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mercredi, 06 avril 2016 16:17

Environnement. Jalons pour une conversion

Les Assises chrétiennes de l’écologie, qui ont réuni plus de 2000 personnes fin août à Saint-Etienne, l’ont montré : il y a aura un avant et un après «Laudato Si’» dans l’Eglise catholique. Le pape appelle chaque habitant de la Terre à une conversion radicale par étapes, synthétisées et analysées ici.[1]

L’encyclique du pape François Laudato Si’ - la première consacrée à l’écologie - sera pour longtemps une source incontournable d’inspiration et d’encouragement pour les défenseurs de la nature, les chrétiens d’abord (trop nombreux à avoir pris « l’habitude de se moquer des préoccupations pour l’environnement »). François rappelle que la protection de la création n’est « pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne ». Son message va cependant au-delà des milieux ecclésiaux. Il s’adresse à « chaque personne qui habite cette planète », car on ne pourra pas sauvegarder notre « maison commune » sans « les talents et l’implication de tous, [...] chacun selon sa culture, son expérience, ses initiatives et ses capacités ».
On peut certes regretter certaines lacunes (le nucléaire, la dimension féminine, la surconsommation de viande, le rôle du jeûne), des ambiguïtés (les OGM), des positions problématiques (la croissance démographique), la persistance - sous une forme heureusement très atténuée - de liens discutables entre le défi écologique et des questions bioéthiques. Mais ne faisons pas la fine bouche : le texte est fondateur et fort. Pas seulement par sa puissante dimension politique - soulignée par les médias en lien avec le Sommet sur le climat qui aura lieu à Paris[2] - mais aussi par sa profondeur spirituelle.
Le pape appelle rien moins qu’à une métanoïa personnelle et collective. On peut résumer cette conversion écologique en quatre moments, selon une démarche qui se veut holistique, à la mesure de la complexité du réel où « tout est lié », sous-tendu par le mystère de la Trinité.

Lucidité et espérance
Premier moment : la lucidité ou le repentir, cher au patriarche orthodoxe Bartholomée Ier, cité - une première ! - au même titre que les papes précédents. « Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles. » La Terre est malade de la démesure de l’être humain qui l’exploite de manière « inconsidérée » et devient à son tour victime de ces abus. Fustigeant le déni, l’« opposition des puissants » qui font passer leurs « intérêts immédiats » au détriment du « bien commun » ainsi que le manque de réaction de la politique « soumise à la finance », François appelle à ouvrir grand les yeux sur les dévastations, comme le réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité ou l’épuisement des ressources naturelles.
Il ne s’agit toutefois pas seulement d’être informé, mais, plus profondément, d’« oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde ». Dans la conscience que les cris et la fragilité de la Terre - nouveau « pauvre parmi les plus abandonnés et maltraités » - sont indissociables de la clameur et de la vulnérabilité des populations défavorisées. L’écologie vue par François est intégrale. Elle requiert de lier sauvegarde de la création et justice sociale, dans l’urgence morale d’une solidarité intergénérationnelle et intra-générationnelle.

Seule, la lucidité cependant peut vite conduire au désespoir. C’est pourquoi François contrebalance son constat alarmant par une espérance brûlante, la conviction que la vie de l’Esprit est plus forte que le mal. Si Dieu octroie la liberté à ses créatures, il ne les abandonne pas. « Tout n’est pas perdu. » Capables de se dégrader à l’extrême, les êtres humains possèdent aussi la capacité de se « regarder avec honnêteté », d’« opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose ».

