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mercredi, 13 septembre 2017 14:27

"South Park" moins vrai que nature

SouthPark2Nouvelle saison de South Park dès ce soir 13 septembre. A vos postes!Il existe aujourd’hui de nombreux dessins animés destinés avant tout aux adultes. La télévision américaine est particulièrement généreuse dans ce domaine. Elle a notamment produit les fameux Simpson et South Park, des séries qui jonglent entre le sérieux, l’inoffensif et l’absurde, mais qui sont définitivement irrévérencieuses. Aucun sujet ne semble être hors limite. Et ce qui serait certainement censuré dans un autre programme semble acceptable dans le cadre d’un dessin animé, quitte à verser parfois clairement dans la vulgarité et le politiquement incorrect. C’est un aspect tout à fait assumé par les créateurs.

Chaque épisode de South Park est, par exemple, précédé de l’avertissement: «Tous les personnages et les évènements de ce dessin animé, même ceux basés sur des faits réels, sont totalement fictifs. Les voix des personnes célèbres que vous pourriez entendre sont des imitations (pitoyables). Les dialogues de ce programme sont d'une parfaite vulgarité et, pour cette raison, ils devraient être interdits à tout public.» Mais on pardonne la vulgarité à une série qui propose une critique mordante et juste de notre société.

SouthPark Obama

Il faut en général plusieurs mois pour réaliser un épisode de dessin animé. Pourtant, il suffit de cinq jours pour produire un épisode de la série South Park. Cela permet a ses créateurs, Trey Parker et Matt Stone, de réagir à court terme à l’actualité nationale et internationale. L’épisode «A propos d’hier soir…», par exemple, diffusé le lendemain de l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis, intégrait non seulement la victoire du premier président nord-américain noir, mais allait jusqu’à retranscrire les discours des candidats. Cet épisode était l’occasion de se moquer tant des républicains que des démocrates: des perdants pathétiques criant à l’apocalypse, et des gagnants bien peu gracieux, ivres de litres d’alcool et de leur sentiment de supériorité. Salué par les fans comme par la critique, cet épisode est un bel exemple du potentiel parodique des dessins animés.

Au cœur de l'actualité
Mais c’est surtout dans sa dernière saison que la série a suivi de près l’actualité politique américaine, plus précisément la course à la Maison Blanche opposant Hillary Clinton et Donald Trump. C’est à un personnage récurrent, Mr. Garrison, que revient l’honneur de représenter Mr. Trump. Mr. Garrison est déjà en lui-même un personnage plus grand que nature, bien difficile à décrire en quelques mots. On se contentera de mentionner qu’il s’agit de l’un des personnages les plus vulgaires et outranciers de la série, ce qui n’est pas peu dire. D’épisode en épisode, et suivant l’évolution réelle du candidat républicain, Mr. Garrison poursuit son ascension improbable vers la présidence des États-Unis. Mr. Garrison ne souhaite pas vraiment devenir président, et fait tout ce qu’il peut pour saboter sa propre campagne -ce qui donne une explication bien rationnelle à des agissements apparemment erratiques- mais la saison et la campagne finissent par la victoire de Trump-Garrison.

Moins loufoque que nature
Comme la plupart des gens, les créateurs de South Park avaient parié sur une victoire de Clinton, et cela se sent. Le dernier épisode manque de cohérence et peine à convaincre. Alors que Parker et Stone avaient réussi leur commentaire de l’élection de 2008, leur parodie de l’élection de 2016, longue d’une saison entière, tombe à plat.

Southpark TrumpCela ne tient pas seulement à la surprise qu’a représenté l’élection de Trump, mais surtout à la nature même de la parodie et de la caricature. Il est dans leur essence de forcer le trait, d’accentuer les défauts, d’exagérer pour mettre en lumière. En général, ces outils sont particulièrement efficaces contre les hommes et femmes politiques, qui contrôlent autant que possible leur image. Mais Trump, lui, se complait dans l’outrance et le non-sens. Mis à part dans la vulgarité pure, Garrison n’est pas de taille contre Trump, et si l’un devait être la parodie de l’autre, c’est certainement Trump qui serait une caricature de Garrison plutôt que le contraire.

 En 2015 déjà, The Economist affirmait l’impossibilité de parodier Trump, se demandant «comment se moquer d’une personne qui est déjà une caricature vivante d’elle-même»? Comment parodier le besoin de reconnaissance, l’ego démesuré, l’indifférence pour la vérité du président des États-Unis? Si on nous avait montré les conférences de presse de Trump il y a quelques années, nous aurions rejeté ces performances comme de piètres satyres, aux traits trop forcés pour convaincre. Comme l’exprime Stéphanie Casella: «À un certain point, la parodie et la caricature ne sont plus des méthodes efficaces pour faire rire» .

On se demandait comment Parker et Stone aborderaient le problème dans la nouvelle saison de South Park, qui sera diffusée dès ce 13 septembre 2017. Les scénaristes ont récemment révélé qu’ils ne poursuivraient tout simplement pas leur parodie de Trump. «La satire est devenue la réalité», note Parker dans un entretien, ajoutant que les péripéties de Trump à la Maison Blanche étaient bien plus ridicules que tout ce qu’ils auraient pu imaginer. South Park se recentrera donc sur les aventures de ses personnages habituels, en s’éloignant du commentaire politique d’actualité. C’est certainement la meilleure décision pour la série elle-même. Reste qu’il est troublant de constater que nous avons atteint les limites de la parodie et de la caricature.

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