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lundi, 13 mars 2017 17:22

La terre, lieu de réconciliation

AdCLa Campagne de Carême 2017 des œuvres d’entraide suisses a pour titre La terre, source de vie, pas de profit! L’accaparement des terres atteint des dimensions gigantesques dans le monde. Pas moins de quarante fois la surface de notre pays a été cédée –principalement en Afrique- à d’autres États et à des investisseurs privés, peut-on lire dans Info-Campagne 2017. Mais pourquoi vouloir faire de la terre une marchandise comme une autre est-il une erreur? Le point de vue de Daniel Rakotoarivola, pasteur de l’Eglise réformée de Madagascar.

«Au Seigneur, la terre et ses richesses, le monde et ses habitants» (Psaume 24,1, TOB). Ce psaume de David nous rappelle une chose: Dieu est l’unique propriétaire de la terre. Même s’il n’ignore pas les droits des rois sur la terre (I Samuel 8), Israël, contrairement à ses pays voisins (l’Egypte, Babylone, l’Assyrie...), où le pharaon et les rois possèdent toutes les terres, Israël se différencie des autres nations par sa foi en un Dieu créateur à qui la terre appartient.

Dans la Genèse, Dieu crée l’être humain avec la poussière du sol. D’où le nom d’Adam, qui signifie littéralement «tiré du sol». Dès sa création, l’être humain a un lien fort avec la terre, d’abord non cultivée. Ce lien est le symbole du don de Dieu, qui offre aux hommes et aux femmes la planète Terre, et avec la responsabilité de la cultiver et de la garder (Genèse 2,15).
Dans l’Alliance que Dieu a conclue avec Abraham, il lui a promis descendance et territoire. Cette Alliance est l’expression de la souveraineté de Dieu, créateur et propriétaire de l’univers. Le peuple d’Israël la reconnaît par la manière dont, de génération en génération, il utilise la terre. Ainsi, lorsque le roi Achab lui propose d’échanger ou d’acheter sa vigne, Naboth lui répond : «Que le Seigneur m’ait en abomination si je te cède l’héritage de mes pères» (I Rois 21,3). Cette attitude ne reflète pas seulement un attachement à la terre de ses pères, mais aussi une fidélité au Seigneur qui a confié cette terre à son clan. En outre, la propriété de sa propre terre fonde son droit de cité et est source d’indépendance, alors que s’il devait la recevoir du roi Achab, il se trouverait dans une situation de dépendance accrue.

Une histoire de convoitise
En Genèse 16, reconnaissant que les Israélites ne sont pas les seuls héritiers d’Abraham, les auteurs sacerdotaux ont inséré dans l’histoire de l’Alliance le récit de la naissance d’Ismaël. À partir de là, Thomas Römer, professeur d’Ancien Testament à l’Université de Lausanne, constate qu’aujourd’hui encore, «dans le conflit douloureux qui oppose Israéliens et Palestiniens, Abraham, le père, est invoqué par les deux parties pour légitimer des aspirations territoriales et religieuses» (Isaac et Ismaël, concurrents ou cohéritiers de la promesse?, Études théologiques et religieuses n° 74, 199, pp. 161-172).
En effet, le désir de posséder la Terre sainte de manière exclusive est l’un des facteurs qui alimentent le conflit israélo-palestinien: «Le plus absurde est qu’au nom d’Abraham... on expulse, on blesse, on tue. Son héritage devient un enjeu territorial dans un affrontement politique... c’est ainsi que des promesses bibliques faites par la divinité aux ancêtres peuvent être considérées comme des actes de propriété», poursuit Thomas Römer.

