« Le Kazakhstan a fait partie de l’Union soviétique pendant 70 ans, et comme on le sait, “il n’y avait pas de sexe en URSS” », sourit Gulnara Utegalieva, gynécologue privée à Almaty, au Kazakhstan, paraphrasant la réponse d’une téléspectatrice russe lors d’un talk show en 1986. Cette phrase est devenue mondialement connue, même si son sens original était autre. « Lors de ces vingt dernières années, le sexe est sorti de l’orbite du tabou », explique le médecin. Les habitants du Kazakhstan commencent à en parler plus librement, même à la télévision. « Mes patientes me font confiance et se sentent libres de parler de leurs problèmes sexuels avec moi et d’essayer de trouver une solution. »
Depuis quelques années, des centres et des écoles s’ouvrent pour traiter de ces questions et briser le tabou qui accompagne les questions sexuelles. Akmaral et Laula ont ouvert un site internet sur lequel elles vendent un kit pour la gymnastique pelvienne, non pratiquée dans les centres médicaux publics. « C’est très recommandé pour prévenir l’incontinence, rétablir le tonus pelvien après un accouchement, ainsi que pour avoir plus conscience de son propre corps et donc éprouver plus de plaisir », explique Laula. « Un mois après avoir lancé le site, on a vendu tous les kit, un vrai boom ! » raconte-t-elle, « mais à vrai dire, la majorité des femmes l’achète davantage pour donner plus de plaisir à leur mari, que par soucis pour leur propre santé. »
C’est là tout le paradoxe de cette « libération ». « C’est la mentalité ici », raconte Akmaral, « tout doit se faire pour les hommes. Une femme seule, par exemple, ne prêtera pas attention à sa nourriture s’il n’y a pas un homme à ses côtés. » Elle pourra aller jusqu’à précariser sa santé. « Il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes dans notre pays », explique Akmaral, d’où une grande compétition entre les femmes » qui essayent, avec diverses méthodes, de se rendre uniques aux yeux des hommes.
Tokal et geisha
L’exploitation des richesses pétrolières et gazières du pays a créé une nouvelle classe d’hommes fortunés, qui a introduit la pratique du tokal comme signe de pouvoir. Une tokal, c’est la deuxième épouse d’un homme puissant, suffisamment riche pour l’entretenir (appartement, voiture, etc.).
La tokal est présentée aux soirées de gala ou aux rendez-vous d’affaires, comme un bijoux ou comme une nouvelle voiture. On peut la comparer aux escorts-girls européennes. Leur traitement s’assimile plus à une forme d’esclavage qu’à celui d’une épouse. Elles sont surveillées nuit et jour et leurs droits sont très limités vu qu’il ne s’agit pas d’un mariage légal. La polygamie, en effet, est interdite au Kazakhstan. L’union est donc célébrée selon des coutumes religieuses et traditionnelles, qui ne donnent pas de droits aux tokal, notamment en matière de succession et d’enfants. C’est le prix à payer pour sortir de la pauvreté, et nombreuses sont les filles qui choisissent cette voie.
« Il est très difficile de pas être anxieuse vis-à-vis de son mari », raconte Youlya, une participante d’une école pour geisha. « Il faut toujours être très attirante pour que son mari ne prenne pas une autre femme. » L’inquiétude des épouses des hommes riches s’est généralisée, au point que les écoles pour geisha se sont multipliées dans tout le pays. Elles enseignent aux femmes les techniques sexuelles destinées à satisfaire les maris.
Irina Fabi, enseignante à la Geisha Golden Way, explique à ses élèves (des épouses et non des tokal) à quoi elles risquent d’être confrontées : « Les femmes ne veulent pas d’un mari faible, or il n’y a pas beaucoup d’hommes forts. Une femme doit avoir beaucoup de bonnes qualités pour que son homme ne regarde pas ailleurs (...) Quand un homme est en politique ou dans les affaires, il a besoin de beaucoup d’énergie. Parfois les femmes ne peuvent pas lui donner cette énergie, car elles sont occupées par le travail à la maison ou par les enfants. C’est pour cela qu’un homme riche prend une tokal, qui veut être avec lui seulement pour avoir une vie somptueuse. Elle pourra aller au salon de beauté, à la gym ; elle sera tout le temps belle et restera une source d’inspiration pour l’homme. »
Comme précise encore Irina Fabi, aucune épouse ne veut d’une deuxième femme pour son mari ! Mais quand c’est trop tard et qu’elle doit le partager avec une tokal, elle vient chercher de l’aide dans une école de geisha, à la fois pour devenir une femme plus libérée et pour devenir plus attirante pour son mari. »
Kidnappings au Kirghizstan
Au Kirghizstan, autre république asiatique de l’ex-URSS, la situation des femmes est tout aussi dure et paradoxale. Les centres de consultation pour femmes se développent. Le début de leur boom remonte à l’ouverture de la Jade Gift School. Après avoir étudié et travaillé les disciplines taoïstes et d’anciens exercices pour femmes en Chine, Rakhat Kenjebek a créé cette école où les femmes peuvent se sentir libres de briser les tabous et parler avec d’autres de leur vie sexuelle.
Au centre de planning familial de Bichkek, Galina Chirkina, la directrice, témoigne de la difficulté, surtout pour les plus jeunes et les plus démunies, de se rendre dans ces centres de consultation. Les cas de violences sexuelles sont encore très répandus, déclare-t-elle. « Souvent les filles qui ont subi des violences sexuelles, sont des épouses kidnappées », explique Galina. Là encore, il s’agit de la résurgence d’une vielle tradition, mal interprétée après la chute de l’Union soviétique, selon laquelle un garçon peut se marier avec la fille qu’il aura kidnappée et ramenée chez ses parents. Ce type de mariage est illégal au regard du droit, mais est considéré comme acceptable par la communauté dès qu’il est validé par un imam.
Galina craint que ces kidnappings (alaa kachu) soient surtout pratiqués sans les consentements préalables des jeunes filles. « Il y a l’idée sous-jacente et traditionnelle qu’un homme vaut plus d’une femme. Cela se traduit souvent par des cas de violence sexuelle et domestique. Alaa kachu est une tradition qui mélange à la fois la religion, la société et les coutumes. »
Cette pratique est répandue dans tout le Kirghizstan ainsi que dans la province du sud du Kazakhstan (Shymkent), même s’il existe une loi qui l’interdit et la punit. En dehors des grandes villes, le kidnapping de l’épouse reste la méthode de mariage la plus répandue.
Jeldiz, présidente du comité local de lutte contre les discriminations faites aux femmes dans le village de Kant, pas loin de la capitale Bishkek, le dit clairement : « La majorité des femmes ici ont été enlevées. Si une femme refuse de se marier après son enlèvement, sa famille et le village entier en ressentent une honte insoutenable. C’est pour cette raison que la majorité d’entre elles acceptent le mariage », explique-t-elle. Mais lorsqu’on les interroge à propos de leurs souhaits pour leurs propres filles, le ton change. « Je veux que ma fille épouse celui qu’elle aura choisi », affirme Musabekova Samara Mukamedievra, bibliothécaire de Karakol, (province orientale du Kirghizstan), elle-même épouse enlevée. « Si elle est kidnappée, j’irai la chercher pour la ramener à la maison, sans aucun doute. »
Giulia Bertoluzzi, www.nawartpress.com