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vendredi, 06 mars 2009 11:00

Une décision malheureuse

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La décision du pape Benoît XVI de lever l'excommunication des quatre évêques schismatiques de la Fraternité Saint Pie X (Ecône) a été ressentie comme le signal d'une restauration. La mesure est trop lourde de symbolisme pour que les explications tardives du Vatican parviennent à rassurer.

Une levée d'excommunication n'est pas une réhabilitation ni une réintégration ; elle n'est que la suppression d'une sanction. Même après le geste surprenant du pape, les évêques lefébvristes restent interdits de ministère aussi longtemps qu'ils n'accepteront pas l'enseignement du concile Vatican II. La distinction est trop subtile pour la grande majorité des fidèles ; seul un spécialiste peut en saisir la portée. Prenant acte, un peu tard, du scandale, le pape a précisé que son geste était une invitation à réaliser la pleine communion avec l'Eglise « en témoignant d'une véritable fidélité et une reconnaissance véritable du magistère et de l'autorité du pape et du concile Vatican II ». Loin d'obtempérer, Mgr Fellay s'est empressé d'affirmer qu'ils acceptaient tous les conciles jusqu'à Vatican II et de réclamer la réhabilitation de Mgr Lefèbvre. Plus direct, le supérieur du séminaire d'Ecône, l'abbé de Jorna, a précisé : « On ne va pas transiger, on ne va pas céder ni sur Vatican II ni sur l'oecuménisme. Ni sur la collégialité... Le plus important pour nous, c'est que nous refusons la liberté religieuse, la liberté de conscience. » Et de conclure avec cynisme : « Jusqu'ici, c'est le Vatican qui a fait toutes les concessions » (Tribune de Genève, 28.01.2009). Qu'on se le dise !

Les propos révisionnistes d'un des évêques traditionalistes ont rendu la grâce papale encore plus odieuse, sans que les explications embarrassées et les excuses tardives n'aient dissipé le malaise. Le discours antisémite fait tout de même partie de la rhétorique héritée de l'Action française. Il n'est donc pas aussi étranger aux adeptes de Mgr Lefèbvre qu'on veut bien le dire. A Ecône, on a refusé d'amender des vieilles prières antisémites de la liturgie du Vendredi saint, et il est piquant de remarquer que les excuses de Mgr Fellay n'ont pas été adressées aux juifs, premiers lésés, mais au pape, qu'il s'agit de ménager pour éviter d'aller à Canossa. On aurait préféré qu'il demande pardon au pape pour avoir divisé l'Eglise ! Comment cela a-t-il pu échapper aux instances vaticanes ? Des cardinaux ont parlé du dysfonctionnement de la curie romaine et du manque d'information. Faut-il craindre que le pape ne soit manipulé par certains milieux de la curie qui n'ont jamais accepté le concile ?

Après avoir fâché les musulmans à Ratisbonne, les Indiens à Aparecida, les juifs en reformulant la prière du Vendredi saint et en exaltant mal à propos la figure contestée de Pie XII, voilà que ce sont maintenant les fidèles et leurs pasteurs qu'on scandalise. Un meilleur exercice de la collégialité aurait sans doute permis d'éviter ce nouveau faux pas. La décision de lever l'excommunication a été prise sans concertation avec les évêques des diocèses concernés. L'évêque du lieu, Mgr Brunner, qui n'a jamais été consulté, a eu connaissance des textes de Rome par la presse (Nouvelliste, 26.01.09). Un peu moins de suffisance et de désinvolture envers les pasteurs des Eglises particulières et un plus grand respect de leurs compétences nous auraient épargné ce gâchis. Dans une audience du 28 janvier, Benoît XVI s'est expliqué sur la portée de sa décision : « J'ai accompli cet acte de miséricorde paternelle car les évêques m'ont manifesté à plusieurs reprises leur vive souffrance concernant la situation dans laquelle ils se trouvaient. » Une situation dans laquelle ils ont bien voulu se mettre et persévérer. Cette miséricorde paternelle sera plus crédible le jour où elle s'exercera aussi à l'endroit de tant de théologiens et de pasteurs qui s'engagent pour annoncer l'Evangile en ce XXIe siècle et qui ont été interdits d'enseignement ou de ministère, alors qu'ils n'ont jamais quitté l'Eglise.

Un pape condamne, un autre pape absout... sans qu'il y ait eu amendement. La parole du pape n'est donc plus aussi incontestable qu'elle le prétend. Certains en prennent leur parti : ils affichent leur désintéressement et quittent l'Eglise. Parce que la Compagnie de Jésus a réaffirmé le lien spécial qui l'unit au Saint Père, nous refusons de prendre le chemin de l'indifférence. Il ne s'agit pas de tourner le dos, mais de faire face. C'est pourquoi, par loyauté envers le Saint Père, avec respect, nous disons notre incompréhension et notre inquiétude.

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