Le deuxième tome des mémoires de Hans Küng est doublement passionnant, parce qu'il couvre des années hautement critiques pour l’Église catholique, celles du concile Vatican II et de l'après-concile, mais aussi parce que, à l'occasion des controverses entre Küng et la hiérarchie catholique, il permet de mieux saisir les enjeux des turbulences qui, aujourd'hui encore, agitent l’Église catholique.
Une bonne partie du livre est occupée par les querelles autour de deux ouvrages de l'auteur: Infaillible? Une interpellation et Être chrétien.
Préoccupé par les questions que se posent tant de contemporains, Küng y aborde deux points névralgiques, l'ecclésiologie et la christologie. Ses conclusions, remises en cause par Rome, divisent ses collègues professeurs de théologie; certains de ses amis et collaborateurs le quittent ou se retournent contre lui; les évêques allemands et le Vatican cherchent à le museler par un procès honteux, digne de l'Inquisition. Mais Küng résiste avec vigueur, mû par sa passion pour la vérité, son sens de la liberté et sa sensibilité démocratique.
Profondément enraciné dans l’Église, il ne se laisse pas gagner par la tentation de quitter l'institution, comme plusieurs de ses collègues et amis. «S'affirmer et non pas s'en aller», tel est son combat. Entre Érasme qui ne s'engage pas et Luther qui divise, son chemin est tracé: il suit une voie moyenne, celle de Paul qui affronte Pierre en lui rappelant la vérité et la liberté de l’Évangile.
Tout au long de pages passionnantes, le lecteur assiste à une confrontation entre ce que Küng et tant d'autres avec lui- estime être la vérité de l’Évangile, et l'autodéfense d'un système hérité de l'histoire et fondé sur le pouvoir humain. Le beau chapitre final, Perspective, rend compte de son option fondamentale et de sa manière de comprendre sa mission de théologien catholique. Il veut servir l’Évangile, mettre son message à la portée de l'homme contemporain et parler du Christ à ceux et celles que le magistère n'est plus capable d'atteindre.
Si, comme lors de la lecture du premier volume, on reste stupéfait par sa capacité de travail, certains passages autobiographiques font sourire, où l'auteur s'attarde à parler de ses vacances, de ses loisirs ou de sa vie privée.
Malgré l'impression d'autosuffisance et de naïveté que peuvent laisser certaines expressions, l'engagement de Küng, tel qu'il apparaît dans ces Mémoires, me semble exemplaire pour celles et ceux qui se vouent au travail théologique. L'abondance de sa documentation, la précision de ses interventions, son honnêteté à ne pas se dérober devant les questions les plus pointues, son refus de la langue de bois, son souci pastoral, son indépendance académique sont des vertus que l'on souhaiterait voir plus souvent chez les théologiens catholiques.
À lire encore par Pierre Emonet sj: Le combat de Hans Küng