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vendredi, 30 novembre 2018 15:57

Langage d’un Dieu de vie

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Sans eau, l’Homme ne peut vivre. Cette évidence habite la Bible du début à la fin, sous des formes imagées qui renvoient à la topologie particulière de la Terre sainte, mais qui rejoignent aussi chacun par cette expérience vitale, tant physique que spirituelle.

Jean-Bernard Livio organise fréquemment des voyages bibliques en Terre sainte et donne divers enseignements à partir de la Bible, en Suisse et à l’étranger. Il a été durant de nombreuses années membre du comité de rédaction de notre revue.

 

Dès son arrivée en Israël, le visiteur attentif ne manque pas d’être surpris par la variété impressionnante des paysages. À chaque pas, c’est un nouveau coloris, un décor surprenant. Quel pays de contrastes que cette Terre sainte ou terre d’Israël (Eretz Israel), comme la Bible désigne le plus souvent cette partie orientale du bassin méditerranéen!

Compris entre les grands plateaux du désert syrien à l’est et la mer à l’ouest, le pays est traversé par une brusque ligne de démarcation entre les régions de peuplement permanent et le désert. Ainsi le désert de Judée monte-t-il jusqu’aux portes de Jérusalem, alors qu’au sud d’immenses étendues cultivées s’avancent dans les régions désertiques du Néguev, habitées uniquement par les nomades et leurs troupeaux. Cette séparation toutefois reste mobile: souvent, pendant les années de pluies abondantes, les fermiers de ces régions cultivent des terres qui font partie du désert, qu’ils abandonnent ensuite lors des années de sécheresse en revenant bien en deçà des limites de la région cultivée.

Ce déplacement de la limite désert/moissons reflète l’éternel conflit entre le nomade et le paysan. Le premier a besoin d’une région relativement pluvieuse -surtout en été, quand la végétation du désert se dessèche- pour faire paître ses troupeaux de moutons, de chèvres et de chameaux. Il essaie naturellement d’agrandir son domaine en refoulant les paysans qui s’y sont installés, dévastant leurs domaines, coupant les arbres fruitiers qu’ils ont plantés. Quant au fermier, il cherche par son travail et son intelligence à étendre toujours plus ses cultures à ces zones marginales, en pratiquant l’assolement et l’irrigation. Quand un régime fort est au pouvoir, il freine les nomades récalcitrants, et le désert recule; quand ce régime s’affaiblit, le désert avance de nouveau. Quand les hommes font la guerre, ils n’ont plus le temps de s’occuper de leurs terres… D’où l’expression chère à Isaïe: «Le désert reverdira!» (Is 32,15; 35,1; etc.).

La source, signe de Dieu

Région de contrastes, la Terre sainte apparaît donc comme un pays où les structures géographiques dictent la vie des habitants: eau/désert, plaine/montagne, chemin/cité. Ce n’est pas un hasard si de telles structures -si profondément ancrées chez le Palestinien- se retrouvent comme constitutives de leur spiritualité. Dans ce pays, l’Homme va réaliser la plus extraordinaire expérience qui lui soit permis de vivre, celle de sa rencontre avec Dieu. Or une telle expérience ne peut se dire telle quelle; elle ne peut qu’être transposée, redite au travers des menus détails de la vie quotidienne. Le cadre dans lequel elle s’inscrit lui donne donc à tout jamais sa marque, son originalité, sa couleur.

Cette Terre sainte entourée de déserts ne serait pas cette «contrée plantureuse et vaste, où ruissellent le lait et le miel» (Ex 3,8) si elle n’était abondamment arrosée par de nombreuses sources, et tout spécialement par les eaux du Jourdain, au débit extraordinaire, jaillissant du pied du mont Hermon. Merveille naturelle que cette résurgence comparable à la Fontaine de Vaucluse! Prodige de la nature devant lequel l’Homme ne peut rester insensible: cette eau, indispensable à sa survie dans le désert, lui fournit la vie dans tout le pays. Par elle, la Bible l’affirme dans son langage imagé, c’est Dieu qui donne sa bénédiction, et l’Homme sait que chaque source, chaque puits, chaque point d’eau est un signe des merveilles divines, grâce auxquelles la prospérité peut s’étendre sur toute la terre et la joie envahir le cœur de l’Homme (Ps 104,1-15). Loin de Dieu, l’Homme n’est qu’une terre aride, c’est‑à‑dire sans eau, et donc vouée à la mort (Ps 143,6). Mais si Dieu est avec lui, il devient comme un jardin possédant la source même qui le fait vivre (Is 58,11). L’eau vive deviendra ainsi le symbole du bonheur sans fin des élus, conduits vers les plantureux pâturages par l’Agneau (Ap 7,17).

Mais l’eau sert aussi à nettoyer le corps de l’Homme. Il n’y a qu’un pas à faire pour passer de ce symbolisme de vie à celui de la purification. Ainsi Naaman, chef de guerre syrien, sera-t-il guéri (purifié) de sa lèpre dans les eaux du Jourdain (2 R 5). Ainsi l’eau du baptême fera rebondir cette notion de purification pour la «rémission des péchés» (Mt 3,11 et surtout Jn 9).

