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samedi, 10 mars 2018 18:07

Recensions n° 687

Retrouvez toutes les recensions des livres parues dans la revue choisir n°687 d'avril-mai-juin 2018 sous ce lien:

Bierlaire Cyrulnick Martin Schmitt
Falcombello Ben Achour Durand Redeker
Steffens FrereJohn Muller Devillers2

 

Michel Bierlaire, Vincent Kaufmann, Patrick Rérat
La mobilité en questions
Lausanne, PPUR 2017, 210 p.

Nous sommes confrontés à une croissance rapide de la mobilité, tant obligée (trajets entre le domicile et le travail) que choisie (40 % de nos déplacements sont dus aux loisirs). Or les coûts environnementaux (les transports sont le plus gros poste de notre facture pétrolière) et financiers exigent aujourd’hui une analyse des priorités.

Riche en données et en réflexions stimulantes, La mobilité en questions démontre la pertinence d’un péage urbain dans une logique de vérité des prix, mais aussi en fonction de ses effets d’orientation sur la demande en transports. Combiné à des parkings périphériques bien desservis en transports publics et en mobilité douce, il peut réellement éviter l’asphyxie des centres villes.

On apprend aussi qu’auto-partage et covoiturage réduisent les besoins en stationnement, mais enlèvent des clients potentiels aux transports publics, notamment sur les longues distances. Et que la garantie d’une place de stationnement proche de son travail augmente d’un facteur important le choix de l’automobile. Au niveau de la fluidité du trafic, les zones 30 n’ont pas d’effet négatif. Et l’amélioration de la vitesse des transports publics conduit à un allongement de leurs parcours, rendant accessible en peu de temps de nouveaux territoires.

Bref, la demande en transports ne tient pas de la fatalité. Construire de nouvelles routes relève d’une réponse linéaire et unidimensionnelle à un enjeu clairement systémique et holistique.

René Longet

Boris Cyrulnik
Psychothérapie de Dieu
Histoire et intelligence du dogme
Paris, Odile Jacob 2017, 320 p.

Connu pour ses recherches sur la résilience, Boris Cyrulnik s’attaque à un vaste sujet. On ne peut ignorer que des milliards d’êtres humains s’adressent à Dieu tous les jours. Clinicien psychanalyste, neuropsychiatre, éthologue, il a été confronté à la détresse des enfants-soldats. Il partage ses réflexions sur les croyances religieuses dans le monde, et sur la foi en tant que facteur de résilience selon le contexte familial et culturel. « On aime Dieu comme on aime les hommes (…) on rencontre Dieu comme on a appris à aimer (…) Ceux qui ont acquis un attachement rigide se soumettront à un Dieu totalitaire, alors que ceux qui bénéficient d’un attachement sécure se sentiront suffisamment en confiance avec leur Dieu pour tolérer que d’autres en aiment un autre que lui. » Pour lui, « quand la religion organise le contexte culturel, elle a un effet thérapeutique. Les neurosciences confirment l’effet thérapeutique de Jésus et nous expliquent comment ça marche. »

Ce livre m’a laissée sur ma faim. Les dualités « Dieu de bonheur ou Dieu de terreur » et « croyant ou sans Dieu » ne me semblent pas toujours pertinentes. Il y a mille façons de croire en Dieu, à l’intérieur même de chaque religion. Les réactions chimiques du cerveau ne suffisent pas à expliquer la foi. A-t-on besoin de Dieu pour exercer la solidarité ? La religion calme-t-elle la peur de vivre ? Les religions sont-elles nécessaires pour socialiser les âmes ? Toutes questions auxquelles l’auteur répond par l’affirmative. On peut en douter ! La spiritualité est laissée de côté, ainsi que l’évolution intérieure de chaque croyant tout au long de sa vie. Les nombreuses références en bas de page inciteront les lecteurs curieux à poursuivre le dialogue.

Marie-Thérèse Bouchardy

Jean Martin
Des repères pour choisir
Lausanne, Socialinfo 2017, 150 p.

L’ouvrage contient 35 chroniques de l’ancien médecin cantonal vaudois Jean Martin, souvent publiées dans le Bulletin des médecins suisses. Il traite essentiellement des problèmes éthiques auxquels sont confrontés les professionnels de la santé publique.

