l'histoire et aujourd'hui. Une différenciation subtile des diverses orientations au sein même de l'islam est également fondamentale, car la grande majorité de la communauté musulmane se distancie résolument des islamistes extrémistes, explique l'Alma mater. Elle assure que le CIS offrira une plateforme favorisant une analyse critique, tant de la présence de l'islam dans la société, que des réactions sociales qu'elle suscite. « Il contribuera ainsi au développement d'une appréciation exempte de préjugés, importante à la cohésion sociale suisse », affirme l'Université. En lui confiant la création de ce Centre, la Confédération reconnaît la compétence, la tradition et l'ouverture de l'Université, estime le rectorat, qui considère également l'attribution de ce mandat comme une « distinction particulière pour Fribourg, en tant que lieu de formation universitaire ».

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L'avis de Hafid Ouardiri

La décision de la section fribourgeoise de l'UDC de lancer une initiative contre le Centre suisse islam et société (CIS) à l'Université de Fribourg est « contre-productive », a déclaré Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l'Entre-Connaissance (Genève).

Il est inutile de se voiler les yeux : l'islam est devenu une réalité dans la société suisse et il est préférable de militer pour l'intégration des musulmans plutôt que de les marginaliser. Pour l'ancien porte-parole de la Mosquée de Genève, il est nécessaire aujourd'hui de « cesser de bricoler dans l'urgence » et de professionnaliser la formation des leaders religieux musulmans. Ils doivent être formés en Suisse, non seulement pour répondre aux questions religieuses, mais également afin de bien connaître les réalités sociétales de la Suisse, son système démocratique, sa législation, ses valeurs.
Dans une interview accordée le 29 janvier 2015 à l'Apic, Hafid Ouardiri - qui a participé pendant trois ans à un dialogue avec la Confédération sur la présence musulmane en Suisse - souligne que les autorités fédérales souhaitent la mise en place de ce type de Centre suisse sur l'Islam. « La Confédération a cherché différentes universités, et c'est finalement Fribourg qui a accepté de prendre en charge cette formation, destinée non seulement aux imams, mais également aux personnes rencontrant la population musulmane, comme les aumôniers d'hôpitaux ou de prison, ou autres intervenants », souligne Hafid Ouardiri.
« Dès que c'est devenu public, pour des motifs essentiellement électoraux, l'UDC a tout fait pour tenter de freiner cette idée, qui va dans le sens du dialogue interreligieux et du bien vivre ensemble, poursuit-il. Près de 400 000 musulmans vivent en Suisse, ils sont là, chez nous, et la plupart d'entre eux vivent en adéquation avec les lois de ce pays... On ne peut pas vivre dans le déni de cette réalité ! (...) La formation est une démarche essentielle pour les musulmans qui vivent dans notre société, et il est nécessaire qu'ils soient encadrés par des gens qui connaissent la réalité d'une société démocratique. »
En développant la formation, les musulmans ont ainsi la possibilité d'échapper à la pression de monarques autocratiques et obscurantistes, qui manipulent le Coran en leur faveur. « Ce n'est pas l'Islam qui est en cause, mais ce sont les musulmans qui sont trop nombreux à ignorer les vraies valeurs de l'islam. Il faut développer l'ijtihâd, l'effort d'interprétation bloqué depuis longtemps par ces milieux ». Cet effort permet de comprendre dans leur contexte les versets du Coran et les hadiths, les traditions relatives aux actes et aux paroles du prophète Mohamed. Bloquer cette ouverture va dans le sens contraire et c'est incompréhensible. La seule explication est le gain électoral que l'UDC espère en tirer. »

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Rapport de la Confédération sur le Dialogue avec la population musulmane

Depuis 2009, plusieurs rencontres ont été organisées entre représentants de la Confédération et de la communauté musulmane.

