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mardi, 03 avril 2018 08:00

Qu'est-il advenu du rêve de Martin Luther King?

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MartinLutherKing choisir WikimediaCommonsMartin Luther King prononçant son discours "I have a dream", Washington, le 28 août 1963 © wikimedia commonsVoici 50 ans, le 4 avril 1968, dans un motel de Memphis, Tennessee (États-Unis), le pasteur baptiste Martin Luther King était assassiné. Que représentait-il à l'époque? Quel espoir a-t-il fait naître? Qu’en reste-t-il aujourd’hui?

Il nous est difficile aujourd’hui de nous représenter une société d’apartheid, une société où les citoyens n’ont pas les mêmes droits selon leur race, leur genre ou leur religion. Car, pour nous, l’État de droit va de soi. L’image traditionnelle qui représente cette égalité de tous devant la loi est la statue de la Justice, les yeux bandés, tenant dans ses mains une balance et un glaive. Ses yeux sont bandés, car elle ne doit pas voir les différences de race, de genre, de religion (pas plus que de classe ni de richesse).

La différence de droits entre races blanches et noires, l’apartheid, s’est maintenue en Afrique du Sud de 1946 à 1994. Aux États-Unis certains États du Sud avaient également une législation discriminatoire jusqu’à ce que, sous la pression du mouvement animé par Martin Luther King, le président américain Lyndon Johnson signe, le 2 juillet 1964, le Civil Rights Act qui rend illégale toute discrimination fondée sur la race, la couleur de la peau, la religion, le genre ou la nationalité d’origine.

RosaparksRosa Parks © wikimedia commonsCe qui nous est inimaginable, ce n’est pas l’existence de racistes, de sectaires, ou d’homophobes; la presse est remplie de drames nourris de ces dérives. Ce qui nous est incompréhensible, c’est que de telles discriminations aient pu trouver appui dans la législation de quelques États américains, et ait été mises en œuvre avec une extrême vigueur dans certaines villes du Sud des États-Unis. C’est ainsi qu’en décembre 1955, à Montgomery dans l’Alabama (États-Unis) une jeune femme noire nommée Rosa Parks fut arrêtée par la police pour avoir refusé de céder sa place à un Blanc. Martin Luther King, pasteur dans cette ville, organisa un boycott de la compagnie de bus jusqu’à ce que, en décembre de l’année suivante, la Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnelle la «ségrégation dans les autobus» (sic). Il restait un long chemin à parcourir.

Espoir né dans la non-violence

Le chemin qui va de Montgomery à Washington, où fut signé huit ans plus tard le Civil Rights Act, fut marqué par des violences policières auxquelles se sont ajoutés des actes de pur banditisme. Le 15 septembre 1963, l’église baptiste de la 16° rue à Birmingham en Alabama (États-Unis) -où se réunissait la coordination du mouvement des droits civiques- est victime d’un attentat à la bombe. Par ailleurs Martin Luther King est plusieurs fois emprisonné, d’abord à Albany en Géorgie, puis à Birmingham.

Toutes ces violences provoquent une très large indignation dans le monde entier. D’autant plus que Martin Luther King et l’organisation qui l’entoure (la SCLC Southern Christian Leadership Conference dont il est élu président) visent, par le moyen de la non-violence, l’égalité des droits civiques. Option très concrète et très coûteuse, surtout à une époque qui ne jurait que par le Black Power et Malcom X, qui ne voyaient pas pourquoi il faudrait que les Noirs s’intègrent pacifiquement dans la culture blanche alors que les Blancs avaient imposé par la violence leur civilisation en Afrique.

Témoigne de cette non-violence assumée un épisode bien connu d’Albany: Lors d’une manifestation, de jeunes Noirs lancent des pierres contre la police. Martin Luther King demande une suspension de toutes les protestations et suggère un «jour de pénitence». Cette non-violence sans faille n’est pas signe de faiblesse; elle n’est pas non plus stratégie digne de Machiavel. Certes, le contraste entre la violence policière ou raciste et la non-violence des manifestants avait tout pour attirer la sympathie des populations civilisées. Mais cette posture venait de plus profond; elle était inspirée par le croisement de la foi chrétienne de Martin Luther King avec la rencontre, l’expérience et l’esprit du Mahatma Gandhi.

Au final, cet «homme qui respirait la paix», comme dit de lui un de ses amis, avait, à la manière du Christ, choisi l’autorité de préférence au pouvoir. De l’autorité, Martin Luther King en a spontanément déployé les trois conditions: d’abord des objectifs précis (l’égalité des droits civiques, puis -une fois cet objectif inscrit dans la loi- à partir de 1965, la fin de la guerre du Viêt Nam), ensuite des moyens proportionnés (la non-violence -en minimisant les risques pour les manifestants-, moyen adapté aux sociétés démocratiques de culture, sinon de pratique, chrétienne), enfin le partage des risques (dont témoigne ses séjours en prison et ses démêlés avec le FBI qui le soupçonnait de sympathies communistes, comme on soupçonnait à cette époque tous les chrétiens sociaux).

