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vendredi, 28 juin 2013 09:25

Quel bonheur ?

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Quel bonheur ?

Une récente publicité sur les véhicules des Transports publics de Genève donne à penser : « Et vous, le bonheur, vous l’envisagez comment ? » Cette question, pour le moins directe, introduit excellemment ce numéro de choisir qui, cet été, privilégie une série de considérations sur ce qui peut rendre heureux. Nous disons « bonheur », mais de quoi parlons-nous ? Quant nous souhaitons beaucoup de bonheur à ceux et celles qui nous entourent, par exemple en reprenant la célèbre et familière expression régionale « tout de bon ! », qu’est-ce que nous voulons dire ? Certes, ne nous échappent pas les subtiles différences entre le plaisir, la satisfaction, l’enchantement, le ravissement, l’euphorie, le bien-être. Et sur ce vaste horizon, la paix, la joie ont aussi leur place. En brassant tous ces termes, nous nous demandons de quel tiroir va sortir le « bonheur », celui auquel nous aspirons. Et voilà que, dans le souvenir de nos lectures, l’une des réflexions pertinentes d’Henri Bergson nous revient à l’esprit : « On désigne par bonheur quelque chose de complexe et de confus, un de ces concepts que l’humanité a voulu laisser dans le vague pour que chacun le détermine à sa manière. »[1]

Décidément, la question du bonheur se révèle problématique ! Et pourtant les moments de bonheur, nous en avons tous fait l’expérience et nous pouvons en dire quelque chose. Les souvenirs affluent : une merveilleuse randonnée en montagne, un coucher de soleil au bord de l’océan pendant les vacances, un ciel éclatant de lumière après des semaines de pluie. La liste se prolonge, et même elle se rapproche, avec l’évocation réconfortante de la réussite à un examen, la confirmation d’un entretien d’embauche, la rencontre d’une personne qui nous séduit par sa présence chaleureuse et sa capacité à écouter, la naissance d’un enfant, la célébration d’un anniversaire. L’énumération des moments de bonheur nous donne aussi l’occasion de faire mémoire de ces soirées familiales qui rendaient heureux ses participants, une sorte de communion. Ce rapide inventaire nous invite, en fait, à nous interroger tranquillement sur nos attentes de « bonheur », sur les belles heures déjà vécues et celles auxquelles notre être songe.

De tels instants, entre ciel et terre, recèlent cependant une autre tonalité qui ne nous est pas inconnue. Ainsi nous en connaissons qui trouvent un étonnant contentement à vouloir tout contrôler, vérifier, classer, ranger et même à vouloir avoir raison en permanence. Sur un fond d’angoisse narcissique, c’est une plage de volupté, le pouvoir ne se partage pas ! Il en est d’autres, plus raffinés, qui se délectent dans l’accumulation de connaissances, d’un savoir brillant aux facettes mondaines. Un autre espace de complaisance s’ouvre chez ceux et celles dont le bonheur se cache au cœur de ce qu’ils possèdent ou pourraient détenir et amasser. Evidemment, ces acquis, parfois financiers, se manifestent avec l’élégance qui convient, comme un sac à main de grande marque destiné à épater la galerie. Vraiment, la diversité des chemins qui peuvent conduire au bonheur nous laisse pantois. Entre l’accès profond et bienfaisant à l’espace intérieur qui suspend le temps, qui rejoint l’être en le comblant de plénitude, et les sentiers ombrageux des épanouissements illusoires, vers quel bonheur notre cœur penche-t-il ?

Effectivement, la recherche du bonheur est embarrassante car, lorsque ces instants fugitifs d’harmonie arrivent, une question se pose bien vite : « Et après ? » A bien accueillir ces étapes imprévues dans le quotidien de la vie, il est deux caractéristiques qui, entre autres, les authentifient. En premier lieu, ils libèrent en faisant disparaître provisoirement les vagues de nos inquiétudes, de nos préoccupations matérielles, des douloureuses épreuves à traverser. Et, deuxièmement, ils invitent à partager avec d’autres la richesse de ces temps de grâce qui nous sont donnés comme un « présent », comme autant de cadeaux précieux dont, avec nous, notre entourage a besoin.

Avec tous les soucis que nous portons, et qui, à l’instar de souris, se faufilent en permanence pour ronger le gâteau de l’existence, voilà un thème qui peut structurer, voire agrémenter, l’une ou l’autre de nos conversations estivales.

1 • Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF 1948, pp. 319-320.

 

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