Selon son auteur, il a été publié pour mettre à disposition des lecteurs des éléments de réflexion solides pour faire les bons choix dans ce domaine complexe. Hélas, il faut le dire, cette promesse n’est pas vraiment tenue. C’est comme si Jean Martin, qui se dit lui-même « d’extrême-centre », avait peur de ne pas être de son temps. Aussi se range-t-il discrètement du côté des partisans de l’aide au suicide, en défendant les responsables de l’association Exit et en ne présentant pas les arguments des adversaires de cette pratique. Aussi recense-t-il de nombreux ouvrages d’auteurs dans le vent comme Michel Serres. Aussi se dit-il surpris par une affirmation comme celle-ci : « On a besoin de limites pour bien fonctionner. »

Aveu significatif, tout à son honneur, il reconnaît qu’il a pu manquer de sens critique, qu’il est aujourd’hui inquiet devant « la montée des intolérances et des extrémismes », lui qui avait défendu une forme de multiculturalisme. On aurait attendu plus d’engagement de la part d’un ancien membre de la Commission nationale d’éthique.

Yvan Mudry

Éric-Emmanuel Schmitt
La vengeance du pardon
Paris, Albin Michel 2017, 326 p.

Dans une vie, on a toujours à pardonner. Mais le pardon peut avoir des tas de couleurs. Il y a les pardons égoïstes, d’autres faits par intérêt ou calcul politique. Il y a aussi le pardon chrétien mû par l’amour.

L’auteur a écrit quatre nouvelles pour montrer les différentes facettes du pardon. Avec un talent incontestable, il analyse en l’être la véracité des sentiments, en des pages où prennent place aussi des descriptions savoureuses du monde végétal ou animal. Par son scalpel au cœur de l’âme humaine, on est amené à prendre conscience qu’il faut savoir pardonner avec discernement ; un pardon accordé sans aucun sens pédagogique peut entraîner en celui qui le reçoit de la révolte, de la haine. C’est le cas chez cette femme qui inonde sa jumelle de multiples pardons que sa sœur reçoit si mal…

Il y a le pardon d’origine émotionnelle et le pardon plus volontaire, comme celui d’une mère dont la fille a été assassinée et qui veut amener son violeur à retrouver un chemin d’humanité afin qu’il puisse enfin détester ses crimes.

Le pardon le plus parfait est bien sûr le pardon christique : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Il est magnifiquement illustré dans ce livre à travers les pardons donnés par une mère aimante au père de son enfant qui les a abandonnés. La suite de l’histoire est très émouvante tant elle est tragique et belle.

Ouvrage délectable, chaque épisode est passionnant. Ils cherchent avec justesse à remettre le pardon au cœur de la société.

Monique Desthieux

Jean-Marc Falcombello
Le bouddha est-il vert ?
Conversation avec Michel Maxime Egger
Genève, Labor et Fides 2017, 104 p.

L’écobouddhisme, qui a fleuri depuis une trentaine d’années en Occident, laisse entendre qu’on peut se baser sur les enseignements du Bouddha pour justifier l’engagement écologique - du fait notamment de la vision de l’interdépendance de toutes choses. Mais n’allons pas trop vite ! Rien dans les textes ne peut accréditer une telle interprétation, dit Jean-Marc Falcombello (journaliste, proche de Lama Teunsang et coresponsable du centre bouddhiste de Montchardon en France).

« L’enjeu fondamental de la pensée et de la démarche spirituelle bouddhistes n’est pas de mieux se sentir relié à l’univers afin de développer une attitude responsable et respectueuse à l’égard de l’environnement et des ressources naturelles, comme si c’était une fin en soi, mais bien de se déconditionner (…) Tout cela, bien évidemment, ne veut pas dire que l’on ne doit pas se relier à l’univers, ni prendre soin de la nature et assumer ses responsabilités. Il faut juste savoir de quoi on parle (…) Rien, dans les sources textuelles les plus anciennes (…) ne permet d’attester une telle éthique. »

Michel Maxime Egger (sociologue et écothéologien) se fait « l’avocat du diable » dans les arcanes complexes du bouddhisme. « Le but du bouddhisme est donc d’approcher la nature fondamentale de l’esprit (vacuité), pas la nature qui nous entoure. »

Conclusion : « Agir pour le monde n’est pas une fin en soi, car le monde est illusoire. Mais ne pas agir, sous prétexte que tout est illusion, est un écueil. » Chercher une troisième voie et trouver d’autres raisons de respecter le Terre : c’est ce que ce livre très intéressant nous invite à faire, sous le regard du Bouddha.