Le Département fédéral de justice et police (DFJP) a mené ce dialogue en étroite collaboration avec le Département fédéral de l'intérieur (DFI) et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), sous la direction de l'Office fédéral des migrations (ODM), responsable de la politique d'intégration des étrangers. Du côté musulman, 18 hommes et femmes de toutes les régions du pays ont été personnellement invités à prendre part à cet évènement. Ces personnes représentaient la diversité des individus d'origine musulmane en Suisse, c'est-à-dire des personnes pratiquantes de différentes orientations islamiques, de même que des personnes non pratiquantes d'origines ethnoculturelles variées.
Le rapport de la Confédération, intitulé Dialogue avec la population musulmane - Echange entre les autorités fédérales et les musulmans établis en Suisse, publié en décembre 2011, récapitule les aspects les plus significatifs qui sont ressortis du dialogue, notamment la reconnaissance des lignes directrices fixées dans la Constitution, à l'instar de l'égalité devant la loi, de l'Etat de droit et de la démocratie. Par ailleurs, il présente les mesures prises par la Confédération en vue d'encourager l'intégration et l'égalité des chances des musulmans et de garantir la coexistence pacifique de toutes les personnes vivant en Suisse. A titre d'exemples de ces mesures, le rapport cite l'examen du système d'admission des personnes exerçant une activité d'encadrement religieux, la compatibilité entre religion et obligation de servir et les éventuels programmes de formation ou de perfectionnement pour les imams et les personnes chargées de l'encadrement religieux.
« Le dialogue avec la population musulmane a été entamé dans le but de mettre fin aux craintes et aux préjugés qui entourent l'islam dans la société majoritaire et de lutter contre l'hostilité et la stigmatisation croissantes dont sont victimes les personnes considérées comme musulmanes », note la Confédération sur son site Internet.

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L'avis de Mohamed Ali Batbout

Le président des Associations musulmanes de Fribourg (AMF), a réagit au lancement, de l'initiative contre le Centre suisse islam et société (CIS), à l'Université de Fribourg.

« Je regrette que l'UDC n'ait pas eu le courage d'engager le débat sur la question du CIS », a confié à l'Apic le responsable musulman, éducateur spécialisé et docteur en philosophie. Bien qu'il reconnaisse pleinement le droit au parti de le faire, il considère que la formation politique aurait dû le faire « sans prendre le peuple en otage » et sans amener le débat sur le plan émotionnel. « On ne peut pas tout le temps jouer sur la peur », affirme Mohamed Ali Batbout, qui souligne que la présence musulmane en Suisse est une réalité qu'il faut prendre en compte.
Pour le président des AMF, la démarche de l'UDC ne favorise pas le « vivre ensemble ». Le Centre est important pour la société toute entière, martèle-t-il, et pas seulement pour les musulmans. De telles initiatives qui visent à augmenter la compréhension de l'islam par les non musulmans et la compréhension de la culture occidentale et suisse par les musulmans est un moyen de lutter contre l'extrémisme, assure-t-il.
Il a également tenu à rappeler que le CIS n'était pas une initiative de la communauté musulmane, bien que cette dernière ait apporté sa contribution au projet, et a qualifié de « réducteur » l'argument de l'UDC selon lequel le Centre coûterait trop cher dans un contexte budgétaire difficile au niveau cantonal. Pour le responsable musulman, une telle action préventive ne peut en effet pas être réduite à des aspects comptables. Sa valeur est inestimable pour le bien-être du pays et de la société.
Le président des AMF se demande en outre pourquoi l'héritage catholique de l'Université serait, comme le prétendent les démocrates du centre, menacé par la démarche du CIS, qui vise à former de façon continue les imams déjà actifs en Suisse, ainsi que les professionnels en contact avec la communauté musulmane. Il ne voit pas au nom de quoi l'action scientifique de l'Université devrait se limiter à l'identité religieuse locale. « Si l'on ne devait parler à l'Université que de ce qui est propre à la région de Fribourg, cela signifierait un affaiblissement certain de la transmission du savoir », souligne-t-il.
L'UDC estime également qu'il n'y a pas besoin de créer un centre spécifique, du moment que les connaissances du christianisme, de l'histoire suisse ou de la pédagogie peuvent s'acquérir par d'autres filières universitaires. Mohamed Ali Batbout pense au contraire qu'une telle démarche est absolument nécessaire pour apporter une réponse à long terme aux problèmes qui se posent en rapport à l'islam. « Il ne faut pas tenter de diluer les actions positives. Il s'agit de prendre le problème une fois pour toutes à bras-le-corps. »

Un premier cours sera ouvert au CIS également aux auditeurs libres au printemps 2015. Hansjörg Schmid abordera, en allemand, le thème de L'Europe entre communauté de valeurs et topos d'exclusion. Explorations de l'éthique sociale chrétienne et islamique. Inscriptions à partir du 9 février.

Et à entendre ici l'émission Hautes fréquences "Faut-il jeter la pierre au Centre sur l'islam de Fribourg ?"

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