Aline Ramarosata, théologienne malgache, offre une piste passionnante pour comprendre cette histoire. Elle explique que les deux noms Ismaël et Israël proviennent de récits bibliques portant sur les convoitises. Pour elle, élection et bénédiction sont inséparables. L’élection est ce qui assure l’être, et la bénédiction l’avoir. Dans les conflits entre Israël et Ismaël, comme entre Sarah et Agar (Ismaël) ainsi qu’entre Jacob (Israël) et Esaü, «le fond du problème c’est que l’avoir prédomine sur l’être» («Exégèse et culture», in Théologie et Culture 1987,1).
Pour ceux qui accaparent la terre, le plus important est d’acquérir un titre de propriété, et ce par tous les moyens. L’accaparement des terres est un problème de l’avoir. Il s’origine dans la convoitise qui peut finir par des actes criminels (meurtres, vols), comme le montre l’histoire de Caïn et Abel, ou celle du roi Achab et de sa femme Jézabel. Après la mort de Naboth, celle-dit dit à son mari: «Lève-toi, prend possession de la vigne que Naboth d’Izréel refusait de céder contre argent» (I Roi 21,15).
Mais si un titre foncier suffit aux investisseurs et propriétaires fonciers, la justice, pour Dieu, va bien au-delà et doit s’intéresser à la manière dont quelqu’un est entré en possession d’un bien et à sa motivation. Esaïe et Michée, prophètes du VIIIe siècle av. J-C, condamnent déjà les riches qui convoitent, voire volent les biens familiaux de pauvres paysans (Es 5,8; Mi 2,2).

Le commandement de l’amour
Dans la Bible, l’accaparement des terres n’est pas considéré comme étant simplement une faute morale ou une injustice sociale. Il est bien une transgression de la Loi: «Tu ne commettras pas de meurtre», «tu ne commettras pas de rapt», «tu ne convoiteras pas les biens de ton prochain». Autrement dit, c’est un péché. Dans le Sermon sur la montagne, Jésus dit à ses disciples de donner la priorité à leurs frères et sœurs plutôt qu’aux richesses matérielles. Les écrits johanniques mettent également l’accent sur l’amour fraternel.
On pense parfois que la cupidité est une faute extérieure, qui ne concerne pas l’esprit. Pour l’apôtre Paul cependant, la concupiscence et la cupidité se trouvent au même rang. Drietrich Bonhoeffer partage ce point de vue: «L’impudique, comme le cupide sont tout entiers convoitises. L’impudique convoite la possession d’un autre être humain, le cupide celle des biens de ce monde. L’impudique et le cupide ne peuvent connaître l’amour fraternel» (Vivre en disciple, Genève, Labor et Fides 2009, pp. 242-243). Il s’agit là d’attitudes de l’avoir qui corrompent l’être chrétien dans son existence-même.
L’accaparement des terres par une minorité provoque souvent la famine, comme à Madagascar. Un phénomène persistant, qui s’aggrave partout dans le monde. La mission de l’Eglise est de proclamer le Royaume de Dieu, de corriger cette injustice, de prêcher la justice dont la protection des faibles est l’un des principaux messages. Pour le Conseil oecuménique des Eglises, «la discrimination, l’exclusion et une répartition inéquitable des richesses et du pouvoir sont contraires aux valeurs de la communauté et au commandement d’aimer Dieu et ses prochains».

Finalement, c’est sur la terre que l’on apprend à vivre la justice et l’amour fraternel, c’est-à-dire à éradiquer la faim, l’égoïsme, la cupidité et le vol. Avant de quitter la Terre, le Seigneur a laissé ses disciples en leur donnant une mission: «Allez par le monde proclamer l’évangile à toutes les créatures» (Marc 16,15). En parlant de toutes les créatures, le Seigneur appelle à la réconciliation nécessaire entre les êtres humains, mais aussi entre les êtres humains et la Terre. Il prône un renouvellement de la relation entre les créatures de Dieu, où chacun respecterait son rôle, trouverait sa juste place et ferait attention à l’autre. L’être humain doit devenir celui qui, les pieds bien enracinés dans le sol, «cultive et garde» la terre pour le bien commun de toutes et tous.

Retrouvez l'article de Mike Deeb o.p. et Philani Mkhize, de la Commission justice et paix d'Afrique du Sud, de la Campagne 2013, qui commentent le message de la Bible et des Pères de l’Eglise au sujet de la propriété privée.

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