bandeau art philo
vendredi, 30 novembre 2018 12:05

Recensions n° 690

SCIENCES

Jim Al-Khalili (dir.)
Ce que la science sait du monde de demain
Lausanne, PPUR 2018, 336 p.

Ce livre, écrit par des scientifiques pour un vaste public, essaye d’imaginer comment sera notre vie en 2050 et plus tard encore. D’un style alerte et d’une langue libérée d’un vocabulaire et de formules trop spécialisés ou techniques, il se lit bien et entraîne le lecteur au-delà de ses connaissances déjà acquises, en stimulant son imagination. Il ne s’agit cependant pas de science-fiction, même si certains auteurs effleurent le domaine, ce qui est bien compréhensible dès lors que l’on parle de futur.

L’ouvrage est divisé en cinq chapitres, qui comportent chacun trois à quatre articles écrits par des scientifiques de différents domaines. Est d’abord traité l’avenir de notre planète (démographie, biosphère, changement climatique) et celui de l’humain (médecine, génomique, transhumanisme); puis «l’avenir en ligne» (internet, intelligence artificielle, cybersécurité); et enfin l’avenir proche et lointain (énergie, robotique, voyages interstellaires). Mais le livre frôle aussi l’apocalypse: que pourrait-il se passer si le futur ne correspondait pas à nos plans? Les perspectives ne sont pas réjouissantes…

Ce livre n’a pas l’ambition d’être un Nostradamus (post)moderne, il nous met juste en garde face aux conséquences probables et possibles de nos activités. La nature humaine est tellement riche et diverse que des événements imprévisibles se produisent très souvent. Nous pouvons néanmoins affirmer avec certitude que nos vies seront transformées par les avancées scientifiques et les innovations techniques. C’est déjà le cas.

Tout cela doit être suivi et débattu avec le plus grand soin. Nous ne nous pouvons plus nous permettre de nous lancer à corps perdu dans un avenir inconnu, sans bien explorer et peser les implications éthiques et pratiques de nos découvertes et de leurs applications. Le savoir scientifique n’est ni bon ni mauvais en soi: c’est notre usage qui l’est.

Last but no least, on se réjouit que sur les dix-huit articles du livre, sept soient écrits par des femmes scientifiques.

Stjepan Kusar

 

SOCIÉTÉ

Florence Hervé (texte) et
Thomas A. Schmidt (photos)
Femmes de l’eau
Genève, Slatkine 2018, 176 p.

«Au commencement était l’eau…» Cette eau primordiale à caractère féminin dans les mythes de la Création. Source de vie et d’énergie, elle se fait aussi aujourd’hui source de division, surtout quand elle vient à manquer: «Celui qui a accès à l’eau ou aux sources a le pouvoir.»

Dans le monde entier des femmes s’engagent pour sa protection, sa régularisation, contre les barrages ou sa privatisation… La vingtaine de femmes interviewées dans ce livre exercent une activité liée à l’eau en tant qu’ingénieure, environnementaliste, archéologue sous-marine, juriste, muséologue, urbaniste ou gondolière… L’eau inspire aussi la musicienne, la peintre, l’écrivaine, la sculptrice sur glace ou la directrice de théâtre flottant. D’autres font l’expérience de l’eau comme aventure, loisir ou défi: constructrice d’igloos, kayakiste, pêcheuse, superviseuse de thermes ou championne de natation.

Nous parcourons ainsi une dizaine de pays européens. Par les mots et les images, nous découvrons la pluralité du domaine aquatique: fleuves et rivières, lacs et canaux, écluses et marécages, cascades et glaciers, moulins à eau, gorges ou barrages…

Nous plongeons dans le sensuel, l’invisible, l’éphémère, l’action ou la méditation dans ce très beau livre de photos et de récits de femmes qui luttent pour « la valeur unique de l’eau pour la survie de la planète ».

Marie-Thérèse Bouchardy

 

Michel Maxime Egger
Écospiritualité. Réenchanter notre relation à la nature
et
Alexander Federau (dir.)
Les transitions énergétiques. Les fondements d’un monde nouveau
Genève / Saint-Julien-en-Genevois, Jouvence 2018, 128 p. et 124 p.

