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jeudi, 14 mars 2019 17:46

Bébés sur mesure

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BébésC’est à un documentaire choc -comme à son habitude- que nous a convié ce 13 mars le Festival du film sur les droits humains (FIFDH). Bébés sur mesure, de Thierry Robert, nous entraîne dans la courte, et néanmoins mouvementée, histoire des techniques de procréations médicalement assistées. Le réalisateur a mené son enquête en Europe, aux États-Unis et en Inde. Il met le doigt sur la question de l’eugénisme et sur les utopies de contrôle et de perfection qui accompagnent cette promesse scientifique: il sera un jour possible de mettre au monde des bébés parfaitement «sains».

Bien de l’eau a coulé entre la naissance en Angleterre, le 25 juillet 1978, de Louise Brown, premier bébé éprouvette, et celle des deux petites jumelles chinoises, nées l’automne passé, conçues par fécondation in vitro après modification de leur génome. (Voir à ce sujet Le tollé des bébés génétiquement modifiés). Ces dernières ne sont pas évoquées dans Bébés sur mesure, car le reportage date de 2017; par contre le procédé utilisé pour ce faire par le scientifique He Jiankui y est bien présenté.

Un marché juteux

Si la fécondation in vitro (FIV) avait créé en son temps un vrai questionnement éthique, sa pratique est devenue extrêmement répandue et même banalisée. Près de 1,5 million de cycles de FIV sont effectués dans le monde chaque année. Avec un marché qui ne cesse de croître, le «retour sur investissement» paraît assuré. Les sites de tourisme médical de FIV se multiplient d’ailleurs sur le net. On y apprend, par exemple, que le coût approximatif d’un traitement de FIV aux États-Unis tourne autour des 20’000 dollars par cycle, alors qu’il n’est que de 3000 en Inde.

Un autre marché en plein boom, car certes ancien mais toujours lucratif, est celui de l’insémination artificielle. La plus grande banque de sperme au monde, Cryos, se trouve au Danemark et dispose d’un catalogue en ligne impressionnant, avec photo des donneurs et moult autres détails (voir la vidéo promotionnelle de l'entreprise ci-dessous). Les gens cherchent des donneurs qui leur ressemblent, qui partagent le même profil ethnique et culturel, explique dans le reportage un médecin interrogé. Comme sur les sites de rencontres, l’acheteur peut sélectionner ses favoris selon des critères qui lui sont propres. Le prix qu’il aura à payer variera de 40 à 1000 euros selon la qualité des informations fournies par le donneur qu’il aura sélectionné: plus elle est bonne, plus ce sera cher, le meilleur marché équivalent au sperme d’un donneur anonyme. La marchandise est ensuite livrée à domicile sous la forme d’un kit d’usage aisé. Ce système, très couru, permet de contourner les barrières légales nationales. En Suisse, par exemple, le don de sperme reste anonyme.

 

Mais on ne trouve pas que du sperme sur le marché de la reproduction. Il y a 29 ans, la première banque d’ovocyte a vu le jour aux États-Unis. Depuis, le marché des ovules est devenu un secteur florissant. Les donneuses, aux États-Unis, voient leur éprouvant parcours médical plutôt bien reconnu et rémunéré. Selon les dires de l’une d’elles interrogée dans le documentaire, elles peuvent gagner 20’000 dollars par don. Un autre marché est celui des ventres à louer. La gestation pour autrui (GPA) est, bien évidemment, aussi présentée dans le film, avec un focus sur l’Inde.

Toutes ces techniques tournent autour d’un système d’échange de services, traduit par la plupart des intervenant en termes de gagnant-gagnant et que l’on pourrait ainsi résumer: «Je suis en bonne santé et je peux enfanter, mais j’ai besoin d’argent (les femmes interviewées, que cela soit en Inde ou aux États-Unis évoquent volontiers leur espoir d’offrir une meilleure éducation et une vie plus confortable à leurs propres enfants); vous, de votre côté, avez des problèmes physiques qui vous empêchent de mettre au monde des enfants, mais vous avez de l’argent: nous nous soutenons ainsi mutuellement.» Les termes traite des humains ne sont par contre, évidemment, jamais prononcés par les personnes impliquées.

