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mardi, 06 mars 2012 01:00

L'espoir reste vivant

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D'humiliations en libérations, les peuples ne supportent pas les violeurs de leur dignité. L'être humain ne tolère ni l'insulte ni le mépris permanent. Il est capable de mourir pour la reconnaissance de ses droits. Preuve en est ce qu'il est convenu d'appeler le « printemps arabe ». Une saison qui perdure, aux racines profondes, mais fragiles.

« Aucune souveraineté n'existera en Egypte à part celle du peuple d'Egypte. » Ces fières promesses de Gama Abdel Nasser datent du 26 juillet 1956, jour de la nationalisation du Canal de Suez. Une victoire superbe pour les indignés de l'époque. Nasser était un prophète et un homme avisé. Glissée dans le même discours, une phrase-clé révélait sa vision du futur : « Nous commençons la construction d'un pays sain et fort. » L'histoire de l'Egypte n'en finit pas de « commencer » l'édification d'une démocratie authentique et durable, ainsi que le prouvent les émeutes à répétition de la Place Tahrir.

Dans les autres nations du Moyen-Orient, la tâche de même est loin d'être achevée. A Tripoli, la classe politique cherche encore ses marques. La Tunisie a choisi la voie de l'islamisme modéré. Si Bagdad et Téhéran, chacun de leur côté, jouent les provocateurs en visant Israël, le Maghreb est relativement calme, et Bahreïn, la Jordanie et le Yémen semblent maîtriser l'onde de choc. Le monde arabe dans son ensemble a pris conscience de l'importance du rôle de l'individu et les citoyens manifestent le désir de connaître le respect des droits de l'homme. Selon Kamel Jendoubi[1], « l'oppression et l'absence de libertés fondamentales, notamment d'expression, sont la cause essentielle et commune des révoltes qui secouent le monde arabe ». Dans ce contexte, que dire de la situation tragique de la Syrie, dont la « guerre civile » - le mot n'est pas déplacé - a causé 6000 morts selon les chiffres en vigueur à la mi-février de cette année ? La répression du régime de Bachar el-Assad est, au sens propre, inimaginable. L'homme semblait pourtant maîtriser la situation. Mais la connaissait-il réellement, de l'intérieur ? Dans une lettre datée du 8 février 2011, mon agent de voyages à Damas affirmait que « le peuple syrien aime vraiment ses chefs ». Un mois plus tard, le 15 mars plus exactement, alors que je me trouvais au coeur des souks de Damas, une douzaine de femmes manifestaient, « armées » de drapeaux verts et de slogans en arabe. Ce jour est considéré aujourd'hui comme celui de d'éclosion de la révolte syrienne. J'étais sur place et je n'ai rien compris ! Suis-je plus clairvoyant aujourd'hui ? Je reste prudent car si la majeure partie de la population rejette la dictature de Bachar, l'autre a tout à craindre de la démocratie ! Selon Paolo Dall'Oglio, jésuite italien, fondateur de la communauté de Mar Moussa, très ouverte au dialogue avec l'islam, « une majorité des chrétiens préfère soutenir un régime qui les protège, plutôt que de parier sur des valeurs aujourd'hui abstraites et théoriques ». Quant au patriarche melkite Grégoire III Laham, résidant à Damas, il soutient que la tragédie actuelle est le fruit « d'un cumul de frustrations ».

Cette expression ne s'applique pas exclusivement aux peuples arabes. L'Europe n'est pas épargnée par la tourmente politique, économique et culturelle. Selon un sondage Ifop publié début décembre 2011, 76 % des Français pensent que « l'islam progresse trop ». La cohabitation « culturelle » devient un défi majeur au sein du Vieux-Monde, à quoi s'ajoutent les tensions dues à la crise monétaire qui pèse sur l'économie - et donc sur les salariés - de la Grèce à l'Espagne. Et si l'Italie semble tirer son épingle du jeu depuis l'éviction de Silvio Berlusconi, les tractations franco-allemandes sont plombées par l'attente des élections françaises. Climat lourd, incertitudes qui provoquent angoisses et crispations.

Reste un espoir. Le soulèvements de l'opinion arabe, comme les émeutes d'Athènes ou de Madrid prouvent que les peuples ne baissent pas les bras. Penser le politique leur appartient. Notre cher Jean-Jacques Rousseau affirmait que « les peuples une fois habitués à des maîtres ne sont plus en état de s'en passer ». Faux ! La Tunisie, l'Egypte, la Libye l'ont prouvé au prix fort. Les victimes ne sauraient avoir sacrifié leur vie en vain. Déplorons les violences, mais accrochons nos espoirs aux signaux de libération.

1 - Président du Réseau euroméditerranéen des droits de l'homme (REMDH), in La Croix, 21.02.2011.

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