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vendredi, 19 novembre 2021 09:00

Sauvegarder notre planète à la suite des autochtones

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Meg expAutochtones2021 22 sculptureTs msyenIndignez-vous! La nouvelle exposition du Musée d'ethnographie de Genève (MEG) pourrait reprendre sans rougir le titre du célèbre ouvrage de Stéphane Hessel. Injustice environnementale - Alternative autochtones donne la parole aux peuples autochtones qui, dans le monde, font preuve d'un savoir-être et d'un savoir-faire remarquables pour faire face aux dégradations de leurs territoires, accélérées par les changements climatiques.

Ainsi, des artistes issus de peuples autochtones du monde entier font montre de leurs talents pour défendre les droits des leurs et témoigner de l’urgence climatique qui les frappe de plein fouet. Un appel, un cri, des voix qui s’élèvent dans la Cité de Calvin pour clamer l’injustice. Une fois encore. Cela fait cent ans que les peuples autochtones viennent à Genève défendre leurs droits en tant que Nations, notamment celui de disposer de leurs terres et de leurs ressources (1). Le MEG se fait leur porte-voix par la présentation de leurs cultures et de leurs approches de l'écologie intégrale.

Meg expAutochtones2021 22 sactisséTs msyenCette exposition hors norme affiche un caractère politico-poétique, un ton revendico-rassembleur et esquisse une voie porteuse d’espoir. Les objets présentés, créés dans le respect d’une culture et d’une nature indissociables, mélangent art et artisanat dans ce que les deux disciplines ont de meilleur, et permettent d’appréhender avec force les problématiques identitaires et climatiques. L’exposition ouvre sur une présentation -sous forme de carte interactive- de la situation actuelle des peuples autochtones qui, selon l’UNESCO, occupent 22% des terres de la planète. Estimés à quelque 370 à 500 millions de personnes, ils représentent plus de la moitié de la diversité culturelle du monde et parlent la majorité des quelque 7000 langues vivantes.  En raison de leur étroite dépendance au milieu naturel qui les nourrit et les abrite, ils sont particulièrement vulnérables aux dégradations de leur environnement et mettent en œuvre tous leurs savoir ancestraux pour y faire face. Ces derniers «se révèlent particulièrement efficaces pour la protection de la biodiversité, des sols, de l’eau et des écosystèmes», note la commissaire de l’exposition Carine Ayélé Durand.

Le soin avant la crise…

Quatre espaces-temps rythment l’exposition. Le premier temps est celui … du soin, suivi du celui de la réparation. Pour une fois, la crise climatique cède la première place. Pour illustrer le soin porté à la nature, l’écrivaine et artiste anishinaabe Elisabeth LaPensée -autochtone du Québec- présente un jeu vidéo Honor Water (Honorer l’eau) qui diffuse des chants destinés à guérir les eaux. L’idée lui a été inspirée par l’expérience de dizaines de femmes qui, en 2017 et suivant leurs ancêtres, ont entamé une marche d’un millier de kilomètres en chantant pour aller recueillir de l’eau à la source d’une rivière et la déverser à l’embouchure de cette dernière espérant, par ce geste symbolique, assainir l’eau polluée et la remettre purifiée aux générations futures.

Un peu plus loin, on découvre les sacs aux motifs de vannerie traditionnelle de Kandi Mc Gilton, artiste ts’msyen de la côte nord-ouest des États-Unis et du Canada, un tissage de cèdre rouge, de fougères Adiantum et de l’alpiste des Canaries. Un savoir qui se perd et qu’elle entend bien revitaliser. Kandi Mc Gilton est également, avec deux autres artistes présents au MEG, l’une des membres fondateurs de la Fondation Haayk qui vise à préserver le sm’algyax, la langue du peuple ts’msyen.

La voie du saumon

Meg expAutochtones2021 22 sactisséTs msyen«Selon le savoir de nombreux peuples autochtones, humains et non humains ont la responsabilité réciproque d’entretenir des relations basées sur le respect et l’interdépendance.» Pour éviter les crises, l’équilibre entre les hommes, les plantes et les animaux doit donc être maintenu. Une des œuvres exposées illustre bien ce propos du temps de la responsabilité réciproque. Elle part d’un conte traditionnel ts’msyen revisité par le poète Gavin Hudson -Huk Tgini’itsga Xsgyiik de son nom ts’msyen- et le sculpteur David Robert Boxley -Gyibaawm Laxha- dans lequel un prince est enlevé par un saumon… Quatre personnages s’y donnent la réplique: le prince, le cèdre, la rivière et le saumon. Tous sont représentés par un masque en bois de cèdre précieux, au creux duquel le visiteur est invité à lover son visage pour adopter, tour à tour, le point de vue de chacun. Les masques originaux créés pour l’occasion selon la tradition sont époustouflants et convertiraient à la défense de la biodiversité, par leur simple beauté, nombres de petits occidentaux urbains.

Le saumon si prisé par nos papilles est une ressource vitale en Alaska. Sa préservation est essentielle à la survie de nombre d’autochtones et la sécheresse qui menace sa reproduction n’est pas à prendre à la légère. Le principe de la gestion responsable des ressources naturelles que les peuples autochtones défendent depuis des lustres se reflète heureusement de plus en plus dans l’action mondiale en faveur de l’environnement.

Qu’on leur coupe la tête!