Marie-Thérèse Bouchardy

Yadh Ben Achour, François Dermange
Quel islam pour l’Europe ?
Genève, Labor et Fides 2017, 132 p.

Deux auteurs, un juriste et ancien doyen de la Faculté des sciences juridiques de Tunis, membre du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, et un professeur d’éthique à l’Université de Genève, ancien doyen de la Faculté de théologie, prennent le risque de parler de l’islam en Europe. Dans le tourbillon des passions et des grandes peurs, ils proposent de réaliser quatre petits pas vers la sagesse.

L’un de ces pas est de faire face au parcours historique de l’islam, de ses relations dès le VIIIe siècle avec l’Europe (confrontations mais aussi échanges). La radicalisation, nous dit Ben Achour, n’est pas interne à la religion mais la conséquence d’autres facteurs : nationalisme, sous-développement, victimisation, sentiment d’injustice, jeux d’influences des grandes puissances.

Pourtant, plus l’immigré se sent chez lui en Europe, plus il est tenté par son autre chez soi ... celui de son origine. Un dialogue interconfessionnel doit s’instaurer. Travail sans doute de longue haleine mais indispensable. Il s’agit de développer et d’encourager l’islam libéral, tout en saluant les tentatives accomplies par les Églises chrétiennes depuis Vatican II et Nostra Aetate en 1965. L’islam en Europe doit s’adapter aux différentes évolutions religieuses, et il revient à l’Europe de reconnaître les pratiques d’un certain islam (celles-ci devant demeurer dans les limites de l’ordre public européen).

Si François Dermange relève le courage de son interlocuteur face à l’ouverture de l’islam à l’Europe, il pose aussi la question dans l’autre sens : quelle attitude l’Europe doit-elle avoir face aux musulmans (ramadan, viande halal, voile) ? Il relève que chaque fois que l’avenir politique et économique se montre incertain, on s’alerte de la présence de « barbares » dont le vêtement est souvent ressenti comme un affront au monde civilisé. Il s’applique à étudier ces questions et il le fait admirablement bien, relisant l’histoire avec ses guerres de religion.

Comment, dit-il encore, s’entendre sur des normes de vie publique, dans un monde pluraliste où les visions morales, philosophiques et religieuses divisent ? Le principe de « tel prince, telle religion » ne tient plus depuis longtemps. Une religion se choisit, ce qui implique qu’on peut soit la quitter soit en changer. Karl Barth nous mettait en garde : il ne faut pas confondre religion et philosophie. À travers ses propos, il nous dit que ce que Dieu veut nous dire et ce qu’Il nous dit, c’est en réalité qu’Il nous veut libres.

La lecture de ces pages exige une grande attention, mais l’intérêt est tel que l’effort en vaut la peine.

Marie-Luce Dayer

Sous la direction de
Jean-Dominique Durand et Claude Prudhomme
Le monde du catholicisme
Paris, Robert Laffont 2017, 1536 p.

On identifie habituellement le catholicisme à l’Église catholique romaine, à ses dogmes, ses institutions et ses préceptes ; on ajoute que les catholiques sont « des chrétiens qui reconnaissent l’autorité du pape, successeur de Pierre, et des évêques qui sont en communion avec lui » ; et que les origines de cette religion remontent à la prédication de Jésus.

Mais c’est bien plus que cela. Il est d’une importance capitale de lier à cette définition « le sentiment de participer à une culture forgée dans une histoire qui a progressivement fait émerger des manières de penser et de vivre, des modes particuliers d’expression de la foi, des principes moraux et des valeurs ». Au fil du temps se sont diffusées « des sensibilités et des formes artistiques qui ont durablement marqué les fidèles, par exemple par la place accordée à l’image et aux rites, et qui constituent aujourd’hui un patrimoine largement partagé ». En somme, le catholicisme est aussi une culture, un rapport au monde.