Nouveau modèle
Deuxième moment : le changement de paradigme. Si l’on veut répondre en profondeur à la crise écologique, il ne faut pas s’arrêter aux symptômes, mais descendre jusqu’à ses racines. Celles-ci ont à voir avec le paradigme qui sous-tend le système économique dominant, fondé sur la maximalisation du gain et l’illusion d’une croissance infinie qui se heurte aux limites de la planète.
Le pape le souligne : contrairement à ce que les apôtres du business as usual veulent nous faire croire, les véritables solutions ne pourront pas être partielles ni isolées. Elles ne viendront ni de la technologie ni du marché ni des lois. Les « prévisions catastrophistes, qui ne peuvent plus être considérées avec mépris ni ironie », invalident les remèdes qui ne seraient que des demi-mesures : « Les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement. » La crise est systémique et demande des solutions intégrales. Elle est liée à une « dégradation morale de l’humanité » et implique un renouveau éthique et spirituel.
La conversion écologique passe par un profond changement des modes d’être (vers moins d’individualisme), des styles de vie (vers la sobriété joyeuse), des modèles de production et consommation (vers une décroissance sélective), des structures de pouvoir (vers plus de participation et de transparence), ainsi que des relations Nord-Sud (vers moins d’inégalité). Elle exige aussi une autre manière de concevoir le progrès, de comprendre l’économie et surtout de regarder la création et la place de l’être humain en son sein.
C’est ici, en particulier, que le christianisme a un rôle à jouer. Pas parce qu’il détiendrait la vérité - « La solution ne peut venir d’une manière unique d’interpréter et transformer la réalité » -, mais parce que « ce que nous enseigne l’Evangile a des conséquences sur notre façon de penser, de sentir et de vivre » et que la tradition chrétienne a des ressources pour donner au débat écologique une profondeur de champ et une verticalité qui lui manquent souvent.

Mystique de la création
Cela nous ouvre au troisième moment : le besoin d’une mystique. François développe la notion d’« évangile de la création ». Don de Dieu, celle-ci est « plus qu’un problème à résoudre ». Elle est « un mystère à contempler dans la joie et la louange ». Elle n’est pas réductible à « un système qui s’analyse, se comprend et se gère », mais « une réalité illuminée par l’amour qui appelle à une communion universelle ».
D’une part, le pape met en relief la dimension cosmique du Christ. Il le fait notamment à travers l’épître aux Colossiens (Col 1,19-20) qui montre Jésus « présent dans toute la création par sa Seigneurie universelle » et tous les êtres vivants réconciliés et récapitulés en lui. Du coup, « les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude ». Une finalité qui sera accomplie à la fin des temps, quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15,28). Cette dimension eschatologique de l’écologie chrétienne est un argument supplémentaire pour « rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures ».
D’autre part, l’encyclique ouvre une fenêtre sur le « panenthéisme » (tout en Dieu et Dieu en tout) - à ne pas confondre avec le panthéisme qui identifie Dieu à la nature. L’approche panenthéiste est une caractéristique de la tradition orthodoxe[3], avec notamment la théologie des énergies divines qui rayonnent dans toute la création. La nature n’est pas seulement l’habitat (oikos) de l’être humain - vision horizontale habituelle de l’écologie - mais aussi celui de Dieu. Les créatures sont plus que des « caresses de Dieu » ou le « reflet de sa sagesse et de sa bonté infinies ».
François évoque ici une déclaration des évêques du Brésil pour lesquels « toute la nature, en plus de manifester Dieu, est un lieu de sa présence. En toute créature habite son Esprit vivifiant qui nous appelle à une relation avec lui. La découverte de cette présence stimule en nous le développement des “vertus écologiques”. » Rien d’étonnant que, bravant la peur archaïque du paganisme, le pape s’engage en faveur des communautés aborigènes qui nous rappellent que la Terre est un « espace sacré ».
L’affirmation de cette union (sans confusion) entre Dieu et la création renforce le respect - tissé d’émerveillement - dû aux animaux et aux plantes. Toutes les créatures doivent être reconnues dans leur valeur et dignité intrinsèques, indépendamment de leur utilité pour l’être humain. Elles ne sont pas simplement des ressources, mais des paroles de Dieu auxquelles et desquelles l’être humain doit répondre. C’est le sens profond de la responsabilité.