Face à la crise écologique actuelle, Michel Maxime Egger, sociologue, écothéologien et acteur engagé dans la vie civile, nous invite à la lucidité, au changement de paradigme et à relier les écologies intérieure et extérieure. En six chapitres (Relier écologie, sciences et religions; Réenchanter la nature; Redécouvrir la sacralité de la Terre; Être un pont entre terre et ciel; Transformer son cosmos intérieur; Devenir un méditant-militant), il nous propose d’éveiller notre conscience, de nous ouvrir à l’espérance pour une société écologique, juste et résiliente.

Dans le deuxième ouvrage, avec Dominique Bourg, Philippe Roch, Yvan Rytz et Sophie Swaton, Michel Maxime Egger part du constat que le développement durable n’est pas parvenu à stopper la croissance des émissions de gaz à effet de serre, ni à enrayer les pertes en biodiversité… «Le consumérisme vert, le découplage matériel, la croissance durable: des illusions créées pour légitimer un modèle économique et social qui nous mène directement à la catastrophe.» La transition écologique, expression apparue en 2015, est avant tout une démarche citoyenne, participative et locale. Les cinq chapitres agrandissent progressivement l’échelle de la transition. «On passe ainsi de la transition au niveau individuel, à celle des petites communautés, puis à l’économie et au social et enfin au niveau politique.»

La collection Concepts, dans laquelle s’insèrent ces livres, a pour ambition de donner des repères qui aident à l’action dans le quotidien. Retrouver du sens, se poser des questions. Citations, icones et textes sont structurés pour aller à l’essentiel. Dans l’urgence de la situation écologique, ces livres pratiques, à glisser dans la poche, peuvent nous accompagner plus longtemps qu’une simple lecture.

Marie-Thérèse Bouchardy

 

Joanna Macy et Chris Johnstone
L’espérance en mouvement
Genève, Labor et Fides 2018, 312 p.

Ce livre, publié aux États-Unis en 2012 par deux figures emblématiques de l’écopsychologie, nous remet une nouvelle fois face à la réalité: «Chaque jour, nous perdons des parties précieuses de notre biosphère, tandis que des espèces disparaissent et que des écosystèmes sont détruits. (…) Étant donné que l’extraction de l’eau douce se fait à un rythme plus rapide que son réapprovisionnement, les puits autour du village se dessèchent. (…) En raison de la surpêche, les stocks de nombreuses espèces autrefois communes (...) sont en forte baisse.» Ou encore: «plus de 630 millions de personnes vivent à moins de dix mètres au-dessus du niveau de la mer. Si les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental continuent à fondre, la montée des eaux inondera Londres, New York, Miami, Mumbai, Calcutta, Sidney, Shanghai, Jakarta, Tokyo, et bien d’autres métropoles.»

L’originalité de l’ouvrage n’est bien sûr pas dans ce rappel des faits, mais dans la solution proposée pour sortir de notre paralysie. Un des plus grands paradoxes de notre temps est que nous savons parfaitement ce que nous devrions faire, mais que nous ne le faisons pas.

Au bout du chemin, la désintégration de la société nous attend: «Confrontés à l’urgence planétaire, nous risquons de nous déchirer en factions qui se battent pour ce qui reste du monde que nous avons épuisé.» D’ores et déjà, «plus l’appétit de ressources d’un pays est grand, plus il est probable qu’il fasse la guerre, qu’il ordonne le saccage des forêts pour créer des mines à ciel ouvert et le forage des fonds océaniques pour en extraire le pétrole». Le cercle infernal est en route.

Toutes les images de la Terre prises du ciel, si fragile sur un fond d’immensité de l’univers inhabité et inhabitable, toutes les métaphores du Titanic, paquebot le plus moderne de son temps, fonçant sur l’iceberg mortel pendant que les passagers dansaient dans les salons prétendument insubmersibles, n’y font rien. «(…) Les problèmes du monde sont considérés comme lointains et sans rapport avec les drames de nos vies personnelles.» D’autres disent tout simplement: «Je préfère ne pas y penser.»

Englués dans nos soucis du quotidien, dans notre individualisme et notre immédiateté, nous développons une capacité de refoulement incroyable face aux mauvaises nouvelles qui nous assaillent. Pourtant notre société de consommation, où on trime pour ensuite s’oublier dans la promesse de loisirs réparateurs, ne nous rend pas heureux. La dépression a atteint des proportions épidémiques.

