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mercredi, 21 janvier 2015 01:00

Sur nos monts. Le soleil brillerait-il moins?

Outre quelques stations en vogue, les villages de montagne se sont métamorphosés ces cinquante dernières années, désertés par leurs habitants. Les politiques successives semblent impuissantes à enrayer l'évolution. Valaisan de coeur et d'origine, Pascal Couchepin revisite ses souvenirs à l'orée du paysage actuel.

« Sur nos monts, quand le soleil annonce un brillant réveil » : beaucoup de Suisses ne connaissent que les premiers mots de notre hymne national, mais ces mots, parce qu'ils évoquent la montagne, leur parlent. Un industriel sud-américain connaisseur de la Suisse m'a dit qu'il avait constaté que pour la plupart de nos compatriotes, quelle que soit la classe sociale, l'un des plaisirs de l'existence est, après une bonne marche, de s'asseoir, d'admirer le paysage, le verre à la main. La montagne et les montagnards bénéficient d'une grande sympathie. Mais qu'en est-il de la réalité, du vécu des montagnards ?


Pendant trois générations, ma famille du côté maternel passa ses vacances d'été à Trient, petit village sur la route de Chamonix, entre le col de la Forclaz et la frontière française. J'y ai vécu moi-même une vingtaine d'étés entre 1942 et 1968. La vallée est austère, au pied des glaciers. Nous n'avions ni téléphone, ni radio, ni chambre de bain. Nos loisirs étaient l'excursion, les jeux de société et la lecture. Lorsque l'orage approchait, on participait aux travaux de protection des foins menacés par la pluie. Dans chaque maison ou presque, il y avait une écurie avec des vaches et des chèvres. Trient avait une particularité. D'assez nombreux « triennards » avaient travaillé durant l'entre-deux guerres sur la côte d'Azur, à Cannes, durant la saison d'hiver. En été, les hôtels de Trient (il y en avait plusieurs) accueillaient des touristes aisés qui y faisaient de longs séjours. Qu'en est-il quarante ans plus tard ? Il reste un seul paysan qui entretient tous les prés. Il est de surcroît cantonnier. Tous les jeunes ont fait un apprentissage. La plupart d'entre eux sont partis. Plusieurs ont cependant gardé la maison familiale pour l'été ou pour la retraite. D'autres habitants sont venus, soit qu'ils ont épousé des triennards, soit qu'ils ont choisi Trient parce qu'il y avait des logements correspondant à leurs goût et moyens. Il reste une école à plusieurs niveaux. Le curé n'est plus domicilié à Trient. Les hôtels sont reconvertis en appartements ou en gîtes pour les amateurs du tour du Mont-Blanc. Tous les habitants ont une voiture qui leur permet de faire leurs courses en plaine. Il n'y a plus de magasin, ni de boulangerie.
Du côté paternel, Chemin sur Martigny était le lieu de villégiature estival. Le hameau appartient à la commune de Vollège, qui est située principalement de l'autre côté du Mont Chemin, sur la route de Verbier. Là-bas, les terrains ont pris une valeur considérable, mais les exploitations paysannes ont presque toutes disparu. A Chemin il n'y a plus de bétail. L'hôtel, qui a du charme, survit grâce aux groupes alternatifs qui y font des séminaires. Plus de magasins. La messe, autrefois occasion de rencontres de presque tous, est dite une fois par mois en présence d'une dizaine de personnes. Les nouveaux habitants sont des retraités ou des familles dont les parents travaillent en plaine.
On pourrait décrire l'évolution d'autres villages de montagne. Le scénario serait sans doute le même : déclin de l'agriculture, changement d'habitants, disparition des commerces et de plusieurs lieux de sociabilité, mobilité des familles qui vivent sur les hauteurs mais participent à des activités en plaine.
Ces mutations profondes ont été accompagnées par des politiques qui n'ont que rarement atteint leurs objectifs. On a essayé l'appui à la création de fermes collectives, l'évolution de la politique régionale, le renforcement de la péréquation financière entre communes riches et pauvres, le développement des transports publics, nécessaires mais peu utilisés par les habitants permanents, etc., etc.
Petit à petit on a passé d'une politique qui visait à soutenir les montagnards, plus spécialement les paysans, à une politique axée sur la protection de l'environnement du milieu alpin. Dans ce cadre, on souhaite le maintien de quelques exploitations agricoles qui entretiennent le paysage. Plus de 70 % de la valeur des produits agricoles en montagne provenaient en 2012 des subventions. Mais l'essentiel de la politique de la montagne aujourd'hui vise des objectifs de protection de l'écosystème. On peut classer dans cette catégorie l'initiative Weber, la loi sur l'aménagement du territoire, la nouvelle politique régionale, les exigences en matière de bienêtre animal et bien sûr les dispositions relatives à la protection des eaux. Cette richesse des cantons alpins, qui était et qui est encore la force hydraulique, est mise en cause par la fièvre de subventions en faveur d'autres énergies renouvelables qui a frappé les dirigeants allemands et leurs disciples helvétiques. Le tout sans effet sur la protection de l'environnement puisque la production de CO2 augmente à cause des usines thermiques à charbon qui remplacent en partie le nucléaire.
Jamais sans doute dans l'histoire, les zones de montagnes n'ont subi, en une aussi courte période, des mutations aussi profondes. Ces changements sont inéluctables. Ce qu'il faut espérer, c'est que la politique future de la montagne ne soit pas le fruit des visions et des désirs des citadins, mais bien le résultat d'un dialogue constructif entre habitants permanents de la montagne et résidents occasionnels ou visiteurs d'un jour. Cette politique exige à la fois doigté et courage. Elle n'est pas exempte de risques de conflits.

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