Meg expAutochtones2021 22 dessinMaret folie2

Le temps de la crise, puisqu’il faut bien en venir à elle, est magistralement illustré par les œuvres de l’artiste Máret Ánne Sara. Et elles sont phénoménales. À tous points de vue. L’artiste, écrivaine et journaliste Sami est issue d’une famille d’éleveurs de rennes de Guovdageaidnu, située dans la partie norvégienne de la Laponie (Sápmi). Une famille qui n’a pu garder ses terres traditionnelles après que l’État lui ait demandé, comme aux autres éleveurs de la région, de réduire drastiquement son troupeau. Ses œuvres -dont Pile o’Sápmi (2)- évoquent la manière dont les éleveurs de rennes sont affectés par les lois coloniales favorisant l’exploitation des ressources sur les terres dont ils dépendent. Les conséquences sur l’environnement et la négligence à l’égard des Samis ont conduit à une forme de folie qui préoccupe l’artiste depuis de nombreuses années. Un combat qui mènera Máret Ánne Sara en 2022 en Italie, où elle représentera les pays nordiques à la Biennale de Venise. En attendant, il serait bien idiot de ne pas profiter de la présence de ses œuvres à Genève pour notamment courir admirer ses dessins faisant partie des séries Oaivemozit/Madness/Galskap.

«De nombreux peuples autochtones sont en conflit avec les États en raison de projets économiques, miniers ou industriels autorisés sur leurs terres sans réel consentement, selon une attitude coloniale», rappelle Carine Ayélé Durand. Cela a été le cas au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et des essais nucléaires qui s’en suivirent. C’est toujours le cas aujourd’hui pour 60 millions d’autochtones «sous pression», leur terre étant «défrichées et dégradées par l’extraction minière et pétrolière, l’agriculture et l’élevage à grande échelle, l’exploitation forestière illégale et les projets hydroélectriques».

Bilan hors cadre mitigé

L’exposition prend congé du visiteur au temps de la rencontre et de l’espoir de réconciliation. Sale temps pour le commun des mortels si on en croit les récents résultats de la COP26 dont les peuples autochtones attendaient beaucoup et appelaient «à la fin de la guerre contre la nature».

Meg expAutochtones2021 22 mobile

Un temps d’espoir tout de même pour l’exposition du MEG qui croit en une interconnexion de tous les humains pour inverser la vapeur! «Le temps n’est plus au constat ni à une stérile comptabilité face aux dégradations environnementale», peut-on lire très justement dans le dossier de l’exposition. Le temps de la rencontre est évoqué poétiquement par une installation monumentale collaborative, de Máret Ánne Sara et de l’activiste chilienne Cecilia Vicuña. Un mobile fait de vestes traditionnelles samis, complétées par des vêtements traditionnels des peuples autochtones de Sabah en Malaisie et par un sac pieuvre de Kandi Mc Gilton. «Cette installation noue les histoires personnelles des luttes autochtones du nord au sud.»

Enfin, deux poétesses -Kathy Jetnil-Kijner des Îles Marshall et Aka Niviâna de Kalaalit Nunaat du Groenland- entament un dialogue par vidéo interposée autour de deux phénomènes qui les touchent: la hausse du niveau de la mer pour l’une et la fonte des glaciers pour l’autre. Elles évoquent les liens étroits qui existent entre leur environnement et le nécessité de s’unir pour lutter contre les dérèglements climatiques.

Affiche ExpoMEG 2021 22Injustice environnementale – Alternatives autochtones
À voir jusqu’au 21 août 2022
au Musée d’Ethnographie de Genève (MEG)
bd Carl-Vogt 65
Ouvert de 11h à 18h; fermé le lundi
www.meg-geneve.ch

1.  Lire aussi sur ce site Onu, la stratégie des peuples autochtones, un article de l'historienne Pierrette Bireaux.
2. Cette œuvre est constituée de crânes de rennes où un trou en plein front témoigne de leur mise à mort par balle. L'œuvre est une réflexion sur le différend juridique qui a opposé Jovsset Ánte Sara, le frère cadet de Máret Ánne Sara, à l'État norvégien concernant la réduction du troupeau de rennes du jeune éleveur. À voir sur le site de l’artiste https://maretannesara.com


En phase avec le Vatican

L’exposition du MEG offre un parfait écho à la position du Vatican dans sa défense des peuples autochtones. Le 27 septembre dernier à Genève, devant le Conseil des droits de l’homme, le représentant du Saint-Siège à la Mission permanente d’observation auprès des Nations Unies à Genève, Mgr John Putzer, rappelait: «Les peuples autochtones représentent 5% de la population mondiale totale et pourtant, ils constituent 15% de la population mondiale vivant dans l’extrême pauvreté. (…) Les peuples autochtones jouent un rôle fondamental dans la conservation et la transmission des connaissances et des pratiques traditionnelles pouvant contribuer à améliorer la sécurité alimentaire, la santé, le bien-être et la reprise après la pandémie. La crise sanitaire mondiale actuelle devrait donc être l’occasion d’œuvrer davantage en faveur de politiques et de systèmes économiques transformationnels et verts, capables de concilier santé et nature. En ce sens, les traditions culturelles des peuples autochtones, leur respect des ressources naturelles et des terres et les liens qu’ils entretiennent avec elles constituent un exemple précieux à prendre en considération.»

Lire la traduction complète de l’intervention de Mgr Putzer sur le site de l’agence Zenit.

Lire également sur notre site COP26: le sommet de la déception! un article de Yvan Maillard Ardenti qui tire un bilan plus que mitigé de la récente Conférence des Nations Unies sur le climat qui s'est tenue à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre 2021.

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