Après avoir déterminé le champ sémantique du mot catholicisme, les directeurs de ce dictionnaire s’expriment, dans l’introduction, sur les raisons et les défis d’un tel dictionnaire. Les auteurs s’efforcent d’inscrire le catholicisme dans son histoire et de montrer à partir de quand « les faits et les hommes sélectionnés sont de manière indiscutable caractéristiques du catholicisme, et pas seulement du christianisme en général ». Ils y arrivent remarquablement bien.

L'ouvrage se compose de trois grandes unités. La première englobe l’introduction, des abréviations et des itinéraires thématiques, ce dernier listant les articles relatifs aux 81 grands thèmes proposés, tels Afrique, Animal, Bible, Biographies, Cinéma, Environnement, Finances de l’Église, Sport, etc.

La deuxième partie, la principale, propose plus de 2000 articles. De longueurs variables, ils renvoient à d’autres entrées traitant de notions ou de faits similaires et parfois à de très utiles indications bibliographiques. Les entrées couvrent tous les continents. Néanmoins, la majorité des contributeurs étant français, cela limite un peu l’approche globale de l’ouvrage.

La troisième et dernière partie (les annexes) propose des repères statistiques chronologiques et bibliographiques du monde catholique, ainsi que les listes des papes, des collaborateurs et des articles.

En somme, ce dictionnaire est une mine d’informations. Face à un certain « analphabétisme religieux », c’est un outil de travail précieux pour les étudiants et les chercheurs en théologie ou en sciences sociales des religions, mais aussi pour tous ceux qui voudraient mieux con-naître le monde du catholicisme dans toutes ses dimensions et expressions : historiques, spirituelles, artistiques, culturelles, politiques, sociologiques.

Ce livre n’est donc pas un outil de catéchèse. Les auteurs n’ont pas la prétention d’être exhaustifs, ni de proposer l’essence d’un catholicisme idéal. Pour eux, il s’agit surtout de donner à un très large public -pas forcément croyant- les bases nécessaires pour comprendre une immense partie de la culture des nations occidentales. On n’y oublie pas les débats et les polémiques autour de la place du catholicisme et de sa confrontation avec la laïcité.

Stjepan Kusar

Robert Redeker
L’éclipse de la mort
Paris, Desclée de Brouwer 2017, 224 p.

Le titre de l’ouvrage en résume parfaitement le contenu (éclipse n’étant pas synonyme de disparition). Partant de ce que nous constatons tous dans les vies publique et personnelle de la majorité de nos contemporains, souvent avec désolation, l’auteur, philosophe et écrivain fécond, montre magistralement l’importance que la mort a dans notre culture depuis plus de deux mille ans. Nous pourrions dire avait, puisque nous vivons aujourd’hui sans y penser.

Dans le premier chapitre, passionnant, Les paradoxes de la mort, il convoque les philosophes, d’Héraclite à Nietzsche en passant par St Augustin, Tertullien, Leibniz, Pascal ou Bossuet, pour démontrer la puissance de l’affirmation de Platon, reprise par Montaigne : « Philosopher c’est apprendre à mourir. » Puis il essaie de répondre à la question : « Mais alors, qu’est-ce que la mort ? »

Il analyse ensuite la perte du sens symbolique de la mort, qui a des causes -« Quand la Transcendance vient à déclarer forfait, la symbolisation ne peut s’effectuer »- et de graves conséquences -« La désymbolisation de la mort la rend insupportable ». On voit apparaître alors des « parodies d’immortalité », une recherche scientifique effrénée et pas toujours désintéressée, ou encore le transhumanisme.

La fin du livre discute des pratiques et des croyances à la mode -crémation à la place des cimetières, fantômes, dialogue avec les morts, etc.- et pose honnêtement cette question très actuelle (liée à l’assistance au suicide) : « La mort a-t-elle des avantages ? »

Cet ouvrage est l’œuvre d’un philosophe chez qui on devine des convictions chrétiennes, et qui parle surtout en historien de la philosophie. Même si certains pourraient préférer les philosophes qui ont cherché en eux, patiemment et souvent dans la douleur, le sens de leur propre mort et donc de leur vie (Kierkegaard, Cioran, ou bien encore Levinas dans Totalité et infini), ce livre propose une réflexion très riche, bien documentée, limpide et agréable à lire.

Jacques Petite

Martin Steffens
L’éternité reçue
Paris, Desclée de Brouwer 2017, 252 p.

