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lundi, 04 novembre 2019 13:41

60 ans d'une revue implantée dans le monde

Choisir Lucienne CélineLucienne Bittar et Céline Fossati lors du lancement du trimestriel, en 2016. © G. RossetNotre revue basée à Genève, fête ses 60 ans en novembre 2019. Raphaël Zbinden, de l'agence de presse catholique suisse, a dressé le portrait de notre publication, trimestrielle depuis 2016. Il a interviewé pour ce faire Lucienne Bittar, rédactrice en chef de la revue, s’enquérant du secret de cette longévité. Cela tient à deux points essentiels, d'après elle. Tous d'abord son ancrage dans le monde, un principe qui fait la force des jésuites: choisir traitent depuis sa fondation de questions qui rejoignent les préoccupations des gens. Ensuite, une forte motivation: les jésuites de Suisse ont toujours été conscients de la nécessité d’offrir un organe de formation d’adultes, d’information et de réflexion. Et ils considèrent l'écrit comme un vecteur essentiel de formation des consciences.

Raphaël Zbinden : À l'automne 1959, la revue choisir sortait son premier numéro mensuel. Arriver à 60 ans d'existence pour un titre de la presse romande, c'est déjà un exploit par les temps qui courent…

Lucienne Bittar: «C'est effectivement extraordinaire d'avoir pu tenir aussi longtemps. Il faut dire que cette réussite est en grande partie liée à la volonté des jésuites de Suisse romande, qui se sont pleinement impliqués pour faire vivre cet outil. Ils ont toujours été clairement conscients de la nécessité d'offrir un organe de formation d'adultes, d'information et de réflexion. Et donc ils ont accepté que le projet ne soit pas forcément rentable.

La principale préoccupation aujourd’hui est finalement moins d’ordre financière que liée au manque de nouveaux postulants au sein de l'Ordre. Les jésuites travaillent donc de plus en plus avec des laïcs, en conformité avec les options privilégiées par leur Ordre. C'est le cas des deux journalistes qui composent la rédaction, Céline Fossati et moi-même.»

La revue jésuite n'est donc pas écrite par des jésuites?

«Oui, un certain nombre d’articles sont toujours écrits par eux car nous bénéficions d’un réseau ignatien international important. Et nous avons toujours un directeur jésuite, Pierre Emonet, et un conseil de rédaction composé de jésuites et de laïcs. Cela dit, même si Céline Fossati et moi-même ne faisons pas partie de l'Ordre, nous connaissons bien sa spiritualité. Une bonne relation de confiance est établie avec les membres de la Compagnie de Jésus. Ils nous laissent une grande indépendance et nous suivons une ligne éditoriale qui correspond à leurs principes et aux valeurs chrétiennes.»

"L'arrivée de choisir a été une petite révolution en Suisse romande"

Comment concevez-vous exactement votre mission?

«choisir est en fait l'une des rares œuvres jésuites qui restent en Suisse romande. Comme l'Ordre a été interdit pendant très longtemps en Suisse, il n'a pas d'institutions de formation, comme dans d'autres pays. La revue a donc pris ce rôle de plateforme de "formation des esprits". Elle a été fondée un peu avant Vatican II, à un moment où l’Église fourmillait d'idées nouvelles, vivait un formidable élan. L'arrivée de choisir a été une petite révolution en Suisse romande, car il n'y avait pas encore à l'époque de revue d'approfondissement chrétien de ce genre.»

Mais l'offre de choisir trouve-t-elle sa place dans le monde actuel?

«C'est un travail de longue haleine face à l'évolution de la société. Notre principale tâche, selon les principes de saint Ignace (le fondateur de la Compagnie de Jésus), est de fournir des outils pour permettre aux personnes de réfléchir et de discerner sur toute question avant d'agir. Plus les individus sont capables d'acquérir un jugement sûr et de discerner ce qui est véritablement bon pour eux, plus ils deviennent des citoyens responsables puisqu'ils réalisent que la recherche du bien commun a des retombées positives pour eux. Bien sûr, il y a souvent une tension entre son propre bien et le bien de la société, mais elle est nécessaire à la créativité et elle amène à avoir des opinions nuancées et à poser des compromis.»

Quelle est votre particularité face aux autres médias?

