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vendredi, 28 mai 2021 11:56

Une révolution de velours

Catéchisme en France © Philippe Lissac/GodongLe Motu proprio du pape François Antiquum Ministerium instituant le ministère de catéchiste, publié le 11 mai 2021, est un acte d'importance qui aura des retombées certaines sur la façon de comprendre le ministériat dans l'Église et l'annonce de la foi. Le pape François est en train de tout changer, affirme le théologien Philippe Becquart, responsable du Département des adultes de l’Église catholique du Canton de Vaud.

Il existe bien sûr différentes manières d’affronter un obstacle, de dépasser une opposition ou d’ébranler des habitudes ancrées dans les pratiques ecclésiales. Aller droit devant, sans craindre les dégâts occasionnés et provoquer des fractures parfois irréparables. Ou procéder par étapes, donner les signaux clairs d’une transformation certes plus lente, mais décisive, qui conduira à terme à revisiter nos évidences, nos idéologies sous couvert de théologie, et ainsi à changer radicalement de modèle pastoral.

Après le désaccord constaté lors du synode sur l’Amazonie à propos de l’ordination d’hommes mariés,en cas d’état de nécessité dans des Églises locales privées de pasteurs et de sacrements, François a estimé que la discussion synodale engagée ne valait pas discernement. Le pape, rappelant l’importance du célibat sacerdotal, ne veut pas porter la responsabilité de revenir, même dans des circonstances pastorales exceptionnelles, sur la discipline, adoptée tôt dans l’Église latine et partiellement appliquée, de n’ordonner prêtre que des hommes engagés dans le célibat.

Retrouvez plus de détails sur les résultats du synode sur l'Amazonie dans Félix Gmür, Amazonie bien-aimée, les rêves du pape et Joel Thompson sj, Conversion et durabilité: les vœux post-Synode

Pourtant, en cohérence profonde avec la redécouverte de la synodalité de l’Église, qui est le soubassement et la ligne de fond du pontificat de François, le pape vient d’ouvrir trois ministères institués à des laïcs/laïques, hommes et femmes indistinctement.

Des changements pour les femmes

Un premier Motu proprio modifie le code de droit canon pour permettre à des personnes de sexe féminin d’accéder au ministère du lectorat. Celui-ci comprend la proclamation liturgique de la parole et l’enseignement de la foi. Le ministère de l’acolytat désigne, quant à lui, le service du prêtre dans l’action liturgique (service de l’autel, distribution de la communion, voire exposition du Saint-Sacrement). Le lectorat et l’acolytat deviennent ainsi des ministères institués, donc à caractère permanent, conférés «à vie», désormais accessibles aux femmes. Il reste à l’autorité diocésaine de se saisir de ce nouveau droit, déjà ouvert aux hommes laïcs par le pape Paul VI en 1972, mais peu mis en œuvre dans les Églises locales.

Communion dans une maison de retraite © Fred de Noyelle/GodongLe pape François, sans contester la distinction historique entre ministères laïcs et ministères ordonnés, opère un virage dans la compréhension de ces mêmes ministères, rattachés jusque-là au cheminement vers le sacrement de l’ordre et à son exercice. Cela résulte de la rupture religieuse historique que traversent les sociétés occidentales, qui n’ont plus assez de prêtres pour accompagner et vivifier les communautés croyantes. Mais il y a plus. Cela touche à la façon dont les ministères sont communiqués et compris à partir du baptême, sans distinction de sexe, ni réduction à la fonction sacerdotale.

Un nouveau ministère laïc

Un deuxième Motu proprio institue le ministère de catéchiste, ouvert à tous les baptisés. Ministérialité très ancienne dans l’Église où des chrétiens et des chrétiennes, habités des divers charismes que donne l’Esprit Saint, ont participé activement à son édification. Les catéchistes, souvent des laïcs/laïques, hommes et femmes, ont joué un rôle primordial et «efficace» dans la diffusion de l’Évangile. Témoins de la foi dans les communautés naissantes, sainteté des martyrs là où sévit la persécution, fondateurs d’Églises… les catéchistes ont permis de donner vie à des communautés, là même où les ministres ordonnés étaient absents ou ne pouvaient les rejoindre que très ponctuellement.

Mais alors qu’est-ce qui vient de changer puisque cela s’est toujours fait?

Par sa déclaration solennelle -«après avoir examiné tous les aspects, en vertu de l’Autorité apostolique, j’institue le ministère laïc de catéchiste»- François ne remet pas en cause, frontalement, le lien entre ministère et sacerdoce, hérité du concile de Trente. Mais il déplace adroitement le centre de gravité de la ministérialité vers le baptême, les dons et les charismes, pour adapter l’Église aux défis de la sécularisation et au devoir d’annoncer partout l’Évangile. «La réception d’un ministère laïc, comme celui de catéchiste, met davantage l’accent sur l’engagement missionnaire typique de chaque baptisé qui doit être accompli sous une forme entièrement séculière sans tomber dans aucune expression de cléricalisation.» (AM, 7)

Il ne s’agit donc pas de cléricaliser les baptisés en les substituant aux ministres ordonnés, mais de déployer la grâce baptismale dans un service missionnaire, celui de l’annonce de la foi, chez ceux et celles où un don de Dieu est reconnu pour le faire. D’autres ministères institués pourraient également signifier la reconnaissance de vocations spécifiques des baptisés, hommes et femmes indistinctement, et peut être même aider à re-découvrir des ministères féminins attestés dans l’Église apostolique comme le diaconat.

En instituant trois ministères ouvertement accessibles aux femmes, en leur donnant une place dans le chœur, près de l’autel ou dans une charge d’enseignement de la foi, on signifie la nature avant tout baptismale et tout entière ministérielle de l’Église. Ce n’est plus le sacrement de l’ordre, réservé aux hommes et divisé mécaniquement en degrés (ordres mineurs, majeurs…), qui est la matrice de la ministérialité, mais le baptême. Chaque baptisé(e), qu’il soit homme ou femme, est donc apte et même appelé(e) à rendre efficace la grâce de son baptême selon les dons, les charismes disposés en lui et en elle par Dieu, et à le faire parfois dans des ministères reconnus.

Le fait d’élever un service bénévole –la catéchèse– au rang de ministère est un «signe des temps». Comme l’écrit le philosophe Grégory Solari, le ministère n’est plus pensé «comme un produit de l’institution ecclésiale, mais comme un appel (à servir) reposant sur un don répandu par l’Esprit sur la communauté. Et pour la communauté… Et ce qui habilite à ce service, c’est non un appel venant s’ajouter à la grâce baptismale, mais c’est le baptême lui-même.»

S’appuyer, comme le fait François, sur la centralité du baptême pour instituer de nouveaux ministères inaugure en fait une révolution de velours, qui élargit l'horizon de la mission à tous les chrétiens et chrétiennes appelés à annoncer ensemble l’Évangile à toutes les nations, à faire des disciples et à les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28, 19).

Au sujet de la place des femmes dans l’Église, voir encore notre dossier Église, nom féminin, publié in choisir n° 689.

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