Sans esquives et en toute probité, l’auteur prend à bras le corps la question de la mort. Excluant d’emblée les paix morbides, « tout ce qui inocule à la vie les paroles doucereuses qui l’aident à mourir », « ces sagesses de camomille » comme il les nomme, il épingle dans un premier chapitre aussi bien l’indifférence stoïque, la tentation rampante de la mort contrôlée (suicide assisté, euthanasie), qu’une certaine conception occidentale de la posture bouddhiste qui voit notre désir comme une illusion et notre attachement à la vie terrestre comme une entrave.

Pour autant, il n’adopte pas la posture du tragique. De manière intelligente et fine, il met en évidence combien la mort est quotidiennement dans la vie à travers la confrontation à nos limites. Vivre ces dernières, c’est apprendre à mourir et découvrir que les blessures à notre toute-puissance sont autant de bénédictions par l’acceptation du réel qui nous structure et nous ouvre à un au-delà de nous-mêmes. Sortir de l’imaginaire tout-puissant, c’est-à-dire sortir « d’une vie qui ne rencontre qu’elle-même », est un exercice spirituel que l’auteur, à la suite de Simone Weil, préconise en de très belles pages qui ne font l’impasse ni sur les douleurs physiques et morales, ni sur les questions métaphysiques.

Ces chemins de dépossession -qui sont chemins de plénitude- préparent et initient alors, troisième partie du livre, à la grande épreuve que signifiera la réalité même de notre mort. Devenir pauvre, totalement dépossédé de soi, c’est vivre cette épreuve en renonçant radicalement à ce trésor dont Dieu est la promesse et que l’on nomme la vie éternelle ! Dans une disponibilité radicale à la volonté de Dieu, surgira alors l’inouï d’une vie absolument redonnée, car nous n’aurons plus de prise sur elle.

L’auteur écrit des pages lumineuses sur la beauté et la résurrection surgies de cet espace inimaginable, et pourtant si réel, que la tradition mystique rhénane nomme « Dieu au-delà de Dieu ».

L’écriture de Martin Steffens est d’une pertinence capitale en ces temps où le désir, l’amour et la mort, expériences ô combien humanisantes, sont si souvent travestis, avilis ou déconsidérés. Provocatrice et tonique, sa pensée ouvre à l’expérience consolatrice qui ne peut être vraie que du moment où elle ne vient pas de nous-même.

Luc Ruedin sj

Frère John de Taizé
Terre de passage
Le Samedi saint et la redécouverte de l’au-delà
Taizé, Les Presses de Taizé 2017, 288 p.

Pour les chrétiens, deux événements majeurs structurent leur cycle du temps et orientent leur piété : la mort du Christ et sa résurrection. Deux jours importants en font mémoire et les réactualisent : le Vendredi saint et le dimanche de Pâques. Entre les deux, le Samedi saint fait figure de temps mort, tel un grand vide engendré par le silence de Dieu. Tout y est accompli, mais rien n’apparaît en surface.

Et pourtant, c’est bien là que se trouve le cœur de ce processus de rédemption que l’on appelle le « mystère pascal ». La fin, la mort sur la croix, le moment où tout est accompli, et le début d’un monde nouveau, la Résurrection, s’y donnent la main. Le Samedi saint n’est ni la mort du Christ ni sa résurrection, mais le point où les deux se rencontrent, le moment du passage de la mort à la vie. Seule la foi est capable de découvrir le lien intrinsèque qui lie les deux événements : un passage, une Pâque ou un baptême, un dynamisme, un élan que l’on appelle la bonne nouvelle du salut.

Telle est la thèse de l’auteur, qui propose une réflexion approfondie sur le Samedi saint perçu comme une terre de passage, l’espace où le temps et l’éternité ont rendez-vous, le biotope qui permet aux chrétiens de vivre leur marginalité entre mort et résurrection (Jean), chair et esprit (Paul).

À partir de cette conviction, l’auteur développe une ample théologie du temps qui passe et ne revient jamais, mais dont l’instant présent, le kairos, est le point où tout bascule vers l’au-delà. Le Samedi saint est parabole de ce point du temps où l’on meurt et ressuscite dans un mouvement qui nous entraîne toujours plus avant, sans s’appesantir sur la croix pour glorifier la souf-france, et sans rêver pour échapper au monde réel. D’où le sous-titre du livre : Le Samedi saint et la redécouverte de l’au-delà.

