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mercredi, 30 janvier 2013 16:08

Le temps de signer…

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L’Alliance pour le dimanche a lancé un référendum contre la révision de la Loi sur le travail qui permettra aux magasins de certaines stations-services d’ouvrir 24 h sur 24, 7 jours sur 7. Parmi les organisations membres de l’Alliance, des partis politiques d’obédience chrétienne ou de gauche, des syndicats, des Eglises ou des organisations d’Eglises, dont la Commission Justice et Paix de Suisse. En toile de fond de leur opposition à la libéralisation de la loi : la protection des travailleurs et le souhait de préserver le dimanche comme jour férié.[1] « L’attaque » peut sembler mineure : quelques shops par-ci par-là, ouverts la nuit et le dimanche. Elle est bien plus sérieuse en réalité car, comme le soulignent les référendaires, elle ouvre la voie à d’autres extensions du temps légal imposable aux travailleurs, à d’autres « assouplissements » de la Loi sur le travail. Rappelons que celle-ci frappe d’une interdiction générale le travail de nuit et le travail dominical.

Sans vouloir minimiser l’importance de la défense des droits des travailleurs, c’est à un débat encore plus fondamental, d’ordre philosophique, que nous sommes conviés. En signant le référendum, nous sommes appelés à manifester notre résistance aux avancées d’une société entièrement tournée vers le faire et l’avoir (la productivité et la consommation), et à militer pour une société qui laisse encore de la place à l’être et à la réflexion.

J’ai passé dernièrement quelques jours à New York. Abandonnant tous mes a priori sur le tarmac de Newark, je me suis laissé emporter par la joie d’être là, à trottiner dans les avenues de Manhattan, si familières grâce aux films américains visionnés. Les écrans publicitaires géants et lumineux de Times Square, les magasins de trois étages uniquement consacrés aux bonbons, les mythologiques taxis jaunes... Avec une facilité déconcertante, je me suis retrouvée happée par le rythme effréné des passants, par la fièvre consumériste, par un sentiment de puissance induit par le gigantisme des buildings. Manhattan, Hong Kong, Singapour, Dubaï, toutes les mégalopoles sont construites sur une même base (une parmi d’autres) : une soif de grandeur, traduite dans une architecture toute en vertigineuse hauteur. Le trio infernal des temps modernes - puissance, richesse, vitesse - s’en donne à cœur joie dans ces villes.

Puis une idée ne m’a plus quittée. Comment font les New-yorkais, les Hongkongais et les autres, pour se ressourcer, se recentrer dans une ville où il n'y a pas de moments de calme collectifs, et donc « imposés » ? pour trouver le temps de faire silence, de prendre du recul, de réfléchir ? A force de chercher les meilleurs moyens de planifier nos journées, le risque n’est-il pas majeur de se transformer en gestionnaires obnubilés par l’idée de contrôler au mieux le déroulement du temps pour le rentabiliser au maximum ? de laisser sa part créative s’atrophier et de s’éloigner de toute recherche spirituelle ? Comment être disponible à l’Appel lorsque l’on cherche à tout prévoir ? Comment même l’entendre, dans le bruit perpétuel ? Pire, peut-on encore le désirer ? Pris dans des affaires urgentes, en ressent-on seulement encore le besoin ? N’est-ce pas là l’aliénation majeure, l’ultime danger qui nous guette tous si on n’y prend garde : ne plus même avoir le désir du désir du désir...[2] L’homme devenant esclave de la machine à accélérer et à compresser le temps qu’il a lui-même créée, perdant toute possibilité de mise en perspective.

Dans ce contexte, freiner la marche de cette machine devient un acte de résistance féconde, un rappel de la dignité humaine. C’est ainsi que prend toute sa valeur un simple paraphe au bas du référendum de l’Alliance pour le dimanche.

1 • L’initiative parlementaire de Christian Lüscher (PRL/GE) a été approuvée par le Conseil fédéral le 9 janvier 2013. Pour plus de détails sur son contenu, voir le Rapport de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national, sur www.admin.ch/ch/f/pore/rf/cr/2011/ 20112300.html. A lire aussi le document de travail élaboré en 2005 déjà par la Conférences des évêques suisses et la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, Protégeons notre dimanche, resserrons les liens de notre communauté, Berne 2005, 11 p., disponible sur www.juspax.ch. - Et pour signer le référendum : http://alliance-dimanche.ch.

2 • Cf. Etienne Perrot, à la p. 8 de ce numéro.

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