«Surtout, de permettre de considérer l'information avec du recul. Une approche importante face au flot d'information brute qui nous inonde. Avec en plus une composante spirituelle, qui est toujours en filigrane. En France, les jésuites ont une revue spirituelle et une culturelle. Nous essayons de couvrir ces deux spectres. Le contenu est ainsi équilibré, entre articles touchant à la théologie, à la psychologie, à la sociologie, à la politique ou encore à la culture.

Ce qui nous distingue d'autres médias religieux, c'est peut-être que nous avons un regard externe sur l’Église tout en étant à l'intérieur, avec un bon réseau d'information. Ce qui permet d'être parfois critique, mais toujours dans la constructivité.

"L’écrit est un vecteur essentiel de formation de la conscience"

choisir a en outre été dès le départ une revue engagée, avec une sensibilité très claire. Elle s'efforce de suivre notamment la ligne de justice sociale mise en place par Pedro Arrupe (supérieur général de la Compagnie de Jésus entre 1965 et 1981). L'un des points les plus importants pour nous est de rappeler que chaque individu doit agir selon sa conscience, mais que cette conscience doit être formée.»

Mais pour survivre, choisir a également dû faire preuve d'une capacité d'adaptation…

«Depuis la crise de la presse écrite, en Suisse romande, tout est devenu plus compliqué. Ce n'est pas pour rien que nous sommes passés à une revue trimestrielle (en octobre 2016). Même si cela n'a pas résulté réellement en une réduction des coûts. La tendance est à la baisse pour les abonnés, mais on se démène pour en trouver de nouveaux. Dans ce contexte, nous avons augmenté notre offre internet. Mais cette offre vise un autre public que la version papier, qui reste pour nous essentielle.

Pour ce qui est de l'adaptation interne, elle a toujours été très importante. Le principal enjeu est de choisir les thèmes qui affectent le plus l'époque actuelle. Car choisir se veut pleinement implantée dans le monde. Un principe qui fait la force des jésuites.»

Cette « foi » dans l'écrit se manifeste également par le concours de nouvelles lancé dans le cadre du 60e anniversaire…

«Absolument. Nous considérons que l'écrit, le livre, est un vecteur essentiel de formation de la conscience. choisir a ainsi toujours porté une attention spéciale à la littérature, notamment romande. Nous publions régulièrement des productions d'écrivains romands. Georges Haldas a notamment écrit pendant 20 ans une chronique mensuelle dans la revue.

Le concours littéraire, avec comme thème "le choix", est principalement destiné à faire découvrir et promouvoir auprès du public les jeunes auteurs de Suisse romande, et à entendre ce que les jeunes ont à nous dire, quels sont leurs espoirs et préoccupations. Cela va certainement nous réserver des surprises!»

L'arrivée d'un pape jésuite, avec François, vous a-t-elle donné un coup de pouce?

Pas dans le sens d'une hausse des abonnés (rires). Ce que l'on a pu espérer un moment. Cela nous a par contre permis de toucher beaucoup plus de gens dans l’Église. On s'est retrouvé soudainement éditorialement plus aligné avec Rome. "L'effet pape François" a créé un certain courant de sympathie pour l’Église catholique. Les personnes voyaient le monde "catho" avec moins de réticence. L'on pouvait donc plus facilement les approcher et les intéresser. Un sursaut qui s'est néanmoins passablement affaibli avec les affaires d'abus sexuels dans l’Église.»

Comment voyez-vous donc l'avenir?

«Nous avons beaucoup de projets en cours, en particulier pour se faire voir "autrement" du public. Nous tentons notamment d'être vendus en librairie et dans les kiosques. Nous développons également des partenariats, par exemple avec l'Institut littéraire suisse, à Bienne, ou le festival "Histoire et Cité", à Genève. Nous parrainons également un film au festival "Il est une foi", organisé par l’Église catholique romaine de Genève (ECR). Nous allons continuer à étoffer l'option web, mais en cherchant de nouveaux abonnés papier. Je pense personnellement que l'option papier pourrait bien revenir au goût du jour.

Mais nous faisons également attention de ne pas nous laisser accaparer par la recherche d'abonnés, car cela pourrait nous éloigner de notre mission, qui dépasse largement l'aspect matériel.»

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