banner societe 2016
vendredi, 30 novembre 2018 09:28

SDF et mal-logés une réalité en hausse

Écrit par

Au cœur de l’hiver, la notion d’un toit pour s’abriter revêt une importance évidente, même si le besoin d’avoir un chez soi dépasse les considérations saisonnières. Face à la hausse constante des personnes en situation précaire que constatent les associations œuvrant aux côtés des autorités compétentes, il serait souhaitable qu’une coordination des actions s’organise à Genève, tout comme une évaluation chiffrée du nombre de SDF et des personnes en attente d’un logement décent.

Mais qui sont ces personnes en situation précaire? La population peine à se représenter leur visage. Au mieux, elle imagine des chômeurs de longue durée ou des personnes en instance de séparation. Au pire, elle suppute que les sans domicile fixe (SDF) ne seraient pas tout à fait étrangers à leur situation. La réalité est plus complexe. Les parcours de vie ne se ressemblent pas et chaque situation est particulière.

Le hic, c’est qu’aucune statistique fiable au niveau cantonal ou fédéral n’existe quant au nombre de sans-abri. Certains avancent le chiffre de 500 à 600 SDF pour Genève, d’autres, le double. Là encore, la question de la définition d’une personne sans domicile fixe se pose. Est-ce uniquement celle qui n’a pas de toit sur sa tête pour dormir, ou toutes celles qui n’ont pas de bail à leur nom, sont hébergées momentanément chez des proches ou sont en attente d’un logement décent qu’elles seraient en mesure de payer?

«Un nombre croissant de personnes vivent actuellement dans la précarité», reconnaît la Ville de Genève sur son site sans donner de statistiques. «Des hommes, des femmes et des familles à très faibles revenus, mal logé-e-s, en butte à des difficultés sociales et administratives. Ces personnes ont souvent des problèmes de santé, des difficultés physiques et/ou psychiques, et peuvent souffrir d’un fort sentiment d’isolement.» Un constat que dressait déjà en 2016 le premier Rapport sur la pauvreté à Genève présenté devant le Grand Conseil, qui esquissait les contours conceptuels de la situation de la précarité de la population.

Le rapport énonçait plusieurs définitions de la notion de pauvreté, notamment celle proposée par la Conférence suisse des institutions d’action sociale: «La pauvreté en tant que phénomène relatif désigne un déficit dans des domaines importants de la vie tels que logement, nourriture, santé, formation, travail et contacts sociaux…» Plus loin, il relevait que «parmi les biens dont l’absence ou la qualité insatisfaisante portent à la précarité et à l’exclusion, figure le logement». Les groupes à risques étaient identifiés comme étant: les familles avec enfants et plus particulièrement les familles monoparentales et les familles nombreuses, les jeunes en transition école-métier, ainsi que les personnes éloignées de l’emploi.

Précarité à la hausse

Qu’est-ce qui a changé depuis 2016? Pas grand-chose. Le nombre de bénéficiaires de prestations sociales au sens large continue d’augmenter: 56 490 personnes en 2009, 63 904 en 2014, et 69 131 en 2016. Parallèlement, le nombre de personnes en attente d’un logement social s’allonge[1] et avoisine les 5000 selon Alain Bolle, directeur du Centre social protestant (CSP).

Le nombre des particuliers logés par l’Hospice général dans des hôtels faute de mieux explose lui aussi[2]: ils étaient 570 en 2014, 617 en 2015, 637 en 2016 et 737 en 2017, dont 81% de personnes seules, 12% de familles monoparentales, 4 % de couples avec enfants et 3 % de couples sans enfants. La durée moyenne de séjour était de 21 mois en 2017, et le coût annuel de 19,2 millions. Ces logements, sans cuisine ni buanderie, sont pourtant mal adaptés à la situation, surtout pour des familles avec enfants en bas âge.

En 2017, lors de la Journée mondiale du refus de la misère, Thierry Apothéloz -devenu depuis Conseiller d’État genevois en charge du Département de la cohésion sociale- présentait son contre-rapport à celui de 2016 sur la pauvreté dans lequel il relevait: «Le doute n’est plus possible. Le progrès de notre société ne suffit plus à combattre la pauvreté. Ce monde en changement condamne les plus vulnérables à une triple peine (…): une confrontation à une loi du marché qui renforce la concurrence tant au niveau du travail que du logement, un retrait de l’État social qui offre de moins en moins de prestations, un climat de méfiance: avec la crainte de favoriser l’oisiveté en aidant les pauvres ‹qui ne le méritent pas›, on installe une ère de soupçon, alors qu’il n‘y a certainement pas plus de fraude dans le social que celle que l’on connaît en matière fiscale.»

