Le pape est donc allé en Angola et au Cameroun. Michel Demierre explique dans ce numéro l'enjeu de cette visite, mais son article a été écrit avant l'arrivée du pape sur ce continent dévasté par le sida : 22 millions de personnes atteintes par cette maladie. Or la réponse de Benoît XVI à la question des journalistes juste avant de débarquer à Yaoundé est inquiétante : «...On ne peut pas surmonter le problème du sida uniquement avec des slogans publicitaires. Si on n'y met pas l'âme, si on n'aide pas les Africains, on ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs : au contraire, le risque est d'augmenter le problème. » Voilà qui semble contredire près de 25 ans d'expérience de lutte contre le sida ! Une très grande majorité de prêtres et de religieuses s'engagent quotidiennement sur le terrain pour la dignité de l'humain, sans suivre une telle logique qu'ils savent mortifère. Oui, il y avait autre chose à dire, que la presse n'a pas relayé. Le pape a cité Sant'Egidio, les Camilliens et les religieuses : « En tout 25% des structures s'occupant des malades du sida sont catholiques ! »[1]
On connaît la puissance de vie des populations africaines. Elles, elles ont quelque chose à nous dire ! Olivier Labarthe, fort de son expérience au sein de la Commission tiers-monde de l'Eglise réformée de Genève, le démontre admirablement en nous emmenant à leur rencontre. Si les petits paysans du Congo cherchent à « tenir, envers et malgré tout, grâce à une solide formation de base », ce n'est nullement pour une question de morale, mais de dignité humaine, sans laquelle il n'y a pas de morale. Luc Ruedin témoigne lui aussi de la force de ces rencontres sur le continent noir (où il travaille avec le Service jésuite des réfugiés) et des craintes qu'elles peuvent susciter. Car l'inconnu fait peur ! Est-ce pour cela que de « l'étrange », nous avons fabriqué « l'étranger », celui qui, lorsqu'il s'exprime, échappe à tous nos critères d'analyse et de perception : car il a autre chose à dire !
Cette confrontation avec l'étrange ne fait que commencer. Qu'en sera-t-il du monde « dans deux ou trois siècles », si l'être humain abandonne sa responsabilité vis-à-vis de Mère Nature ? Jacques Grinevald, spécialiste de l'histoire de la pensée écologiste, propose une alternative au catastrophisme ambiant : la décroissance. Cela me rappelle un verbe que j'ai inventé pour baliser le parcours de l'humain dans sa quête de Vie. Plus nous avançons dans la connaissance de Dieu, plus nous « démourons ». Et quand nous sommes entièrement « démourus », c'est alors que nous sommes vivants. Ce n'est certes pas un langage très rigoureux, mais l'image s'impose à moi en ces jours de montée vers Pâques, en lisant l'analyse de Stjepan Kusar. Il oppose la violence égocentrique de l'apôtre Pierre, qui par son déni cherche à sauver sa peau, et l'abandon du Christ, qui crucifie la violence par sa liberté de « démourir » et de tout donner. Oui, il y a autre chose à dire !
Comme il y avait autre chose à dire que de déclarer l'excommunication d'une mère brésilienne qui a fait avorter sa fillette de neuf ans, enceinte de quatre mois, après avoir été violée depuis l'âge de six ans par son beau-père. Il y avait surtout des questions à poser : comment accompagner, encourager, permettre de sortir de l'horreur, de retrouver sens et goût à la vie ? Les condamnations, le rappel de la loi, même juste, ne sont pas Parole d'Evangile : Jésus a dit que la morale est faite pour l'homme et non l'homme pour la morale. Il a dénoncé l'hypocrisie de ceux qui lient de pesants fardeaux sur les épaules des autres. « Nous avons d'abord à manifester la bonté du Christ Jésus, le seul vrai Bon Pasteur. Je suis sûr qu'Il aime cette mère et qu'Il cherche des hommes et des femmes pour l'aider à continuer la route en étant soutenue amicalement, spirituellement et, si nécessaire, matériellement. Je suis sûr qu'Il demande d'apporter de l'amour à cette fillette marquée à vie et à sa soeur aînée handicapée, elle aussi violée », écrit Mgr Gérard Daucourt, évêque de Nanterre, dans une lettre ouverte à l'évêque de Recife qui a prononcé l'excommunication. Merci, Père Gérard : vous placez la Résurrection au coeur de l'absurdité de la Croix, donnant à l'Amour priorité sur la folie meurtrière des violeurs et des censeurs.