Pour casser notre carapace d’indifférence, les auteurs proposent d’accueillir en nous la souffrance de la Terre, de retrouver le lien physique et moral avec tout ce qui y vit: «se reconnaître soi-même comme faisant partie de la plus grande toile de la vie». Les citadins sont particulièrement susceptibles de perdre contact avec cette réalité biologique.

Le changement de cap exige une participation de masse, où chacun tient un rôle. «Je ne peux pas, mais nous le pouvons.» Voilà la signification de l’espérance en mouvement. «Lorsque nous vivons ainsi, l’ennui et le vide, si prédominants dans la société moderne, disparaissent tout simplement. (...) On considère habituellement l’idée de ‹renoncer› ou de ‹réduire› comme lugubre et menaçante. Pourtant (...) les pertes réelles viennent du consumérisme (...). Nous perdons les forêts, les poissons, les abeilles (…) Nous perdons la valeur de l’esprit communautaire et l’étoffe de ce qui donne sens à la vie.»

René Longet

 

BIBLE

Adriana Destro et Mauro Pesce
Le récit et l’écriture. Introduction à la lecture des évangiles
Genève, Labor et Fides 2016, 200 p.

Cette introduction à la lecture des évangiles s’attache à la réalité du récit et à celle de l’écriture dudit récit, deux réalités qui s’entrecroisent plutôt qu’elles ne se succèdent. L’angle pris pour l’analyse est nouveau : comment les informations sur Jésus se sont-elles transmises, par qui et où? Quelles transformations ont-elles subies et dans quels contextes?

Le propos s’appuie sur des études socio-anthropologiques de l’espace et sur le rôle que jouent les lieux de la transmission des informations sur Jésus. Ainsi chaque lieu géographique aurait réinterprété l’histoire de Jésus, et cela pendant des générations, tout en ayant chacun accès à des informations qui n’étaient que partielles. D’où plusieurs hypothèses des auteurs: il a y eu des conflits entre les diverses personnes qui transmettaient ces informations; beaucoup d’éléments se sont perdus sans nous parvenir; les débuts du christianisme ont été beaucoup plus foisonnants et hétéroclites qu’il n’y paraît…

S’attachant aux évangiles canoniques et apocryphes, les auteurs découvrent des groupes de disciples dans divers lieux. «Leur présence et leur distribution sur le territoire offrent une vision utile et réaliste des premiers pas du mouvement de Jésus postpascal.»

Les processus de transmission des informations sur Jésus ont souvent été sous-évalués, voire ignorés. La thèse des auteurs est que seule l’idée d’un «pluralisme du christianisme antique» restitue de façon plus nette la figure du Jésus historique ainsi que la diversité des informations transmises à son sujet.

Anne Deshusses-Raemy

 

ÉGLISE

Angela Pellicciari
Les papes et la franc-maçonnerie. Une opposition séculaire
Perpignan, Artège 2017, 408 p.

Traduction d’un livre paru en Italie en 2007, cet ouvrage a un grand mérite, mais appelle un complément. Le grand mérite est qu’il contient exactement ce que son titre annonce. Le lecteur y trouvera presque tous les textes pontificaux concernant la franc-maçonnerie, depuis la Bulle de Clément XII de 1738 (vingt ans après la première apparition officielle de la maçonnerie spéculative, au solstice d’été de 1718), jusqu’à la déclaration de 1983 du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi Joseph Ratzinger (le futur Benoît XVI). Le cardinal avait pris alors une position opposée à celle de son prédécesseur, le cardinal Seper, déclarant incompatible l’appartenance conjointe à la franc-maçonnerie (toutes obédiences confondues) et à l’Église catholique romaine.

Ces textes sont accompagnés de brefs commentaires qui permettent de les situer dans leur contexte immédiat. Ils sont augmentés de quelques documents issus de loges maçonniques (principalement du Grand-Orient). L’optique de l’auteure est celle indiquée par le sous-titre: une opposition. D’où le complément nécessaire: la distinction, faite par Mgr Thomas, évêque de Versailles, par Mgr Lustiger, archevêque de Paris, et par bien d’autres à la suite de l’interprétation de la doctrine catholique par le cardinal Seper, entre les loges qui militent contre l’Église et celles qui n’y sont pas hostiles, voire qui la regardent avec bienveillance. Plusieurs démarches officielles -la dernière en date est de 2018- ont été introduites dans ce sens auprès des instances vaticanes.

Étienne Perrot

 

Jacques Matthey
Vivre et partager l’Évangile. Mission et témoignage, un défi
Bière, Cabédita 2017, 96 p.

