Il s'agit de la réédition d'un ouvrage écrit il y a plus de quarante ans, pour répondre à la demande de Georges Dumézil. Il vise à situer et comprendre la séparation qui s'est produite entre l'Orient et l'Occident chrétien, du IXe au XIIIe siècle.
S'inspirant de Vladimir Lossky, Olivier Clément distingue deux cycles théologiques. Le premier, jusqu'au IXe siècle, christologique, défini par les sept premiers conciles, valorise la transfiguration de l'humanité en Christ et dans l'Eglise par l'énergie de la divinité. Le deuxième, jusqu'au XIIIe siècle, pneumatologique, reprend les mêmes certitudes sous l'angle de leur intériorisation personnelle dans l'Esprit, à travers une triple dimension : une méditation, et surtout une expérience, sur la personne et le rôle du Saint-Esprit ; l'essor d'un nouvel univers orthodoxe où se multiplient types nationaux et culturels ; l'éloignement de l'Occident latin avec le développement des filioquismes. Cette distance culminera avec le dogme de Lyon (1274), auquel répondra le concile de Constantinople (1285).
C'est ce 2e cycle de l'Esprit que l'auteur développe ici. Il cerne des figures à la fois fortes et subtiles (Photius, homme de synthèse, Syméon le Jeune, les moines du Mont Athos) mais aussi des mouvements tels que les bogomiles, qui obligeront les orthodoxes à se positionner a contrario. Il évoque la séparation entre l'Occident et l'Orient - 1004 d'abord, puis, plus directement, lors des croisades - et enfin il rappelle l'essor du christianisme oriental en Russie et en Serbie.
Homme de ponts, Olivier Clément valorise les efforts de ceux qui ont tenté de continuer ou de renouer le dialogue, sans pour autant escamoter les ombres de ce parcours. Son analyse de l'essor du christianisme russe, greffé sur un paganisme très primitif (« dyonysisme » et sens de la terre comme théophanie) sans élaboration culturelle préalable, est intéressante - évolution qui explique par la suite le schisme des Vieux-croyants au XVIIe siècle.
Grâce à sa familiarité avec la pensée occidentale, Olivier Clément propose donc une fine analyse de l'origine des différends théologico-philosophiques. Décédé le 15 janvier 2009, l'auteur de la Révolte de l'Esprit va beaucoup nous manquer. Nous avons besoin de passeurs de son envergure, à la fois érudits et bons vulgarisateurs, pour comprendre une orthodoxie aussi proche géographiquement que différente culturellement, qui pourrait servir de lien entre l'Occident et l'Asie.