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

L’égalité des droits civiques est désormais inscrite dans la loi américaine. Il reste à les mettre en œuvre dans les conditions économiques, politique et culturels d’aujourd’hui. Que faire à présent? Honorer sa mémoire? C’est déjà fait, et de multiples façons: prix Nobel de la paix en octobre 1964, médaille présidentielle de la liberté en 1977, jour férié aux États-Unis en son honneur depuis 1986, médaille d’or du Congrès en 2004. Près de 800 villes américaines ont une rue nommée Martin Luther King. Son buste côtoie les plus prestigieux des Américains, à proximité du Lincoln Memorial. Sa photo ornait le salon ovale de la Maison blanche à l’époque du président Obama.
FilleMartinLutherKing pape Vatican NewsLe pape et la fille de Martin Luther King / capture TV Vatican NewHors des États-Unis, on ne compte plus les monuments érigés en son honneur, les Doctora honoris causa qu’il a reçu, le prix Pacem in Terris qui lui est attribué en 1965 (du nom de l’encyclique du pape Jean XXIII). Il fait partie des dix martyrs honorés par une galerie de sculptures dans l’abbaye de Westminster, aux côtés de Mgr Romero et du pasteur Dietrich Bonhoeffer. Dans la foulée, sa fille la plus jeune, Bernice Albertine King -qui, comme sa mère, a poursuivi le combat pour la mise en œuvre des droits civiques-, a été reçue par notre pape François le 12 mars 2018. Pour faire bonne mesure, sa petite fille de 9 ans a été d’une présence remarquée lors de la manifestation-monstre des lycéens à Washington contre les armes à feu, le 24 mars dernier.

Tous ces honneurs sont ambigus. «Lorsqu’on n’a plus d’avenir, on célèbre la beauté du mort», disait le jésuite Michel de Certeau. De plus, honorer les grands ancêtres est un bon prétexte pour ne pas suivre leurs traces. Martin Luther King n’échappera à cette fatalité qu’à trois conditions. D’abord, méditer les paroles de sagesse sorties de sa bouche, notamment lors de son grand et magnifique discours de Washington le 28 août 1963, couronnant un mouvement populaire de grande ampleur, ce discours scandé par ces mots gravés dans toutes les mémoires «I have a dream» (j’ai fait un rêve). Ensuite, prendre conscience comme lui -et comme le rappelle régulièrement tous nos papes depuis Pie XII jusqu’au pape François- de la dimension politique de tout acte de respect et de vraie charité: «La vraie compassion, c'est plus que jeter une pièce à un mendiant; elle permet de voir qu'un édifice qui produit des mendiants a besoin d'une restructuration», écrivait Martin Luther King à un moine bouddhiste durant la guerre du Viêt Nam. Enfin, découvrir la motivation qui l’a porté de Montgomery à Washington.

Comme toute démarche éthique, le mouvement de Martin Luther King commence par une indignation. L’indignation naît sur un certain terreau culturel et à l’occasion d’une rencontre qui ébranle les certitudes acquises. Le terreau culturel fut le christianisme baptiste de ses parents. La rencontre fut l’acte de courage de Rosa Parks, qui eut suffisamment de respect pour soi-même pour refuser de céder sa place à un Blanc. Maintes situations sociétales d’aujourd’hui ont de quoi provoquer notre indignation. Mais l’indignation n’était que le début, encore fallait-il poursuivre le mouvement par des moyens proportionnés. L’intelligence et la pugnacité furent ici les alliées de l’option non-violente. Restait l’essentiel, aller jusqu’au bout. Volonté inébranlable face à l’adversité, disent les observateurs, ce que le pasteur Martin Luther King avait traduit «un esprit fort et un cœur tendre comme enseigné directement par Jésus à ces disciples».

En conclusion, inscrire dans la loi les droits civiques est une chose, les mettre en pratique en est le corollaire nécessaire. La mise en œuvre appelle les qualités déployées par le pasteur King, la même combativité, la même patience. Depuis la Déclaration universelle des Droits humains (ONU, Paris, décembre 1948) et les Pactes internationaux de 1966 qui lui ont succédé (pacte sur les droits civils et politiques, pacte sur les droits économiques et sociaux), nous savons que les libertés formelles supposent des conditions économiques, sociales et politiques. Amartya Sen, prix Nobel d’économie, souligne qu’il faut y ajouter des conditions culturelles sans lesquelles ceux qui ont des droits n’oseront jamais penser que ces droits sont à leur portée. Tout cela n’a rien d’un programme dessiné d’avance. À chaque bifurcation, il faut discerner, choisir, prendre le risque de se tromper, relire son expérience et ses échecs. C’est ce que montre la vie fructueuse de Martin Luther King. Histoire de dire que la vie du pasteur King, comme la marche à pieds, fut une chute en avant perpétuellement amortie.

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