Anthropologie adéquate
On a là les bases pour le quatrième moment : la quête d’une « anthropologie adéquate ». Car « il n’y aura pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau ». Cela implique une revisitation de la place de l’être humain dans la création.
Si l’encyclique reste mâtinée d’anthropocentrisme, avec un langage hiérarchique sur la « prééminence » humaine, elle marque cependant un net infléchissement par rapport à la posture de l’Eglise catholique jusqu’ici. François prend clairement congé de l’« anthropocentrisme dévié » et despotique - source d’un style de vie dévié - dont le christianisme a pu se rendre coupable à travers une mauvaise interprétation de la Genèse (1,28).
La dégradation de la nature résulte du péché d’orgueil qui conduit l’être humain à se prendre pour Dieu, maître et possesseur de la nature, plutôt qu’à se « reconnaître comme une créature limitée ». L’être humain doit donc faire preuve d’humilité et retrouver son lien ontologique avec la Terre. La nature n’est pas un « simple cadre de notre vie : nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle ». Elle est aussi partie intégrante de notre être, car nous avons été façonné avec de la glaise, « nous sommes poussière » (Gn 2,7), « notre propre corps est constitué d’éléments de la planète ».
En bon disciple du pauvre d’Assise, François appelle « fraternité universelle » cette relation d’interdépendance profonde « qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble ». Non seulement nous sommes - avec tous les êtres de l’univers - enfants du même Père créateur, mais « notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts ». Ultimement, ce que nous faisons à la nature, c’est à nous-mêmes que nous le faisons : « Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation. » Et d’ajouter : « Si nous nous sentons intimement liés à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. »
Il ne s’agit pas cependant de tomber dans l’excès inverse : le « bio-centrisme » qui risque de réduire à néant la spécificité de l’être humain créé à l’image de Dieu ainsi que la vocation qui en découle. « On ne peut pas exiger de l’être humain un engagement respectueux envers le monde si on ne reconnaît pas et ne valorise pas en même temps ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité. » Le pape opte donc pour une troisième voie de « réciprocité responsable entre l’être humain et la nature », qui se déploie entre l’intendant et le liturge. D’un côté, l’« administrateur responsable » chargé de « cultiver et garder » le jardin de la création (Gn 2,15). De l’autre, l’être eucharistique qui « embrasse le monde à un niveau différent », œuvre à « unir » la création avec le Créateur, à célébrer les « saintes noces » de la terre avec le ciel.

Impulsion et dialogue
Sur ces différents points, François donne une impulsion forte pour un renouveau de la théologie de la création, « parent pauvre » de la pensée catholique, ainsi que l’a reconnu à Saint-Etienne le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon. Pour contribuer de manière féconde au changement de paradigme requis, ce chantier devra obéir à deux conditions. D’abord, être ouvert et dynamique, c’est-à-dire - ainsi que le souhaite le pape - en dialogue et synergie avec les autres traditions de sagesse, la science et les écologistes. Ensuite, s’incarner dans une « attitude du cœur » pleine de gratitude et d’« attention sereine », « un style de vie prophétique et contemplatif » permettant de passer de l’avidité à la sobriété, dans la conscience que l’« on peut vivre intensément avec peu » et que le bonheur « requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie ».

[1] Michel Maxime Egger est l'auteur de plusieurs ouvrages traitant de l’homme et l’environnement, dont Soigner l’esprit, guérir la Terre (voir choisir n° 669, septembre 2015, p. 41). (n.d.l.r.)
[2] Voir l’article de Stefan Salzmann, aux pp. 21-23 de ce numéro. (n.d.l.r.)
[3] C’est aussi une vision d’Ignace de Loyola qui, dans sa « Contemplation pour obtenir l’amour » des Exercices, invite les retraitants à voir toute la création et l’histoire comme un don de Dieu, une œuvre de Dieu, une présence de Dieu et une participation à Dieu. (n.d.l.r.)

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