En introduction de son texte -l’un des plus longs depuis sa renonciation au pontificat- le pape allemand explique avoir désiré contribuer à un nouveau départ face à l’étendue et à la gravité des affaires d’abus sexuels. Chez de nombreux les fidèles, déplore-t-il, ces affaires remettent en question la foi même.
La libération sexuelle en cause
Dans son document, le pape émérite s’attache tout d’abord à trouver les causes de cette crise. En premier lieu, il cite la société des années 60 à 80 où, en seulement deux décennies, «les standards normatifs précédents au sujet de la sexualité se sont entièrement effondrés». Après 1968, est ainsi apparue une «libération sexuelle tous azimuts, à laquelle on ne pouvait plus appliquer aucune norme». À l’époque, rappelle-t-il, même la pédophilie était «diagnostiquée comme permise et appropriée». Pour beaucoup dans l’Église et en dehors, affirme l’ancien pape, cela a été une époque très difficile.
Effondrement de la théologie morale
Parallèlement à ces changements sociétaux, Benoît XVI relève un effondrement de la théologie morale catholique qui a rendu l’Église «sans défense» devant ces bouleversements. Pour lui, cet effondrement est notamment issu de la volonté du concile Vatican II de définir une théologie morale «entièrement basée sur la Bible». Les références à la loi naturelle -prévalant jusqu’alors- étaient ainsi abandonnées. Mais surtout, poursuit l’Allemand, a prévalu l’hypothèse que la «moralité était exclusivement déterminée par les buts de l’action humaine». Un «bien absolu» ne peut plus exister dès lors, ce qui a conduit dans les années 80-90 à une «crise de la justification et de la présentation de la moralité catholique». Ainsi, quand le pape Jean Paul II a énoncé que certaines actions ne pouvaient jamais être bonnes dans Veritatis splendor (1993), «il a déclenché des contrecoups véhéments de la part de théologiens moraux». Alors que le pape polonais énonçait que le «calcul moral» avait une «limite finale», certains remettaient en cause la compétence de l’Église dans le domaine moral.
Pour Benoît XVI, cette dissolution de l’enseignement moral de l’Église a nécessairement eu des effets au sein de l’Église. Il cite par exemple l’existence de «cliques homosexuelles» dans des séminaires ou la projection de films pornographiques dans d’autres. De même, la sélection des évêques a changé pour des profils plus conciliaires ce qui pour certains signifiait rejeter la tradition existante jusqu’alors.
Dans le cas plus précis de la pédophilie, le pape émérite remet également en question le fonctionnement de la justice canonique. Jusque dans les années 80, explique-t-il, bien des canonistes estimaient qu’une suspension temporaire du sacerdoce était suffisante pour «la purification et la clarification». De même, il dénonce une justice canonique trop attachée à défendre les droits de l’accusé au détriment de la protection de la foi. «La foi n’apparaît plus comme ayant le rang de bien nécessitant protection. C’est une situation alarmante.» D’autant que la conduite des prêtres pédophiles «abîme la foi».
L’Eucharistie et la réalité de l’Église
Après ce double constat -effondrement des normes morales dans la société et dans l’Église- Benoît XVI présente ses pistes pour émerger de la crise. Tout d’abord, il rappelle longuement que la contre-force au mal est d’entrer dans l’amour de Dieu. Pour le pape émérite, dans une société sans Dieu, il n’y a plus de standards de bien et de mal. Pourquoi la pédophilie a pris de telles proportions? semble-t-il s’interroger avant de répondre: «In fine, la raison en est l’absence de Dieu.» Ainsi, faire connaître Dieu est «la tâche première et fondamentale qui nous est confiée». Ce qui nécessite que «nous apprenions nous-mêmes à nouveau à reconnaître Dieu comme fondement de notre vie». Trop souvent, «nous courons le risque d’être des maîtres de la foi au lieu d’être renouvelés et d’être dans les mains de la foi». Pour lui, ce danger se manifeste en particulier quand l’eucharistie est réduite à une simple gestuelle cérémonielle.
Alors que le concile Vatican II voulait remettre le Corps du Christ au centre de la vie chrétienne, semble prédominer une façon «de Le traiter qui détruit la grandeur de ce mystère». Par exemple, le déclin de la participation à la messe dominicale «montre combien peu, nous les chrétiens d’aujourd’hui, savons apprécier la grandeur de ce don de sa Présence Réelle».
La Sainte Église est indestructible
Par ailleurs, explique le pape Benoît XVI, l’Église est fréquemment vue -y compris par des évêques- comme une sorte d’appareil politique. Alors celle-ci n’apparaît plus comme le «filet de Dieu» contenant des poissons mauvais mais également d’autres bons. Pour l’ancien pape, cela conduit à céder à l’œuvre du Diable qui accuse l’Église d’être entièrement mauvaise pour dissuader de la rejoindre. S’il existe «du péché et du mal» au sein de l’Église, «aujourd’hui encore, il y a la Sainte Église, qui est indestructible». C’est plus que jamais une Église de martyrs, de personnes qui humblement croient, souffrent et aiment pour Dieu.
Comme en ouverture de son texte, où il précisait que le pape François était informé de la publication de ce document, son successeur coupe court à toute tentative d’imaginer une opposition entre les deux hommes. «Je voudrais remercier le pape François pour tout ce qu’il fait pour nous montrer, encore et encore, la lumière de Dieu qui n’a pas disparu, même aujourd’hui. Merci, Saint-Père!», conclut-il.
Une précision qui n'atténue pas le malaise suscité par cette prise de position. Selon Nicolas Sézène, du journal La Croix, «certains vont toutefois jusqu’à mettre en doute la paternité d’un texte dans lequel ils ne reconnaissent pas la plume habituelle de l’ancien pape qui, à 92 ans la semaine prochaine, leur apparaît plus que jamais sous la coupe de son entourage». ( «Abus sexuels, un texte troublant de Benoît XVI», La Croix, 11 avril 2019).
(rédaction/cath.ch/imedia/)