Un choix personnel

Or l’eau n’est pas toujours visible, il faut la chercher. Merveilleuse exégèse de la démarche spirituelle du croyant, qui sait Dieu présent mais qu’il lui faut continuellement chercher. Cette quête, remarquablement mise en scène par les huit chants du Cantique des Cantiques, illustre bien la tension amoureuse des amants qui se cherchent, symboles des croyants en désir d’un Dieu qui, jusqu’au fond du jardin d’Éden, vient rechercher sa créature (Gn 3).

Cette quête sera aussi celle de Moïse, qui frappe le rocher pour en faire jaillir l’eau. Et Jésus -qui sait si bien parler en paraboles- usera tout naturellement de ce symbole lors de sa rencontre avec la Samaritaine (Jn 4). Encore une rencontre décisive entre Dieu et l’Homme au bord d’un puits! À croire que toutes les alliances qui ont marqué l’histoire du peuple d’Israël nécessitaient ce cadre. Avec cette image de l’eau du puits captée par l’Homme pour qu’il puisse toujours y goûter, la Bible illustre la force d’une alliance qui tient, tout comme les mariages qui y sont conclus tiennent (cf. Isaac en Gn 24, Jacob en Gn 29, etc.).

N’est-ce pas surprenant alors que les symboles que le langage biblique dévoile pour illustrer la présence de Dieu dans nos vies soient tous neutres? En effet, si l’acte créateur nous est présenté comme positif («Dieu vit que cela était bon»), les éléments principaux de notre monde ne sont typés ni positivement ni négativement. La terre, le feu, le vent, l’eau sont tour à tour donneurs ou destructeurs de vie. C’est à l’homme d’en user pour en faire un paradis ou un enfer.

L’eau, en effet, peut tout détruire, semer destructions et mort, comme le rappellent le langage symbolique du Déluge (Gn 6-8) et nos cruelles réalités: tsunamis, inondations, avalanches… Ainsi en est-il encore des grandes étendues d’eau, pour lesquelles la Bible hébraïque ne connaît qu’un seul nom: la mer ! Si le récit de la création mentionne la mer dès les origines («Dieu dit: ‹Que toute l’eau qui est sous le ciel se rassemble au même endroit, et que le sol apparaisse!› Il en fut ainsi. Dieu appela le sol terre, et il appela l’eau, mer. Dieu vit que cela était bon»: Gn 1,9) et si le psalmiste en loue la grandeur (Ps 93 ; 104…), il n’en reste pas moins que le peuple de la Bible en a peur.

Du haut de ses collines de Samarie ou de Galilée, Israël regarde avec effroi vers l’Occident, où tous les soirs le soleil se fait engloutir par la mer qui ne le rend jamais (puisque le lendemain il se lèvera à l’Orient!). Est-ce pour avoir fait ce même constat avec les bateaux qui s’éloignent de la rive que l’Israélite n’est pas devenu pécheur (si ce n’est d’eaux douces !) contrairement à ses voisins méditerranéens? Pour lui, il est évident que la mer ne peut être vaincue que par Dieu, qui seul a le pouvoir de l’ouvrir pour y faire «passer» son peuple lors de la libération du pays d’Égypte (Ex 13). Image que reprendront les évangélistes qui font marcher Jésus sur la mer (de Galilée), comme signe annonciateur de sa divinité. Un effroi que traduit encore l’histoire de ce Jonas (plus légendaire que prophétique) envoyé à Ninive (autrement dit du côté où le soleil se lève!) pour annoncer le salut et la conversion, et qui fuit vers l’Occident (autrement dit par la mer), où il sera englouti par un monstre et d’où il ne ressortira qu’en priant le Seigneur Dieu: «Du ventre de la mort, j’appelle au secours, entends ma voix!»

De la mort à la Vie

Ces soifs que l’Homme ne peut étancher seul, ces sources dont la fraîcheur lui permettent de se remettre en route traversent de part en part la Bible, qui précise encore que c’est par l’eau (par exemple du baptême) que s’opère le passage (la Pâque) de la mort à la Vie. C’est l’eau qui va permettre à Jésus, tout spécialement dans le quatrième évangile, des noces de Cana à la Samaritaine, de se faire connaître de façon imagée comme le Sauveur et «fils du Dieu de Vie». «Qui boira l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau qui jaillira en vie éternelle» (Jn 4,14).

L’eau est le lieu où s’inscrit le miracle, aussi bien dans la piscine de Bethesda pour le paralytique (Jn 5) que dans celle de Siloé pour l’aveugle de naissance (Jn 9). Ces hommes cabossés par la vie se trouvent là où coule l’eau, et Jésus les prend de toute son empathie. Mais il leur demande de mettre aussi du leur: «Lève-toi!», «Vas te laver!». Ces impératifs ne peuvent venir que de Dieu, ils sont de l’ordre de la création. Et ils exigent la participation de l’Homme pour se faire résurrection. «L’aveugle y alla, se lava et à son retour il voyait!»

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