Très bien écrit, fluide, clair et avenant: de précieuses qualités pour ce voyage exégétique dans les Écritures proposé par Jacques Matthey, sur la barque de la mission. Au fil des évangiles, il propose de belles pages explicatives sur le sujet missionnaire, dans un phrasé limpide qui porte à la méditation et/ou au désir d’approfondir le texte. On aurait juste pu avoir un répertoire des citations bibliques à la fin de l’ouvrage, afin de pouvoir lire uniquement leur interprétation par l’auteur. Comme dit le proverbe, ce qui est compris clairement s’énonce clairement! Et c’est le cas ici! À mettre entre toutes les mains.

Thierry Schelling

 

PORTRAIT

Jean Corminboeuf
Pierre de Ceresole. Le dernier saint vaudois?
T1, Jongny, A-Eurysthée 2017, 208 p.

Le préfacier Alain Clavien rencontra incidemment à la Bibliothèque de Dorigny l’auteur de ce livre, plongé dans des correspondances d’écrivains. Des échanges s’en suivirent. L’auteur passa des jours à dépouiller la vingtaine d’écrits publiés du vivant de Pierre Ceresole (1879-1945), dernier saint vaudois (du canton de Vaud et non de la communauté des Vaudois du Piémont), deux livres posthumes, des études diverses faites sur lui et une partie des 54 cartons contenant le Fonds Pierre Ceresole.

Cet essai, dit Jean Corminboeuf, n’est pas une biographie mais une tentative de faire connaître cet homme hors du commun que la guerre de 14-18 avait horrifié et qui a fondé le Service civil international. Il y a dans l’Église, disait-il (il était croyant), deux mensonges dont il faut se débarrasser à n’importe quel prix et par n’importe quel moyen : le mensonge du chrétien riche et celui du chrétien militaire.

Né dans la bonne bourgeoisie, avec un père avocat fédéral et des frères brillants -professeur à l’EPFZ, juge cantonal, colonel, médecin- Pierre Ceresole sera lui-même nommé à un poste à l’EPFZ, qu’il n’occupera pas pour mieux se consacrer à soutenir des opinions non-conformistes et minoritaires. Il donnera son héritage au Conseil fédéral, qui l’utilisera pour des actions humanitaires.

Entre 19 et 22 ans, le jeune homme soumet le catholicisme et le protestantisme à sa raison et se distancie des dogmes. Le plus méchant tour que le Diable ait joué à l’humanité est celui des mots... On s’est brûlé, écartelé, massacré pour des questions de vocabulaire et de grammaire! À 25 ans, il décide de faire quelque chose pour les autres. La religion le pousse vers l’idéal, même s’il traverse des moments de grande solitude, parfois même une sorte de chaos. À 30 ans, il dit non à une carrière à l’EPFZ, visite les États-Unis où il travaille comme ouvrier, valet de ferme, manœuvre et mécanicien. Son voyage se poursuit à Hawaï où il enseigne le français. Puis c’est le Japon, où il travaille en mécanique et se sent attiré par la pensée bouddhiste.

En 1914 il revient en Suisse. Dans son livre Vivre sa vérité, il s’exprime beaucoup sur la guerre et le colonialisme. Ceresole a un réel talent littéraire, et son éloquence, son sens de l’argumentation sont grands. Hélène Monastier, qui l’a bien connu, offre dans ce premier tome une analyse du texte Religion et Patriotisme. À suivre.

Marie-Luce Dayer

 

RELIGIONS

Jacques Légeret
L’énigme amish. Vivre au XXIe siècle comme au XVIIe
Genève, Labor et Fides 2017, 304 p.

Quand on nous parle des amish, des images surgissent: carrioles tirées par des chevaux, coiffes blanches pour les femmes… et des quilts de toute beauté. «La culture amish ne dispense aucun discours, aucun enseignement écrit ou oral.» Aussi ce livre est-il précieux. Journaliste indépendant qui vit à Paudex (VD), l'auteur se fait le témoin privilégié de cette «contre-culture, en opposition quotidienne avec la culture technologique individualiste américaine».

Cet ouvrage porte uniquement sur les amish du Vieil Ordre, en Pennsylvanie et en Indiana. Après un rappel historique (fondation du mouvement anabaptiste en 1525, persécutions à Zurich et à Berne au XVIe siècle, schisme amish en 1693 et migration de ses adeptes aux États-Unis à partir de 1817), il nous plonge dans leur vie.