La dernière section de l’ouvrage intitulée Vivre le Samedi saint de l’histoire propose de très beaux développements sur l’inscription du kairos dans l’histoire contemporaine, préludes à une spiritualité du temps de l’attente, quand tout est déjà là mais pas encore manifeste en surface. Ce livre très original ouvrira de stimulants horizons au lecteur qui aura la patience de le lire jus-qu’au bout sans se laisser impatienter par quelques longueurs.

Pierre Emonet sj

Denis Müller
Dieu. Le désir de toute une vie
Paris, Labor et Fidès 2017, 158 p.

Premier chapitre : Dieu fait question. Et cette question est au cœur de toute théologie, de toute expérience de vie, de toute action, de toute compréhension de la réalité. L’auteur, après 50 ans d’interrogations, reprend la question en reconnaissant qu’il n’y a pas de fossé entre la réflexion intellectuelle et le vécu personnel.

Dieu n’est jamais saisi qu’en paraboles ou en métaphores (et là le Christ excelle) ; il n’y a pas de discours direct sur lui. Dieu, un mot de notre langage, semble demeurer un mot-barrage que l’intelligence humaine ne parvient pas à comprendre. Donc, selon l’auteur, pour parler de Dieu, il faut oser parler d’athéisme. Un grand chapitre va y être consacré, passant par Nietzsche, Bergeron, Feuerbach, Ferry et Tillich.

Dans une deuxième partie, Denis Müller reconnaît qu’il est apparemment plus facile de prouver l’inexistence de Dieu que son existence. Comment affronter la brutalité de la mort, assumer les extrémités de l’injustice ? De nombreux philosophes et théologiens se sont appliqués à le faire (Thomas d’Aquin, Anselme de Cantorbéry, Barth, Kant, Eckhart, Hegel, Pascal, Heidegger, Dworkin).

Marx nous dit que l’homme, sujet autonome, est à lui-même son propre soleil... Quelle place reste-t-il alors pour Dieu ? L’homme pourtant est bien en quête de Dieu, même l’athée est engagé dans semblable recherche. Mais Dieu peut très vite être instrumentalisé, pour une domination de l’homme sur l’homme : il n’y a pas plus destructeur que celui qui s’appuie sur un dieu pour étendre son pouvoir… Et Tillich ira jus-qu’à dénoncer le démonisme d’une religion mortifère négatrice des ambiguïtés de la vie. Plusieurs chapitres vont tenter de dépasser ces ambiguïtés, de tester l’amour face à l’épreuve du désir de Dieu et de la fidélité humaine à ce Dieu.

La troisième partie traite du Dieu souhaitable. La quatrième se concentre sur les paris : celui de Pascal, celui de l’existence, celui de la vie qui traverse le néant, celui de l’amour et de la joie. Enfin, la conclusion, de Dieu à Jésus, à travers les évangélistes et le Transformé ressuscité. La lecture est ardue, je m’y suis attelée trois fois mais ne le regrette pas.

Marie-Luce Dayer

Luc Devillers
L’évangile de Jean
Mon ABC de la Bible
Paris, Cerf 2017, 176 p.

Voilà une synthèse très accessible de ce qu’il faut savoir pour entrer dans le quatrième évangile, par un spécialiste, professeur à l’Université de Fribourg. L’auteur ne fait pas un commentaire suivi de cet évangile, il nous donne l’essentiel pour le lire et l’aborde par six thèmes, comme Jean et le monde juif ou L’Esprit qui donne la vie.

Sous le thème Mon père et votre père, il montre comment on trouve en Jean des éléments qui, rassemblés, font un Notre Père caché. Jean ne dit pas « Notre Père » comme Matthieu - qui est devenu la version liturgique de la prière de Jésus - mais simplement « Père ». Cette adresse directe revient six fois en Jean 17. L’auteur met en face de « Que ta volonté soit faite » « Je suis descendu du ciel pour faire la volonté de Celui qui m’a envoyé » (Jn 6,38). Et Jésus demande trois fois au chapitre 17 de garder du Mauvais ceux que le Père lui a donnés, une demande qu’on peut mettre en face de « Délivre-nous du mal ». Ainsi la plupart des éléments de la prière dominicale de Matthieu ont un ou plusieurs parallèles en Jean.

Jean-Daniel Farine

 

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