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mercredi, 06 septembre 2017 11:55

Syrie, les derniers remparts du patrimoine

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mosquee pierresLa destruction en 2015-16 de la cité antique de Palmyre tombée entre les mains de Daesh fait partie de ces terribles images de la guerre en Syrie qui ont marqué les esprits. Celles de sa libération par les troupes russes au printemps dernier et du récital qui s’en est suivi le 5 mai par l’Orchestre symphonique de Saint-Pétersbourg, sur les lieux mêmes où des prisonniers de Daesh avaient été égorgés peu de temps auparavant (devant des caméras bien sûr), n’ont pas moins dérangé. La guerre des images est plus que jamais prépondérante lors des conflits.

Un film retrace cette histoire, ainsi que celles d’autres destructions en Syrie et Irak par les forces barbares : Grande mosquée d’Alep, Krak des chevaliers du jabal Ansarya, taureaux ailés de l’Empire assyrien de la province de Ninive, bibliothèque de Moussoul… Syrie, les derniers remparts du patrimoine, du réalisateur français Jean-Luc Raynaud, a été présenté en première mondiale à Genève, mardi 5 septembre, aux Cinémas du Grütli, par le Beirut Art Film Festival (BAFF), en collaboration avec l’Institut des cultures arabes et méditerranéennes (ICAM) de Genève. Une projection qui a ému l’assistance et qui soulève bien des questions...

Incontournable politisation
Car le réalisateur ne s’est pas arrêté là. Son film martèle que le gouvernement syrien est le premier responsable de la destruction du patrimoine national du pays. Si les fondatrices du BAFF, présentes lors de la projection, ont insisté sur l’apolitisme de leur association, le film présenté, par contre, propose un clair parti pris contre le gouvernement de Bachar el-Assad, frôlant par moment les travers du film de propagande. Car il fait malheureusement l’impasse sur les destructions commises par les forces de la Coalition internationale et dit très peu - ou les tourne en ridicule - des efforts entrepris par le gouvernement syrien pour sauvegarder les vestiges archéologiques de son pays et les œuvres des musées. Plus dérangeant, Jean-Luc Raynaud laisse la part belle aux défenseurs de la politique française en Syrie. Ainsi Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris et surtout ancien conseiller des Affaires étrangères françaises (de 1988 à 2006) en Jordanie, en Syrie, en Tunisie, ainsi qu’aux États-Unis, livre constamment son point de vue dans le film.
Syrie, les derniers remparts du patrimoine est aussi une charge marquée contre l’UNESCO, accusée de ne pas dénoncer les exactions du gouvernement contre le patrimoine archéologique syrien et de rester inactive. On y voit sa directrice Irina Bokova avouer simplement l’impuissance de l’institution onusienne à travailler dans des zones de conflits. Cette politisation du sujet explique les réactions courroucées de certains spectateurs à la fin de la projection à Genève, où une forte communauté de Syriens a trouvé refuge.

Des civils héroïques
Reste que ce film mérite d’être visionné. Car au-delà de la recherche de responsables, émergent les cris déchirants des Syriens et des Irakiens face à la destruction de leur mémoire et de leur identité. Et leur appel au secours lancé à la communauté internationale pour le sauvetage de leur patrimoine. On y découvre l’engagement impressionnant de citoyens qui n’hésitent pas à prendre de grands risques pour mettre à l’abri des vestiges culturels, sans prix à leurs yeux. Comme ce petit groupe de Syriens d’Alep, érigeant d’arrache-pied des murs devant certains pans de leur Grande mosquée pour les sauver du feu et des tirs des combattants, bravant les snipers et transportant sur leur dos, à pied, les pierres nécessaires. Ils ont aussi démantelé le minbar (la chaire de l’imam) du XVIe siècle pour le mettre à l’abri, en vue, disent-ils, de sa future réintégration dans la mosquée. Où se trouve le minbar aujourd’hui ? Le film ne le dit pas, mais selon toute probabilité en Turquie.
On retrouve aussi en Irak l’admirable Père dominicain Michaeel Najeeb qui, avec quelques autres, s’est lancé dans le sauvetage physique des livres et manuscrits inestimables -datant du XIIIe au XIXe siècle- de la bibliothèque du couvent de Mossoul. L’arrivée des troupes de l’État islamique (EI) en 2014 aux portes de cette deuxième ville irakienne assurait la destruction programmée de ces documents d’archives; la petite équipe de sauveteurs en a alors transportés un bon nombre de nuit, en camion, au milieu de la population qui fuyait l’arrivée de l’EI, jusqu’à Ebril, où les documents sont à présent patiemment scannés, page après page, en vue de leur conservation.

patrimoine SyrieSyrie, les derniers remparts du patrimoine, on l’aura compris, soulève en toile de fond l’épineuse question du «comment conserver le patrimoine archéologique d’un pays en guerre ou sans ressources». À partir de quand parle-t-on de pillage ? et à partir de quand de sauvetage? Que faire contre le trafic d’art et de biens archéologiques (sur lequel le film fait encore l’impasse)? Certaines pièces de haute valeur sont abritées au Musée du Louvre, à Paris, vestiges du temps où la Syrie et le Liban étaient administrés par la France. Un fait béni aujourd’hui par des populations en mal de leur identité, mais ressenti par le passé comme une spoliation du patrimoine national.

À lire encore à ce sujet notre article Archives des sables. De Palmyre à Neuchâtel.

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