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mardi, 06 octobre 2009 12:00

Amoureux de l'islam

Écrit par

DallOglio 42187Paolo Dall'Oglio, avec la collaboration d'Eglantine Gabaix-Hialé, Amoureux de l'Islam, croyant en Jésus, préface de Régis Debray, De l'Atelier, Paris 2009, 192 p.

Restaurateur d'un ancien monastère situé dans le désert syrien, à 80 kilomètres au nord de Damas, Paolo Dall'Oglio, jésuite italien, y a fondé, il y a plus de vingt ans, un monastère mixte dont la vocation principale est le renouveau de la vie monastique dans le contexte musulman. Guyonne de Montjou avait publié un premier livre sur l'oeuvre, intitulé Mar Moussa, un monastère, un homme, un désert.[1] Dans ce second livre, Paolo Dall'Oglio développe les thèmes principaux de sa réflexion, nourrie par une expérience de presque trente ans dans le contexte arabe musulman de la Syrie, qui abrite aussi une très ancienne communauté chrétienne.

Malgré quelques imperfections de style et de vocabulaire, dues au fait que l'auteur s'exprime en français à partir de l'italien, ainsi que l'usage abusif de circonlocutions, le livre est passionnant. Premièrement, l'auteur s'appuie sur une longue fréquentation du monde oriental syrien, chrétien et musulman. Il connaît l'arabe : « J'avais la gorge malade à force de prononcer les gutturales de l'arabe », ce qui lui a permis d'innombrables échanges avec des gens simples comme avec des savants, notamment des religieux musulmans de Damas. « Ma façon de rentrer en dialogue, c'est avant tout par une vraie curiosité, je suis vraiment intéressé à comprendre quelque chose de la particularité de celui que j'ai en face, ou plutôt avec qui je partage le même banc. » Ainsi son livre rapporte plusieurs anecdotes savoureuses qui éclairent et allègent les développements plus abstraits.

Deuxièmement, les maîtres spirituels de Paolo Dall'Oglio que sont Charles de Foucauld, Louis Massignon, Christian de Chergé, le moine de Tibérine, inspirent sa réflexion. Il signale certes les positions différentes d'autres penseurs, comme celle de François Jourdan dans Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans, plus centré sur la comparaison des doctrines,[2] mais il ne s'éloigne jamais de sa position de grande bienveillance envers l'islam.

Il s'oppose même de manière un peu polémique aux orientalistes, principalement occidentaux et agnostiques, et leur reproche de ne pas comprendre le coeur de l'islam qui est religieux et théologique. Par ailleurs, il s'élève avec rage contre ceux qui comparent superficiellement les positions chrétiennes et musulmanes pour disqualifier ces dernières. On attendrait cependant qu'il s'explique mieux avec ceux qui le font avec sérieux et compétence, comme François Jourdan.

Pour montrer les ouvertures officielles vers une compréhension de l'islam, l'auteur argumente à partir des textes officiels de la théologie catholique, en commençant par le décret du concile Vatican II sur les religions non-chrétiennes et son passage sur les musulmans, ainsi que d'autres documents plus récents, y compris le très contesté Dominus Jesus.

Troisièmement, en s'adressant principalement à un public occidental d'origine chrétienne, dont la sympathie lui est peut-être acquise, l'auteur fait oeuvre de passeur. Il explique des points de la religion musulmane : la foi, par exemple, comme relation personnelle à Dieu dans une sorte d'alliance, ou la mort seulement apparente du Christ en croix « à cause de la difficulté pour les musulmans d'accepter l'humiliation de Jésus », ou encore ce qui concerne l'eschatologie (Jugement dernier et Résurrection).

Son amour de l'islam l'oblige presque à l'excès à aller le plus loin possible dans la compréhension musulmane, sans jamais renoncer toutefois à son enracinement raisonné en Jésus-Christ.

Nouvelles questions

L'ouvrage est divisé en huit chapitres. Les deux premiers sont plutôt descriptifs et portent sur le monastère et la naissance de sa relation « amoureuse » à l'islam. Les chapitres suivants ouvrent des problématiques nouvelles : une Eglise de l'islam, les relations abrahamiques, les conditions de l'inculturation en milieu musulman. Enfin les trois derniers chapitres sont plus théologiques : la prophétie de Muhammad, c'est-à-dire la foi du Prophète, la révélation en islam, et un dernier chapitre consacré à l'eschatologie, c'est-à-dire l'espérance en islam.

Certaines expressions sont volontairement provocantes, comme une Eglise de l'islam, mais l'auteur veut dire simplement « une communauté qui rassemblerait les disciples de Jésus vivant en contexte musulman (...) dans lequel ils veulent s'enraciner (...) en vue de l'établissement du Royaume de Dieu ». Bref, une communauté chrétienne qui, au contraire du ghetto et de la séparation, pratique l'accueil et l'hospitalité aussi à l'égard des musulmans.

Face aux journalistes et écrivains qui prédisent à brève échéance la disparition des chrétiens d'Orient, Paolo Dall'Oglio entend insuffler un sens et une perspective aux chrétiens arabes et ainsi lutter contre l'émigration, y compris par des projets sociaux sur place, comme l'aide à la construction de maisons.

Il aborde aussi la question délicate de la communion eucharistique à donner ou à refuser aux musulmans qui ont le désir de la recevoir (il répond par la négative mais en exposant bien les différentes demandes), traite de la question complexe de la prière interreligieuse où il distingue trois niveaux, et évoque le sacrifice eucharistique et la demande de pardon des péchés « chez nos amis pèlerins à la Mecque ». Il faudrait, à mon sens, peut-être mieux distinguer cette demande générale de pardon liée au rite du pèlerinage et le pardon impossible à donner à qui blasphème contre Dieu et son prophète, comme dans la controverse au sujet des caricatures de Muhammad. Enfin l'auteur fait l'éloge du syncrétisme chez les chrétiens de toutes sortes qu'il rencontre à Mar Moussa, et il en observe aussi des marques dans l'islam.

Ce livre de Paolo Dall'Oglio étonnera certains, agacera d'autres, cependant on ne saurait mettre en doute l'étendue de son expérience en contexte musulman arabe. Bien des questions abordées ici méritent d'être débattues plus longuement mais on saura gré au moine « prophète » de Mar Moussa et à sa communauté de nous donner une leçon d'islamophilie, sans naïveté.

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