Depuis l’origine, les amish s’opposent à une Église étatique et préconisent le modèle de l’Église primitive, avec un refus d’une hiérarchie au sein de leur Église et de son intervention dans les affaires de l’État. Pour maintenir une frontière claire et solide qui maintient l’unité et préserve la pureté de l’Église, ils se séparent de ce qui est «mondain», en affichant leur différence d’avec le monde : habillement, école, langue, culture, usage de la technologie.

Les spéculations théologiques leur sont totalement étrangères. Aux débats stériles, ils préfèrent le silence. «La plupart des règles de la tradition (parfois rigide) ont été fixées pour être en accord avec la Bible ou la compréhension que la communauté a de la Bible», dans une lecture particulièrement «littérale et sélective». Le travail de la terre et l’artisanat leur permettent de «vivre près de la nature, en famille et (de) garder le contrôle sur toute chose».

Dans ce monde clos sur lui-même, les valeurs amish de solidarité, de modestie, d’humilité, de dévotion et d’obéissance à la communauté posent question à la société occidentale. «Ils sont devenus, nous dit l’auteur, la conscience du monde américanisé, parce que, face à tout progrès technologique, ils se posent les bonnes questions, alors que nous l’acceptons aveuglement.»

C’est dans ce cadre que l’auteur et sa femme, témoins et acteurs d’une profonde reconnaissance mutuelle dans une humanité partagée, ont reçu le soutien moral de leurs amis amish envers leur fils polyhandicapé dont ils s’occupent à plein temps. Donner et recevoir … trente ans d’une expérience de vie, lors d’une cinquantaine de séjours au pays amish!

Marie-Thérèse Bouchardy

 

PHILOSOPHIE

Frédéric Lenoir
Le miracle Spinoza. Une philosophie pour éclairer notre vie
Paris, Fayard 2017, 234 p.

Peut-être êtes-vous de ceux que la lecture difficile de Spinoza rebute. Mais peut-on passer à côté de sa philosophie? Frédéric Lenoir éclaire sa pensée tant et si bien que nous entrons en résonnance avec ce «révolutionnaire politique et religieux», ce «maître de sagesse».

Banni de la communauté juive d’Amsterdam à 28 ans pour hérésie, Spinoza n’a de cesse de nous conduire, en liberté, hors des superstitions, du conformisme, de l’intolérance, des obscurantismes… En plein XVIIe siècle, en avance sur son temps, il a le courage d’aller à contresens, par la raison, dans le respect de l’autre et la cohérence de sa pensée, pour rechercher la vérité. Ce qui en fait un pionnier de la lecture historique et critique de la Bible, un précurseur des Lumières et l’inventeur d’une philosophie fondée sur le désir et la joie. «L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie» (Éthique IV, 67). Sa philosophie est un chemin de vie «dans la tranquillité joyeuse et la gaîté» (lettre 21), qui aboutit à la joie et à la béatitude à travers les blessures et les souffrances inlassablement sublimées.

Spinoza bouleverse notre conception de Dieu. À nous de nous laisser interroger par son ouverture d’esprit, loin de tout clivage (spirituel/matériel, créateur/création, homme/nature, esprit/corps, métaphysique/éthique). Ou même éblouir par cette grande leçon de vie qui ouvre à d’autres livres, comme celui d’Irvin Yalom (Le problème Spinoza, 2012, Paris, Poche, 552 p.) … et pourquoi pas aux écrits de Spinoza lui-même.

Marie-Thérèse Bouchardy

 

SPIRITUALITÉ

Marie-Laure Chopin
Un cœur sans rempart
Genève, Labor et Fides, 2018, 104 p.

Dans l’avant-propos, il nous est rappelé que si le Christ nous parle souvent en paraboles, c’est pour nous prendre sur le vif et nous inviter à boire l’eau vive de la Parole. L’auteure, elle, nous propose dès le premier chapitre de laisser ouverte la porte de notre chambre spirituelle et d’avancer, déchaussés, vers le lieu du silence. Là, nous serons les bienvenus, avec nos bribes de commencements, nos presque riens et même la tête un peu ailleurs.