De mal logé à sans abri

Il faut relativiser cette photographie alarmiste. La Suisse fait figure de bonne élève au niveau européen en matière de pauvreté. Celle-ci est «généralement de courte durée».[3] Qu’en est-il des SDF? «En Suisse, il y a peu de sans-abri», note Caritas Suisse sur son site, tout en spécifiant cependant que «le nombre de personnes qui perdent leur logement et se retrouvent sans domicile fixe augmente.» Alain Bolle, directeur du CSP de Genève ajoute: «Si vous êtes sur territoire genevois en situation légale, vous ne devriez pas être sans hébergement, à condition que vous acceptiez et ayez tous les soutiens nécessaires pour l’accès au logement. Pour certaines personnes, avec notamment des problématiques d’ordre psychique, cela peut s’avérer complexe.[4] Ces personnes auraient besoin d’un accompagnement spécifique qui fait parfois défaut, et les logements adaptés manquent.»

Parmi les sans-abri à Genève, on trouve des personnes issues de la migration, comme les Roms qui viennent ici de fin mars à début novembre. «Elles n’ont aucun droit au logement hors hébergements en abri pendant la période hivernale», rappelle Alain Bolle. Il y a aussi les personnes en provenance des pays du pourtour méditerranéen -issues ou non de la communauté européenne- «qui sont là plus ou moins temporairement, selon si elles trouvent ou pas du travail. Ce qui est rare. Elles s’abritent comme elles le peuvent, dehors ou chez des marchands de sommeil.»

«Il est par définition difficile de chiffrer précisément le nombre de sans domicile fixe à Genève, la population concernée étant fluctuante, volatile, pas toujours visible», admet Nadine Mudry, directrice chargée des politiques d’insertion du Canton. «Pour obtenir une estimation, on peut notamment se référer aux statistiques de la Ville qui ouvre un dispositif d’accueil d’urgence hivernale. Selon le rapport produit au terme de l’hiver 2017-2018, les abris PC ont accueilli 1294 personnes entre novembre 2017 et avril 2018. Pour rappel, chaque personne peut séjourner à l’abri PC des Vollandes au maximum 3 semaines.»

Des pistes pour avancer

À la suite du rapport sur la pauvreté de 2016, un groupe de travail a été créé pour plancher sur les questions d’hébergement et réfléchir à la coordination des actions et aux réponses adéquates à apporter selon les situations.

Le secteur associatif a également testé ce printemps un système de halte de nuit (géré par l’Armée du Salut avec le soutien de l’Espace Solidaire Pâquis et de l’Église protestante), «une forme de réponse en matière de sécurité et de santé publique qui fait sens. Mais si l’expérience est saluée par nombre d’acteurs du domaine, elle n’a pas encore trouvé son financement pour que ce projet devienne durable. Ce qui en dit long sur la coordination des actions», poursuit le directeur du CSP.

Des plateformes d’échange d’informations existent bien à Genève, notamment le Stamm. «Les principales associations œuvrant pour les sans-abri ont aussi créé une plateforme de réflexion autour de quatre axes d’actions : s’assurer que des repas soient distribués le soir 365 jours sur 365, ce qui devrait être le cas d’ici janvier 2019 ; proposer un hébergement ‹hors de terre› pour les familles ouvert toute l’année et pas seulement en hiver (avec le soutien de la Ville et du Canton, ce dispositif annuel devait voir le jour avant la fin 2018) ; suivre le dossier halte de nuit, et demander à la Ville et au Canton de réfléchir à la pertinence de la prestation démontrée par le bilan qui a été tiré de l’expérience; réfléchir à la prise en charge des mineurs non accompagnés.»

«Je ne vous parle pas des mineurs issus de la filière asile, mais de la cinquantaine de mineurs non accompagnés qui viennent à Genève pour gagner de quoi soulager leur famille restée au pays et qui s’adonnent souvent à des activités malheureusement illégales, comme la prostitution, le deal ou le vol à l’étalage», commente Alain Bolle. Il n’en reste pas moins que ce sont des mineurs en situation dangereuse qu’il faut aider. Leur hébergement devrait être pris en charge par l’Hospice général, sur décision du Conseil d’État, mais la mise en œuvre semble complexe. Ces cas nécessiteraient qu’on ne tergiverse pas, mais qu’on agisse!»

Il conclut: «La question politique qui inquiète derrière les questions d’hébergement des sans-abri est la suivante: les dispositifs mis en place ne créent-ils pas un appel d’air favorisant une affluence de migrants? Le secteur associatif qui travaille pour ces personnes depuis de nombreuses années est convaincu que ce n’est pas le cas. Si la situation était confortable, cela se saurait.»


[1] La Ville de Genève possède 5300 logements, dont 90 % destinés à du logement social.
[2] Chiffre du rapport de décembre 2017 de l’Hospice général.
[3] Communiqué du Département fédéral de l’intérieur et de l’Office de la statistique d’avril 2018.
[4] Cf. L’abri estival de la Croix-Rouge genevoise, Projet d’hébergement d’urgence durant la période estivale 2018 pour les personnes sans-abri à Genève, Rapport final, novembre 2018.

Lu 516 fois