Du don au droit

Ce marché de la procréation médicalement assistée et la recherche scientifique qui le nourrit posent de complexes questions éthiques, autour notamment de l’eugénisme «positif» qui peut le sous-tendre. Le désir d’enfant fait partie de l’humanité, mais que penser du fait que l’enfant ne soit plus conçu comme un don, mais comme un droit que les progrès scientifiques permettent d’appliquer? Le don induit, pour celui qui le reçoit, l’acceptation du non maîtrisable. On prend l’enfant qui vient. Le droit, par contre, est basé sur le contrat, et s’accompagne donc de clauses exigeantes. C’est le deuxième thème du documentaire, le volet qui fait le plus froid dans le dos.

bébés2Image de "Bébés sur mesure", de Thierry RobertAprès avoir eu deux fils, un couple de parents devenu infertile décide d’avoir recours à une donneuse d’ovocyte sur le web pour mettre au monde, avec certitude, une fille cette fois. Face à la caméra, la femme explique comment, grâce au web, elle peut acheter un frigo, une voiture ou un ovocyte sur mesure… Au vu du prix demandé, autant s’assurer que l’enfant aura les yeux bleus.

Sexe, couleur des yeux, de la peau, intelligence… Tous les fantasmes sont permis, et exploités par les banques de spermes ou d’ovocytes. On se souvient de la Banque des génies créée en 1980 en Californie par Robert Klark Graham et fermée en 1999 après sa mort. Elle ne proposait que du sperme de donneurs de plus de 130 de QI (parmi eux, trois prix Nobel), histoire que les futurs parents puissent concevoir des génies. Le but affiché par l’homme d’affaires était l’amélioration génétique de la population humaine. Mettre au monde des surdoués améliorerait, selon lui, l’intelligence de la population sur le long terme. Les femmes qui mettraient au monde de tels enfants, sains et intelligents, feraient un cadeau à l’humanité.

Des recherches tous azimuts

Les progrès de la science confortent ces fantasmes eugénistes. «Si vous voulez un bébé, allez chez un professionnel et vous aurez un bébé en bonne santé», lance en début de film un chercheur américain. Il est loin le temps de la FIV à papa, où les médecins prenaient le risque d’insérer chez une femme des embryons en mauvaise santé. Des techniques bien plus pointues se bousculent aujourd’hui au portillon. Bébés sur mesure nous entraîne à la découverte d’un laboratoire à Lyon qui travaille à la création de spermatozoïdes humains, et d’un autre qui cherche à redonner la jeunesse à des vieux ovules pour que la femme puisse retrouver sa fertilité, même après la ménopause! On pénètre encore dans une clinique espagnole spécialisée dans le Preimplantation Genetic Screening (PGS): l’objectif est d’éliminer avant l’implantation tous les embryons présentant des anomalies chromosomiques. D’autres tentent même de modifier les gènes des ovocytes pour éliminer les risques de développer certaines maladies. Depuis 2015, l’Angleterre autorise, dans le cas de patrimoine génétique porteurs de maladies précises, les bébés dits à trois parents: l’ADN d’un donneur est ajouté à l’ovocyte de la mère biologique. Enfin, on a beaucoup parlé ces derniers temps des «ciseaux à ADN», une technique qui vise à neutraliser une gêne néfaste et dont les deux jumelles mentionnées en début d’article ont bénéficié.

Du fantasme au réel

Toutes ces nouveautés ont ceci en commun: elles demandent la mise en place de nouveaux cadres législatifs. Or le questionnement politique, philosophique et éthique est constamment dépassé, à la fois par les progrès de la science et à la fois par la banalisation de ceux-ci auprès du public. (Lire à ce propos l'interview de Daniela Cerqui, anthropologue, enseignante à l’Université de Lausanne.)

Et me voilà en train d’imaginer de sombres scénarios dystopiques, bâtis sur des sociétés où tout particularisme non prévu serait mal venu, où seule serait recherchée une homogénéisation à visée productiviste. Ainsi celles qui n’accepteraient pas de livrer leurs ovocytes aux modifications souhaitables se retrouveraient sur le banc des accusées pour avoir mis au monde des bébés «malsains», et condamnées à payer de lourdes amendes selon le «principe du pollueur payeur».

Fort heureusement, le débat qui a suivi la projection du film, avec Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue Médicale Suisse, et Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs, a permis de remettre les pendules à l’heure. Le premier a souligné que la complexité de l’être humain nous met encore à l’abri pour un temps de manipulations génétiques à visée eugénistes. Notre nature biologique est encore loin d’avoir livré tous ses secrets. Ainsi de l’existence de l’intelligence, que l’on n’a pas réussi à mettre en éprouvette. «Le génome ne sera probablement jamais maîtrisé… La perfection n’a rien avoir avec la biologie. Elle est de l’ordre de l’idéologie.» Le spectre de l’uniformisation s’éloigne… Comme l’a souligné Marc Atallah, nous restons et resterons encore des êtres de chair et d’esprit, imparfaits, fragiles, mais toujours singuliers. Et nous devons nous préparer à affronter notre finitude.

Bébés sur mesure (90’)
Réalisateur : Thierry Robert
Scientifilms, ARTE France

Disponible à l'achat à la boutique Arte

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