Offrons-nous, dit-elle, soyons simples... enfin! Car dans le silence, Dieu parle notre langue. Offrons-lui nos jardins et nos terrains vagues, ces lieux qui nous effraient. Laissons-le faire et disons «me voici». Laissons-nous apprivoiser par sa Présence, cessons de réclamer des comptes à la vie, acceptons-la telle qu’elle se donne. Parfois dans le silence surgissent des dragons: culpabilités, chagrins, colères, regrets... Sa Présence sera force. Notre travail, dit-elle, c’est de nous donner à rencontrer Dieu et lui nous emmène où il veut.

Les textes proposés dans ce livre n’utilisent pas le langage religieux habituel, ils nous offrent un regard spirituel.

Marie-Luce Dayer

 

René Lenoir
Le chant du monde est là
Paris, Albin Michel 2017, 138 p.

Le titre pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une énième poésie spirituelle glorifiant la communion avec la Nature et le Cosmos. Ce n’est pas que cela, c’est aussi une relecture spirituelle d’une vie vécue dans les bouleversements politiques que la France a connus au long du XXe siècle.

Né en Algérie, haut fonctionnaire français ayant traversé les violences de la décolonisation, notamment au Maroc et au Vietnam, et ayant vécu avec la ministre de la Santé Simone Weil les soubresauts politiques français à l’époque du président de Gaulle, René Lenoir ne se glorifie pas de ses relations. En poste de responsabilité politique, sensible aux plus démunis, il a fait adopter de nouvelles lois françaises sur le handicap et a orienté l’École nationale d’administration vers des horizons moins technocratiques. Le plus intéressant de cet ouvrage reste l’expérience spirituelle qu’elle laisse entrevoir.

Servis par une écriture d’une tendre finesse, nourris d’une large culture littéraire et religieuse, transparaissent un rapport au monde harmonieux et des gestes simples pleins d’humanité. À la différence de nombreuses méditations naturalistes, l’auteur affronte de plain-pied la bêtise de certains politiciens, le mal sans phrase, voire le sadisme que les êtres humains partagent avec quelques animaux.

René Lenoir peut ainsi assumer les limites de toute intelligence. Il ne confond pas le Dieu abstrait des théologies religieuses ou des traditions philosophiques avec le surnaturel qui se révèle dans la profondeur de son expérience personnelle. Le lecteur ressent que la vie intérieure de l’auteur est profondément vécue.

Étienne Perrot

 

Eric Fuchs
Entre insouciance et responsabilité. Quel sens donner à sa vie
Bière/Divonne-les-Bains, Cabédita 2017, 96 p.

L’Évangile nous invite à vivre «de cette étrange combinaison entre insouciance et responsabilité», affirmation contradictoire dont la Bible est coutumière. Ce «nœud de sens» est à examiner à la lumière du lien qui nous unit au Christ, pour vivre «comme, avec, pour et en Christ»: imitation, compagnonnage, service et communion.

Quelle place l’insouciance et la responsabilité tiennent-elles dans nos vies? Qu’est-ce qui donne à la vie sa qualité et son sens? L’insouciance (Mt 16,25-34), qui n’a rien de commun avec l’indifférence, et la responsabilité sont des occasions de déployer notre liberté (Qoheleth, Job, Psaumes). L’insouciance fait appel à la gratuité, à la confiance en l’amour de Dieu avec comme ligne d’horizon l’espérance. Être libéré du souci de soi, pour être plus disponible pour autrui. Elle n’est pas une vertu, fruit de nos efforts, de notre volonté, mais un cadeau qui allège notre route. «Inutile utilité» («Il sait bien, votre Père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses»), en lien avec la responsabilité («Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu»), «l’insouciance n’est pas le contraire de la responsabilité, elle en est l’allègement».

Ce livre est comme un testament spirituel d’un théologien qui a voué sa vie à l’étude de la Bible et à l’éthique. Il nous dit qu’il lui a fallu du temps pour comprendre que «la grâce de Dieu, avant d’être un pardon, est une nouvelle conscience de qui nous sommes pour Dieu, une nouvelle compréhension de qui est Dieu». Dans l’intervalle entre insouciance et responsabilité, l’Évangile nous invite à la liberté. Il nous faut bien une vie pour «recevoir du silence la Parole, du repos l’espérance, de l’insouciance l’amour». C’est une voie vers la lumière et la liberté sur laquelle nous sommes tous appelés: 90 pages de bonheur !

Marie-Thérèse Bouchardy

Lu 431 fois

Nos revues trimestrielles